Dîner de wine-dinners dans un hôtel particulierjeudi, 12 février 2004

Un lecteur du bulletin de wine-dinners me demande d’étudier un dîner en site privé. Un impressionnant hôtel particulier d’immense prestige. J’étudie les possibilités avec un chef ami, et très rapidement diverses contraintes budgétaires imposées par le propriétaire à ce dynamique et sympathique entrepreneur de la communication qui est mon commettant rendent la chose quasi impossible. Au point qu’il envisage lui-même d’abandonner. C’est moi qui le motive pour relever le défi. Nous sommes obligés de constater que le projet n’est plus possible avec le restaurateur que j’avais choisi.

Et par le plus grand des hasards, je me retrouve avec Dominique Saugnac, ancien chef du restaurant Bruno, qui vient de lancer, sous le patronage de Bruno un restaurant « Terre de truffes » qui s’inspire des recettes brillantes du restaurant de Lorgues. Le chef est plein de son sujet : « la truffe ». Ma liste de vins ayant été remise avant que je ne connaisse le choix du chef, nous voilà partis pour une aventure. Il va falloir que mes vins se montrent souples et arrangeants pour relever le défi. Allons-y.

Pour mettre tous les atouts de mon coté je suis allé quelques jours avant déjeuner à « Terres de truffes » et je vous recommande d’y aller. La truffe est comme le caviar : c’est tellement meilleur quand il y a profusion. Et des plats intelligents la mettent en valeur. Il faudra – comme d’ailleurs à Lorgues – qu’on y trouve certains vins de qualité qui s’exprimeront élégamment sur cette magique tubercule.

Dominique Saugnac a l’accent du soleil, l’enthousiasme de la jeunesse, et quand on se trouve en ses murs, avec un peu d’imagination, on y entendrait les cigales.

Le jour dit, à l’heure dite, dans une immense salle de l’hôtel particulier, des cadres et dirigeants d’importantes entreprises d’un même secteur économique se retrouvent. Ils se connaissent tous. Mon lecteur organisateur avait prévu d’offrir le premier champagne, honnête champagne sans type affirmé appartenant à Ladoucette, sur une débauche de truffes. Domique Saugnac râpait de fines tranches de deux truffes distinctes, une noire et une blanche, sur des toasts inondés de sel et d’huile d’olive. Une débauche de bonheur. La truffe blanche plus amère mais à l’extrême envoûtement pourrait batailler avec un grand nombre de vins typés. D’originaux croque-monsieur à la truffe s’avalaient avec bonheur. On passe à table, et les 27 convives d’une seule table forment une belle brochette de connaisseurs attentifs qui n’oublient pas d’être aussi de joyeux lurons dissipés. Difficile de faire passer des messages sur les vins, mais heureusement cette joyeuse assemblée sut se faire esthète, et se disciplina pour profiter comme il convient des grands vins et des mets, ce qui me plut.

Le Dom Pérignon 1993 a un nez très expressif. Le charme de ce champagne sensuel agit dès le premier contact. Le premier champagne lui servant de tremplin, on put constater son extrême précision. Je l’ai trouvé particulièrement bon et supportant même très bien le choc de l’oeuf qui rétrécit toujours les vins. A deux jours de la Saint Valentin, je l’avais choisi comme un symbole, car ce champagne est, à juste titre, le champagne de l’amour.

Le Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992 est un immense Bâtard. Oxygéné depuis des heures, et servi pas trop froid, il explose d’arômes complexes et variés au nez qui n’en peut mais de tant d’évocations. En bouche il y a du gras, voire du beurre, et une forte trame qui donne une longueur rare. L’expression la plus aboutie du Bourgogne blanc. Ramonet est au blanc ce que Henri Jayer est au rouge : l’alchimiste de la juste vinification. Evidemment ce grand blanc est à son affaire sur les différentes variations de truffes. Mais c’est sur la légendaire pomme de terre à la truffe que le Ramonet donne un accord extraordinaire. Est-ce le lieu, est-ce la saison, toujours est-il que j’ai trouvé cette sublime pomme de terre meilleure qu’à Lorgues – si c’est possible -, peut-être à cause de cet extraordinaire vin blanc ?

Sur la truffe entière en feuilleté, le château Meyney 1967 en double magnum était exactement ce qui convenait. Car le plat a une puissance énorme et ce Saint-Estèphe a des arguments de poids pour l’équilibrer. Très jeune encore, expressif, puissant, il a cette belle acidité qui convenait à la sauce lourde et au fumet envoûtant du beau caillou noir.

Un agneau fondant à souhait a accompagné le Château Ausone 1975. J’avais expliqué à l’avance combien Ausone est complexe et difficile à lire. Ce 1975 parlait vraiment un langage discret. Beau nez de belle race juste suggéré, et terriblement ésotérique. On est loin des messages directs de la vallée du Rhône ! Là, il faut chausser ses lunettes pour décrypter le grimoire. Peu de convives pouvaient lire tout ce qu’il y a de grand dans ce vin qui est un de mes chouchous. Mais j’avais mis ce vin avec l’intention de compliquer un peu la dégustation.

On franchît encore une étape de complexité avec le Château d’Arlay, vin jaune 1987. A l’ouverture, il est dans le domaine du vin ce que la truffe peut être : un Himalaya d’odeurs intenses. Délicieux vin jaune qui se mariait bien au fromage truffé. Une découverte pour beaucoup de convives.

Le château d’Yquem 1991 avait à l’ouverture une magnifique et opulente odeur. Etrangement, les trois bouteilles provenant d’une même caisse avaient des maturités différentes. Différences infimes mais repérables. En bouche, c’est un Yquem sans énigme. Tout avec Yquem parait si facile. On est loin des messages complexes. Cette année n’est pas une des plus grandes, mais le vin se boit avec beaucoup de bonheur. Le dessert n’allait pas avec lui. C’était sans importance car Yquem est à lui seul un dessert.

Par un autre hasard, le descendant d’une famille prestigieuse du Rhum se trouvait à la table. Je lui fis goûter à l’aveugle le Rhum que j’avais prévu, Rhum Naura qui est un assemblage de Rhums divers que je date vers 1940 / 1950. Il fut étonné de sa qualité. J’adore ce Rhum typé particulièrement sec de forte personnalité.

Ce repas est évidemment très différent des repas traditionnels de wine-dinners. On ne pourrait pas goûter des vins très vieux dans une telle configuration. Mais j’ai ouvert des horizons à plusieurs convives attentifs qui ont vu à quel point on peut chercher à raffiner le choix des vins et les associations gustatives. Une expérience à poursuivre.