Dîner de vins anciens au restaurant Garancemardi, 26 février 2013

Mon ami Tomo continue de promener son groupe de japonais dans tous les restaurants de la capitale. Le dernier dîner de leur séjour sera au restaurant Garance et Tomo me demande de me joindre à eux. Tous les vins seront de la cave du restaurant ou de la cave de Tomo. Nous serons neuf car trois japonaises viennent grossir le contingent que nous formions au restaurant Taillevent il y a peu de jours. L’une est sommelière dans un restaurant de Sens, une autre est journaliste et conseillère en communication à Paris et à Tokyo et la troisième est l’attachée de presse du restaurateur de Tokyo. Je serai le seul non japonais de la table.

Nous commençons, sur la suggestion de Guillaume Muller par le Champagne Cuvée 736 Jacquesson extra-brut. Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que ce champagne n’est pas dosé. Il est en effet assez abrupt, mais j’aime beaucoup sa personnalité affirmée. Il est jeune et très judicieusement, de fines tranches de magret bien grasses atténuent sa fougue.

Le moment est venu de goûter deux champagnes assez exceptionnels. Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1966 explose en bouche d’arômes innombrables, comme les gigantesques boules d’un feu d’artifice. On dirait un bouquet tout rond de saveurs infinies. La sommelière évoque le bonbon au miel et c’est très vrai. J’y ajoute le picotement du poivre et un bouquet de fruits exotiques. Alors que le Moët 1966 est tout en rondeur, le Champagne Dom Pérignon 1966 est tout en profondeur. Très riche, lourd de sens, il laisse une trace en bouche qui est comme un sillon de bonheur. Ce champagne est beaucoup grand que le Moët mais ne lui fait pas ombrage. Les deux sont délicieux, très différents, le Moët dans des notes très colorées et généreuses, le Dom Pérignon dans la profondeur, dans la noblesse et l’élégance. J’ai toujours eu un amour particulier pour Dom Pérignon 1966. Celui-ci est brillant et c’est sans doute le plus sérieux de ceux que j’ai bus. Avec le Brut Impérial, je me demande toujours comment fait Moët pour réussir des vins de cette richesse. La matière de ces deux champagnes est beaucoup plus brillante que celle du Jacquesson.

Sur la brioche à la crème, le Moët est à son aise et sur des dés de veau cru au raifort, le Dom Pérignon est parfait. Lorsque l’on prend avec du pain la sauce au parmesan, l’accord avec le Moët est diabolique.

Le Château Mouton d’Armailhacq 1934 est bien fatigué. Il expose une acidité assez prégnante qui gêne le plaisir. Le lieu jaune, absolument divin arrive à le réveiller et comme j’ai la chance qu’on me serve le fond de la bouteille je peux prendre conscience de la richesse de trame de ce vin car l’acidité n’a pas touché la lie, riche et truffée.

Lorsque j’étais arrivé, Tomo était en train de se battre avec le bouchon du Château Montrose 1959. J’ai pris les choses en main, car j’adore ça, pour sortir le bouchon tout déchiqueté sans qu’aucune brisure ne tombe dans le liquide. Tomo était peu optimiste pour ce vin et il a tort, car c’est un très beau Montrose, peut-être légèrement coincé et un peu simplifié, mais c’est un vin plaisant, riche au message très droit. Je l’ai beaucoup aimé. Le lieu jaune s’accorde à merveille avec ce vin. C’est le plus beau plat du dîner.

Le Musigny domaine Comte Georges de Vogüé 1967 est d’une couleur d’un rose fané. Le vin est un peu trouble. En bouche, on a un vin qui n’est pas désagréable, mais qui n’est pas ce que peut donner le domaine de Vogüé. Alors, on est un peu déçu.

Fort heureusement, le Musigny domaine Jacques Prieur 1967 rattrape la mise. Au nez et à l’attaque en bouche, il a des accents de vins de la Romanée Conti. C’est à cause de sa trace saline. Résolument bourguignon, ce vin me plait beaucoup. Il est de 1967, ce qui limite un peu sa puissance. Mais il est plaisant. Sur l’agneau servi en deux services les deux vins se comportent bien, surtout sur la première partie.

Tomo me demande la couleur du vin que j’aimerais goûter maintenant. J’aimerais bien un vin rouge charnu. Le vin est goûté à l’aveugle et je me trompe de région, car ce vin très équilibré, sans aspérité apparente pourrait provenir de plusieurs régions. J’ai eu en tête Haut-Brion mais c’est en fait un Chateauneuf-du-Pape Henri Bonneau Cuvée Spéciale 1998. Il n’y a eu que 2.200 bouteilles de cette cuvée dont Tomo me dit qu’elle n’a été faite qu’en 1990 et 1998. Le vin est opulent, d’un équilibre rare. On a du mal à le cerner, tant tout est intégré, lissé, policé. C’est un beau grand vin surprenant. Je l’aime beaucoup. Nous le buvons sur une tomme de Savoie un peu forte pour lui.

Nous finissons notre parcours avec un Château Rieussec 1958 à la magnifique couleur, agréable, mais qui demanderait à s’étoffer de quelques heures d’aération avant de le déguster.

Le service est amical et attentionné, les plats sont d’une grande justesse. Si l’agneau en deux services est un régal, la deuxième partie étant d’une gourmandise rare, c’est le lieu jaune que j’ai trouvé le plus raffiné. La palme à l’innovation vient de la viande crue au raifort avec la crème de parmesan. C’est une belle idée. La bouteille qui émerge, et de loin, est le Dom Pérignon 1966 magnifique, suivie du vin d’Henri Bonneau 1998 et du Moët 1966.

Tous les vins n’étaient pas parfaits, mais ce qui compte c’est le voyage que nous avons faits dans le temps, avec des convives attentifs, dans une ambiance multilingue joyeuse. Merci Tomo.

 

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