dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Bessonjeudi, 26 avril 2007

Le 87ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Gérard Besson. C’est un plaisir de créer un repas avec ce chef d’une grande sensibilité pour les vins anciens. Spécialiste des gibiers et de la truffe, il nous a concocté un chef d’œuvre de saveurs : Andouillette du Var, toast grillé / Brioche d’œufs brouillés truffés / Asperges vertes et foie gras poêlé, cuisson de champignons à l’émulsion de truffe / Escalope de ris de veau et morilles au jus / Rouelle de rognon de veau panée sur une simple purée / Dos de bar braisé dans une réduction de Pinot rouge, macaroni fourré / Une puce / Demoiselle en tourte / Une fourme / Mangue retour de Martinique. Si certains intitulés sont furtifs, c’est que les oiseaux le sont aussi.

J’arrive à 16h30 pour ouvrir les bouteilles. Arnaud, jeune sommelier fort sympathique a tout prévu. Les bouchons viennent remarquablement bien sauf pour un, dont une partie a glissé dans le liquide m’obligeant à une opération de sauvetage qui ressemble à la pêche à la ligne dans les fêtes foraines : on croit avoir chopé le gros lot, et l’on entend « raté ».

Notre assemblée compte deux journalistes, un papa gâté par ses fils, un couple d’amateurs australiens, un vigneron au nom fort connu et plusieurs fidèles. Après les recommandations d’usage, nous passons à table et l’on me sert du Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964. Hélas, le vin est gravement malade au point qu’on ne le servira pas. Nous prenons le vin suivant qui va accompagner les deux entrées. Il s’agit du Champagne Henriot en magnum Cuvée des Enchanteleurs 1959. Nous poussons un ouf, car ces deux bouteilles avaient été apportées par le vigneron présent, et je le sentais ennuyé de l’accident de son vin. Le 1959 est un grand champagne. Sur l’andouillette, il pétille. Les œufs brouillés le rendent plus crémeux, confortable. Cette flexibilité est l’apanage des grands. Nous nous dirons cependant avec mon ami que le 1959 très apprécié de tous n’était pas au sommet de son art.

C’est le contraire pour l’Hermitage La Chapelle Le Chevalier de Sterimberg Paul Jaboulet Aîné 1995 qui brille près de dix fois plus que ce que j’ai goûté dans la cave de la maison Jaboulet. Car tout est ici réuni pour que le vin brille : température de service, oxygénation, et les asperges vertes qui excitent le potentiel aromatique de ce vin très chantant. Nous sommes tous agréablement surpris.

Le Jura, Saint-émilion Réserve Caves Calon 1913 avait offert à l’ouverture des senteurs étonnamment riches et chaleureuses, de framboise et de bonde de fût. Je décidai alors de mettre un bouchon neutre pour conserver intact ce parfum. C’est la même constatation qui me poussa à en faire autant pour le Château La Tour Haut-Brion Graves rouges 1926. Une heure plus tard, sentant à nouveau les vins, je les laissai courir leur vie, bouchon enlevé, pour que l’oxygène les fasse briller. Et c’est un véritable récital de jeunesse que ces deux vins nous offrent maintenant. Ils brillent de jeune folie, la couleur du 1926 étant nettement plus vive d’adolescence. Ce sont surtout les sauces qui ont prolongé le goût de ces deux vins joyeux, l’un dans son acception de la rive droite et l’autre dans son expression de Graves.

Le Meursault Clos de Mazeray rouge Domaine Jacques Prieur 1988 est assez étonnant pour beaucoup de palais. Le dos de bar est tellement bien exécuté que le vin se fait encore plus beau, répondant avec précision au message de la sauce. Je suis un peu plus sur la réserve avec le Volnay-Santenots-du-Milieu Tête de Cuvée Domaine des Comtes Lafon 1981 dont la première gorgée fait un peu simple. Mais le vin s’épanouit dans le verre et le petit volatile goûteux lui sert de coach et le fait se surpasser.

La vraie surprise pour tous, et particulièrement pour le vigneron, c’est l’incroyable perfection du Beaune, B. Chemardin négociant 1934. Toutes les hiérarchies sont à remettre en cause me dit-il plusieurs fois. Car ce petit Beaune de négoce est éblouissant. Il représente une image de la perfection du vin de bourgogne, qui chante sur les papilles en un message complexe et envoûtant. La tourte au goût intense prend une dimension supplémentaire avec le Beaune. Notre table commence à comprendre pourquoi je mêle des vins de toutes origines. Le coup de grâce, s’il devait y en avoir un, est donné par le Château Lassalle Premières Côtes de Bordeaux 1958. C’était la plus belle qualité de bouchon lorsque j’ai ouvert, et le plus beau nez, presque à égalité avec le 1919. Il est maintenant épanoui avec ses touches d’agrumes poivrés, et brille comme un sauternes de grand renom. Mon ami vigneron va de surprise en surprise.

Le Château La Tour Blanche Sauternes 1919 en vedette américaine mérite cette position. Car il remet les pendules à l’heure sur la complexité de sa trame, qu’aucun Premières Côtes de Bordeaux ne peut avoir. Pétulant, aux tons d’agrumes et de mangues, avec des épices délicates, il est accompagné d’un dessert simple comme je les aime, pour un mariage de pur plaisir.

C’est tout naturellement que les votes de premier se concentrent exclusivement sur les trois derniers vins, qui représentent un plaisir parfait. Sur neuf votants le Beaune et La Tour Blanche ont chacun quatre votes de premier, le Lassalle en ayant un. Si l’on exclut de champagne 1964 tous les vins sauf un ont eu au moins un vote. Le vote du consensus serait : 1- Beaune, B. Chemardin 1934,  2 – Château La Tour Blanche 1919, 3 – Château Lassalle 1ères Côtes de Bordeaux 1958, 4 – Le Jura, Saint-émilion Caves Calon 1913.

Mon vote est : 1 – Château La Tour Blanche 1919, 2 – Beaune, B. Chemardin 1934,  3 – Château Lassalle 1ères Côtes de Bordeaux 1958, 4 – Château La Tour Haut-Brion 1926.

Le pari d’avoir mis les abats avant le poisson fut réussi. La cuisine sensible de Gérard Besson a une fois de plus justifié l’attachement que j’ai pour elle. Ce fut fait avec cœur. Le service est attentionné et sympathique. La forme de la table était parfaite. L’ambiance joyeuse nous a conduit fort tard dans la nuit pour enrichir nos rêves du souvenir de grands vins.