Dîner d’anniversaire au restaurant Laurentdimanche, 26 mai 2013

Changer de décennie, ça se fête. Le noyau dur des parents et amis se retrouve au restaurant Laurent, dans la salle du premier étage qui a accueilli de nombreuses fêtes qui jalonnent mes souvenirs. La forme utilisée pour ce dîner est celle des dîners de wine-dinners. Il portera donc le numéro 169, carré d’un nombre porte-bonheur.

Si le temps le permettait, l’apéritif aurait lieu sur la terrasse, préparée pour nous. Mais ce vilain mois de mai n’en finit pas de nous geler.

Dans un petit salon attenant à la grande salle à manger nous trinquons sur un Champagne Pommery « Cuvée Louise » Jéroboam 1990. Le bouchon résiste et se sectionne imposant de l’extirper au tirebouchon. Ce qui frappe instantanément, c’est le parfum généreux de ce champagne. Les fragrances sont riches, pénétrantes, de lourdes fleurs orangées. En bouche le champagne est d’une belle maturité et l’on sent l’effet du format de la bouteille, qui arrondit le vin d’une grande sérénité. Il emplit la bouche, s’élargit avec des notes de fruits exotiques. On le boit avec un infini plaisir. Les nems de gambas sont de pures délices.

Le menu conçu par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret pour les vins est : mousseline citronnée et anguille fumée, asperges vertes / homard au beurre de sauge / jarret de veau de lait cuit doucement au jus, petits pois à la française / morilles farcies, lard fumé / pièce de bœuf poêlée, servie en aiguillettes, pommes soufflées « Laurent », jus aux herbes / saint-nectaire / soufflé chaud à la fleur de sureau

Le Champagne Krug Magnum 1989 est probablement l’une des formes les plus abouties du champagne racé. Ce vin a une tension extrême. Il claque comme un fouet mais il a aussi son gant de velours lié à l’épanouissement de son âge. C’est un très grand champagne à la longueur infinie et pénétrante, qui profite délicatement du picotement de l’acidité du plat. Il est à noter qu’en repassant sur le Cuvée Louise après une gorgée du Krug, le Pommery ne désarme pas et prouve sa pertinence, sur un registre plus posé.

Le Montrachet Roland Thévenin 1945 a une couleur légèrement ambrée qui me pousse à prévenir mes invités d’être attentif à la façon de le boire, car j’ai toujours peur qu’on pense qu’un vin est madérisé alors qu’il ne l’est pas. C’est la sauce du homard qui résout tous les éventuels problèmes, car elle propulse le Montrachet à des hauteurs qu’il n’aurait pas sans elle. Le vin est très original, car il est gracieux, légèrement fumé et tisané, et produit avec la sauce du homard l’un des plus grands accords de ce repas qui n’en manque pas.

Le Château Haut-Brion 1983 est la définition archétypale d’un Haut-Brion jeune. Il est d’une sensibilité extrême, avec une trame au point le plus fin. A côté de lui, le Château Calon-Ségur 1961 est la séduction même. Il est velouté et charmeur comme il est difficile d’imaginer. Pour toute la table, il est évident que le Calon-Ségur se place au dessus, mais plus le temps passera et plus je ressentirai la noblesse du Haut-Brion comme déterminante. Les deux vins sont dans un état de qualité proche de l’absolue perfection.

Les morilles sont probablement les meilleures que j’aie jamais mangées. Le Pétrus 1988 est d’une jeunesse folle, riche et émouvant. Pour mon goût, c’est la morille qui est dominante mais une chose est sûre, c’est que l’accord Pétrus et morille est le plus grand de ce repas.

Le nez du Clos de Tart 1978, c’est un coup de tonnerre. On devrait l’imposer aux haltérophiles à la place de l’ammoniac, car ils relèveraient la gageure d’Archimède : « donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ». Ce parfum tenace est envoûtant. En bouche, le vin est aussi pénétrant, bourgogne conquérant, sans concession, envahisseur et d’une force peu commune. Il a des amers d’une grande noblesse et c’est pour moi une forme aboutie du vin de Bourgogne que j’adore.

