Dîner familial et déjeuner de travailvendredi, 26 décembre 2003

Au dîner, accueil d’un absent du réveillon, reçu comme un fils prodigue. A l’apéritif, Mouton-Rothschild 1987. Ouvert tard, il est bien discret au début. Et l’éclosion a toujours quelque chose d’émouvant. Comme un danseur de ballet qui s’éveille de la position fœtale, ce vin s’épanouit. On reconnaît Mouton et cette densité rare. Ce n’est évidemment pas explosif comme certaines années, mais c’est bien agréable.

Une omelette au foie gras fait briller les derniers feux du Malaga centenaire qui avait encore plus de rondeur. Curieusement, c’est l’omelette qui le mettait en valeur, plus que le foie gras lui-même. Et sur le gigot qui devenait de treize heures, Pétrus 1977, une première pour l’ex-absent qui était ému de découvrir son premier Pétrus, un Pétrus qui m’a particulièrement plu. Aucun Bordeaux de 1977, très petite année maintenant oubliée, ne serait capable de donner autant de puissance alcoolique. Et sur cette petite année et des verres Riedel, on pouvait prendre conscience de tout ce qui fait la magie de Pétrus. Car il y a de la complexité à chaque gorgée. J’imagine Champollion proche du décryptage des hiéroglyphes, sentant que la solution est là. On a de cette sensation avec Pétrus. Car quand on croit qu’on a découvert le message, on s’aperçoit qu’il y a encore quelque chose à lire, à comprendre. Comme je l’ai dit plusieurs fois, on apprécie d’autant plus Pétrus qu’on sait que c’est Pétrus, car on essaie de capter tout ce qui est émis. Et c’est bien qu’on le goûte ainsi, sans compétition et sans test aveugle.

Sur une tarte Tatin, un Maury Mas Amiel Vintage 1998 cuvée Charles Dupuy. Quel vin ! Il titre 16°5, mais son astringence donne l’impression que l’on suce un bâton de cannelle. Il y a du bois, et c’est tellement fruité, combinant savamment le fruit et le sec qu’on est en plein plaisir sensuel. L’exubérance se combine à une rare élégance. Je suis amoureux de ce vin qui est une des plus belles expressions possibles des vins de dessert.

Déjeuner de travail au bureau, avec des couverts en plastique, mais des verres en cristal. J’ouvre Nuits Saint Georges les Brûlées de Robert Arnoux 1979. Même frais sorti de cave, quel grand vin. Grand n’est peut-être pas le mot exact, car je trouve que c’est un vin de camarade. Il sent la grève avec occupation des locaux. Nanti de ce vin aux senteurs prolétaires, je me vois syndicaliste d’un jour faisant plier le patronat. Car avec un tel breuvage animal, mâle, sentant la sueur de l’honnête travailleur, je ferais aboutir toutes les justes revendications des classes laborieuses de la planète. C’est beau, c’est âpre, c’est brutal, il y a cette amertume, ce goût de bouillon de viande qui ravit par son originalité typée. Très bon vin de pur plaisir premier. Il y a les Arts Premiers mis en valeur par notre Président. Ce vin est un vin Premier, qui doit ressembler à ce que faisaient les bourguignons il y a cinq cents ans.

Et en plus on aura travaillé en dégustant ce vin. Il n’y a pas de justice, camarade !