jury de grands champagnesjeudi, 4 novembre 2004

Un ami professionnel du vin me parle d’une dégustation, un jury de grands champagnes qu’il a la charge de conduire pour une grande revue mensuelle. Exercice officiel où il s’agit de désigner les plus belles réussites champenoises des millésimes 1995 et 1996. Je ne sais comment cela vient, mais l’idée que je fasse partie du jury est évoquée. Je n’ai évidemment aucun titre officiel pour être juge, mais l’idée progresse. Je dis oui. Peu de jours avant, un remords me prend, et je m’inquiète de ma participation, disant à mon ami qu’il y a loin entre l’amour que j’ai pour les vins et la capacité de les hiérarchiser. Mon ami me rassure, mon rôle sera de témoin plus que de juge officiel.

Nous déjeunons ensemble au Saint-James avant le premier round de notation. Champagne Pommery 1996 pour se mettre en appétit. Champagne bien agréable que l’on devra juger plus tard mais à l’aveugle. Nous buvons ensuite la cuvée Lucullus 2000 de Hostens Picant. C’est fortement boisé, fort, puissant, et sur un confit de canard trop salé, l’approche est très agréable. Mais on se lasse vite. Le confit nuit au vin et le déstructure un peu. Je fais ouvrir un Volnay Caillerets ancienne cuvée Carnot 1989 Bouchard Père & Fils qui contraste par une élégance rare de vin subtil, frais, et délicieusement authentique.

Nous rejoignons ensemble la salle de dégustation où un meilleur sommelier européen venu tout exprès de Suède, jeune palais brillant et mon ami sommelier, conseiller expert d’un grand groupe de renommée mondiale sont les goûteurs officiels. Le journaliste qui fera le reportage assiste au début de la séance pour voir que tout se met en place. Mon travail sera le même que celui des goûteurs officiels. Nous notons les 29 champagnes présentés, tous fort bons mais différents, et mon ami me rappelle à l’ordre, car la dégustation doit être muette. Le silence est parfois rompu car l’un ou l’autre reconnaît avec certitude tel ou tel champagne, ce qui m’impressionne. Mais je vais vous raconter une anecdote qui a fait enfler mes chevilles et va m’obliger à faire élargir tous mes chapeaux.

Mon ami avait annoncé que Krug, ne pouvant fournir des 1995 et 1996 puisque l’année la plus récente actuellement disponible est 1990 avait envoyé cette année en demandant que leur champagne soit hors concours puisque non comparable. Ce champagne allait donc apparaître à l’aveugle au milieu des 29 présentés. Mon ami et le sommelier l’ont déjà goûté et moi pas. Quand j’ai fini d’inscrire sur ma feuille au numéro 20 : Krug 1990, j’ai eu la surprise que mon ami clame peu après pour le numéro 22 : c’est Krug 1990. J’ai rayé sans rien dire ce que j’avais écrit pour ne pas paraître stupide. En fin de séance, le pourvoyeur de candidats à nos jugements, qui réglait le ballet incessant des verres anonymes et avait gardé jusqu’alors une neutralité parfaite demanda : alors, quel est le Krug 1990 ? Le sommelier suédois dit 22, mon ami dit 22. Vous connaissez déjà la suite : c’était le numéro 20. De là à dire que je saurais juger les champagnes il y a un pas que je ne franchirai pas, car c’est un exercice diablement difficile. Sur les six premiers champagnes, j’étais assez perdu. Puis, à partir du dixième, j’ai pris un peu confiance, car on se forge des jalons et des repères. Je ne prétends en aucun cas que je serais capable de juger deux fois de suite le même champagne de la même façon, ce qui reste l’apanage des vrais experts. Mais ce fut un grand coup de chance que deux sommités mondiales ne reconnaissent pas ce champagne alors que je l’ai trouvé. Il en faudrait moins que cela pour que je ne me mette à parader : c’est fait, je l’ai raconté partout. Je finis ce bulletin sur ce coup de chance. La suite du jury qui a duré deux jours est au prochain numéro.