Immense verticale de Krug Vintage et Clos du Mesnilmardi, 23 janvier 2007

Les Caves Legrand accueillent Rémi Krug qui fait une des dernières grandes dégustations de ses champagnes, pour marquer 42 ans passés au service du vin qui porte son nom. Il est fier que certains champagnes portent sa marque et que de nombreux millésimes futurs seront influencés par le travail qu’il a fait, dans le cadre d’une vision à long terme. C’est la première fois qu’il fait une dégustation où sont comparés le Krug « Vintage » au Krug Clos du Mesnil, pour huit années où ont été produits à la fois le Vintage et le Clos du Mesnil. Le Vintage est un vin d’assemblage alors que le Clos du Mesnil est le petit bijou d’une parcelle ceinte de murs, de la taille de la parcelle de la Romanée Conti, voire un peu plus petite. Rémi est passionné, et décrit ses vins avec amour, comme s’il les découvrait à chaque fois. Il dit que sa stratégie n’est pas de faire de Clos du Mesnil un vin meilleur que le Krug Vintage, mais au contraire de faire de chacun le meilleur de ce que l’on peut faire, dans sa définition.

J’ai pris, comme d’habitude dans ces dégustations verticales, des notes sur un petit cahier, ce que je ne fais pas lors de dîners, et je vais les reproduire dans leur « jus », pour que vous viviez ces émotions comme je les ai vécues. Les redites sont laissées, car c’est au fil de la plume.

Le Krug Vintage 1995 est déjà très doré. Le nez est très chaleureux, de caramel. En bouche, il est déjà très fumé, bacon. Belle longueur, belle maturité, déjà. On sent l’iode et le citron vert.

Le Krug Clos du Mesnil 1995 est un peu plus rose. Le nez est très vineux et salin. En bouche il fait très peu assemblé. Je sens les fruits roses, les fleurs, le sel et les agrumes. Il est plus rêche mais il promet plus. Il va exploser dans quelques années. Le final est très agrume, avec un peu de miel, ce qui apparaît plus lorsque l’on a un peu grignoté.

Le Krug Vintage fait plus solide, carré. Le Krug Clos du Mesnil est plus romantique.

Le Krug Vintage 1990 est très doré, au nez intense. Quelle puissance ! On a une structure très carrée, très solide.

Le Krug Clos du Mesnil 1990 est plus pâle. Le nez est un peu coincé. En bouche, je marque un petit recul. Il n’est pas à 100% ce qu’il devrait être. Rémi vient sentir mon verre et ne voit pas d’anomalie. Mais en revenant sur ce millésime après avoir goûté d’autres années, l’imperfection est nette, même si le nez ne le révèle pas.

Le Krug Vintage 1989 a une belle couleur. Son nez est l’exacte définition d’un nez de champagne. En bouche, c’est déjà plus assagi, plus tranquille.

Le Krug Clos du Mesnil 1989 a une belle couleur dorée intense, voire foncée. Le nez est discret. La bouche est de fruit confit. Plein de soleil, ça, c’est du champagne. Mon voisin signale un final de menthe que je reconnais quand il me le dit. Avec un réchauffement dans le verre, on reconnaît du miel et du loukoum, tout en ayant cette fraîcheur qui est une signature de Krug.

Le Krug Vintage 1988 a un nez d’une intensité énorme. Ce qui me frappe dans ce champagne mythique que j’ai bu des dizaines de fois, c’est son côté iodé et salin.

Le Krug Clos du Mesnil 1988 a un nez minéral de pierre à fusil, incroyable pour un champagne à ce niveau d’intensité. Il est complètement exceptionnel. Il est sauvage. Et il rejoint le sauvage bourguignon tel que je l’adore. C’est immense. Je reconnais de la groseille et de la groseille à maquereau dans ce champagne fou. Le Krug Clos du Mesnil 1989 est élégant est bien élevé. Le Krug Clos du Mesnil 1988 est un fou chantant de charme infini.

Le Krug Vintage 1985 est moins doré. Mais en bouche, il est pain d’épices et pain doré. La bulle est forte, il y a du toasté, avec cette permanente fraîcheur.

