La perfection médiévale. Visite du Getty Center de Los Angelesmardi, 6 novembre 2007

Après ces merveilleuses dégustations, un peu de repos s’impose. Faire du shopping à Beverly Hills, c’est imaginer, l’espace d’un instant que l’on est riche. Les articles que je regarde ont un nombre suffisant de zéros avant la virgule pour que je me tienne sage, sauf pour des vêtements qui font de moi un « vrai » américain. Je vais au musée Getty. Comment est-il possible, même pour l’homme qui fut le plus riche du monde, d’acheter une immense colline qui offre une vue époustouflante sur Los Angeles et d’y construire une ensemble gigantesque qui représente au moins cent fois la villa Noailles de Hyères. Les parkings en sous-sol pour les bus scolaires couvrent des hectares. On accède au site par une noria de navettes électriques qui sont les mêmes qu’aux nouveaux terminaux de Roissy et l’on est accueilli par une splendide sculpture de Maillol qui fait une tache de couleur devant un ensemble de bâtiments en marbre blanc. Alentour on peut discerner à travers le brouillard constant des panoramas à couper le souffle. La comparaison à la villa Noailles n’est pas vide de sens tant l’enchevêtrement de bâtiments et de perspectives ouvre des horizons nouveaux.

Je vais visiter une exposition temporaire d’œuvres médiévales, et j’ai un choc qui crée un lien avec le monde du vin. Des sculptures en marbre du 4ème siècle, des tapisseries brodées aux couleurs vives du 5ème siècle, de fines gravures sur ivoire du 8ème siècle montrent que cette époque que l’on voudrait considérer comme barbare avait un sens artistique et une virtuosité technique qui n’a rien à envier à la Renaissance postérieure parfois de mille ans. Je vois une petite plaque octogonale en or avec le Christ crucifié au centre, entouré de douze têtes qui émergent de la plaque, représentant les apôtres aux visages précis malgré leur taille minuscule. Un tel travail d’orfèvrerie ne peut se concevoir dans un monde barbare. Des centaines d’objets remarquables d’une période s’étendant de l’an 300 à 1450 montrent un savoir faire, surtout sur l’ivoire et les enluminures qui me semble perdu aujourd’hui faute de temps et de mécènes. Le lien avec le vin est le suivant : du fait d’une industrialisation extrêmement rapide qui modifie le champ conceptuel presque tous les dix ans, nous croyons bien trop facilement que le monde a été inventé lorsque nous sommes nés et que les générations qui nous précèdent vivaient dans un obscurantisme total. Voilà qu’une tapisserie bien conservée tissée il y a 1600 ans rappelle qu’on savait créer avec art il y a très longtemps, qu’un ivoire d’une émotion intense montre qu’il y a 1200 ans, on créait avec délicatesse. Trop de gens estiment que le bon vin a été inventé dans les quarante dernières années. Ils oublient que la tradition orale, qui permettait la transmission de génération en génération des secrets de l’orfèvrerie a joué le même rôle pour l’excellence du vin. Il y a cent ans, on savait faire du vin, avec l’acquis de plus de mille ans d’essais et d’erreurs. Le vin ne date pas de l’arrivée des maîtres à penser d’aujourd’hui. Le choc artistique qu’a occasionné cette merveilleuse exposition dépasse – fort heureusement – la seule pensée de la similitude au vin. Le musée Getty est un lieu où il faut impérativement se rendre.