A côté de lui, le Châteauneuf du Pape Domaine de Mont-Redon Magnum 1978 est d’une grande solidité et d’une grande lisibilité. Mais il ne peut pas lutter avec la complexité énigmatique du vin bourguignon même si, en une autre circonstance, on le trouverait de grand plaisir.

J’avais envisagé que les quatre vins rouges qui suivaient les bordeaux se répartiraient région par région. Et en fait j’ai osé ces accouplements canailles pour chaque service d’un bourgogne et d’un vin du Rhône. C’était prendre un risque puisque fatalement il y a un gagnant et un perdant. Pour le bœuf, le Clos de Tart est le gagnant et pour le fromage le gagnant est la Côte Rôtie « La Mordorée » Chapoutier 1990, petite merveille de sérénité, de joie de vivre et d’accomplissement. Ce vin est le George Clooney des arômes.

Ce qui m’étonne le plus, c’est que je n’ai pas réussi à capter La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1986. Son nez est superbe de subtilité, son goût a la grâce des vins du domaine, mais pour une raison que je n’explique pas, tenant peut-être à l’atmosphère rieuse et joyeuse du repas, l’étincelle de ce vin ne m’a pas touché. Et je n’ai aucun reproche à lui faire. C’est donc un grand étonnement.

A l’ouverture des vins, le grand gagnant des parfums, bien au dessus du Clos de Tart, c’était le Château Roumieu Barsac 1937. Il a gardé un parfum exceptionnel, mais moins puissant que celui du Clos de Tart. Ce vin est merveilleux, très marron foncé, évoquant le thé et une soupe de fruits délicats. Avec le soufflé à la fleur de sureau, l’accord est une merveille. Un tel vin est porteur d’une grande émotion, atypique et sensuel.

Ce n’est pas facile de trouver un vin ou un alcool qui ait juste cent ans lorsqu’il s’agit de 1913, car on ne trouve quasiment plus rien de ce millésime. J’ai toutefois trouvé dans ma cave un Marc de Bourgogne Chauvet 1913. Le liquide est très blanc, pâle, d’un aspect très jeune. Il est d’une complexité très rare pour un marc. Bien sûr il a le côté paysan en sabots fourrés de paille du marc traditionnel mais je trouve qu’il ajoute un supplément d’âme. Il est riche, complexe et séduisant. Je l’adore.

Le « greatest », qualificatif attribué à Mohamed Ali, c’est de loin la Bénédictine (vers 1940). J’indique cet âge, mais je ne serais pas étonné que la bouteille soit plus vieille. Le liquide blanc que l’on verse dans le verre coule comme une huile épaisse. En bouche on est envahi par une lave de sucre d’où éclosent des bouquets de fleurs de printemps inimaginables. Je suis envoûté par cette liqueur qui est de la qualité des plus belles Tarragone.

Nous sommes vingt-deux aussi est-ce impossible de faire voter tout le monde. Mon vote sera le seul à consigner dans les archives : 1 – Bénédictine (vers 1940), 2 – Clos de Tart 1978, 3 – Château Haut-Brion 1983, 4 – Château Calon-Ségur 1961, 5 – Champagne Krug magnum 1989. Plusieurs amis n’auraient pas mis Haut-Brion aussi haut et auraient mis le Château Roumieu juste après le Clos de Tart. Ces jugements sont pertinents.

Les accords les plus grands sont à mon goût : 1 – Pétrus et morilles, 2 – Montrachet et la sauce du homard, 3 – Château Roumieu et soufflé à la fleur de sureau.

J’ai été submergé de cadeaux. L’atmosphère était aux rires. Le service du restaurant Laurent est remarquable et la cuisine d’une pertinence rare. Ce fut un grand repas.

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