Le Krug Clos du Mesnil 1985 démarre lentement. Il est d’une subtilité rare. Il glisse tellement en bouche que l’image qui me vient est celle d’une pirogue entraînée sur des rapides qui frotte de lourdes pierres rondes. C’est assez incroyable, et d’une fraîcheur inconcevable.

Avec le Krug Clos du Mesnil 1988 on avait atteint des sommets, mais avec ce 1985 éblouissant, c’est cette fraîcheur qui me paralyse et me laisse sans voix. Le Krug Vintage 1985 est viril, plein. Le Krug Clos du Mesnil 1985 est très huître, subtil.

Le Krug Vintage 1982 est d’un beau doré. Très archétypal, il est à mon sens la définition de Krug. Mais c’est presque trop scolaire. Le Krug Clos du Mesnil 1982 est très évolué. J’aime ce côté évolutif qui pianote sur la langue. Le Krug Vintage 1982 purement parfait est presque trop doctrinal. Le Krug Clos du Mesnil 1982 est du miel, du caramel qui offre parfois de l’huître si l’on passe d’un toast à l’autre du plateau qui nous a été offert pour apaiser une petite faim.

Le Krug Vintage 1981 est le premier à avoir un nez minéral. Que c’est beau. Il est fumé. Le Krug Clos du Mesnil 1981 a un nez magique, oriental. La bulle est puissante. Ce champagne est évolué aussi, mais ici un peu trop. Je sens qu’il est déjà passé sur un autre versant de sa vie. Le Krug Vintage 1981 est fabuleux et me plait par son gras.

Le Krug Vintage 1979 a un nez phénoménal et une bouche phénoménale. C’est grandiose. Le nez évoque le pétrole, la bouche est fumée, de caramel brûlé. Il a une personnalité folle. C’est fou. C’est complètement immense.

Le Krug Clos du Mesnil 1979 a un nez géant. En bouche, c’est de la framboise, des fruits rouges. C’est la béatitude absolue. Comment peut-on faire quelque chose d’aussi grand ? Il y a du fruit confit, de la fraise, mais aussi de l’épice, du poivre. C’est grand et la bulle est forte. C’est le plus grand Krug Clos du Mesnil 1979 que j’aie bu. C’est hors du commun.

Le Krug Vintage 1979 est immense, viril, à la personnalité forte. Les Krug Vintage de ce soir se montraient scolaires et parfaits. Ce dernier est canaille, excitant, grandiose. Le Krug Clos du Mesnil 1979 est magique. Ce fruit rouge est fou et devient lilas.

Rémi conclut cette dégustation par un magnum de Krug Grande Cuvée qui a de l’ordre de six ans et nous dit : « Krug, c’est la Grande Cuvée. C’est ça dont je suis fier ». Rémi a cette parole simple comme je les aime : « si vous voulez vous amuser à faire vous-même une grande cuvée, prenez tout ce qui reste des 16 vins dégustés, assemblez les. C’est ça la Grande Cuvée ».

Rémi Krug parle avec émotion de ses enfants. Il me parait impossible de classer ceux qui m’ont plu au-delà des autres. Ce qui frappe, c’est l’immense complexité des Krug Clos du Mesnil, qui changent d’une année sur l’autre, mais aussi d’une gorgée à l’autre du même verre. Je trouve un peu dommage d’avoir présenté les Krug Vintage à côté des Krug Clos du Mesnil, car ces vins de grande qualité, purs compagnons de la gastronomie, méritent d’être goûtés pour eux-mêmes. Les faire cohabiter avec les Krug Clos du Mesnil les réduit un peu, alors qu’ils sont immenses. Mais cet exercice un peu fou, qui est une première jamais tentée auparavant avait un mérite certain. On aura compris par les termes dithyrambiques que j’ai utilisés que j’ai aimé.

Christophe Navarre, président de Moët Hennessy, venu déguster en ami avec son épouse, a tenu à remercier Rémi pour son apport indispensable au renom de cette icône champenoise. Ecouter un passionné de ce calibre est un régal, presque aussi grand que le charme de ces vins infinis.