Dîner d’amateurs de Bordeaux au restaurant le Saut du Crapauddimanche, 17 mai 2015

En mars 2001, je me suis inscrit sur un forum américain de vins, le « Bordeaux Wine Enthusiasts », BWE. Il m’en a fallu du temps pour faire admettre qu’un vin ancien pouvait être bon, tant à cette époque qui paraît aujourd’hui antédiluvienne, tout vin ancien ne pouvait qu’être mort. C’est par les rencontres entre membres que les forums forgent des amitiés. Je suis allé à un congrès à New York où les dégustations furent mémorables (bulletin 72). Un voyage en Bourgogne et à Bordeaux avec des membres de ce forum fut un moment magique, couronné par un dîner au château Margaux où furent ouverts des magnums de Margaux 1961 (bulletins 142 à 145). Dix ans après ce voyage extraordinaire, BWE remet le couvert à Bordeaux. Une vingtaine de membres seront du voyage. Les aléas de mon agenda m’interdisent d’être avec eux mais je vais retrouver quatre d’entre eux, dont le président fondateur du forum, pour un dîner avant leur départ à Bordeaux. Nous sommes cinq, deux canadiens, un américain vivant dans le Maine, un américain vivant à Paris et moi.

Le restaurant le Saut du Crapaud est un petit bistrot d’angle où je me présente à 18h30, en avance pour ouvrir mon vin. On m’ouvre et le chef avec qui je bavarde est direct, simple et m’apparaît comme un amateur de vin. Les plats proposés sont écrits à la craie sur une grande ardoise. Nous discutons des plats qui pourraient accompagner les vins et des modifications de présentation qui amélioreraient les accords. Marco Paz retourne à ses fourneaux et j’attends les amis.

Malgré les recommandations de Tim, l’organisateur du dîner, j’ai apporté un champagne. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1988 a un bouchon qui vient un peu trop facilement et sans pschitt. La couleur est ambrée, d’un or foncé. Le nez est agréable, un peu doux. En bouche le vin a peu de pétillant mais le goût est très pur et agréable. Les évocations sont dorées, de miel et de fruits jaunes. A ma demande on nous sert deux assiettes, l’une d’un pâté et l’autre de saucisson. Ici, on est généreux sur les quantités. Nous grignotons et ces mets sont idéaux pour animer le champagne qui plait de plus en plus à mes amis, lorsqu’ils se sont habitués à ce champagne dont la maturité est supérieure à ce qu’elle devrait être, du fait du rétrécissement excessif du bouchon. Malgré cette évolution j’aime beaucoup ce champagne lourd et de soleil et à la rémanence très forte en bouche.

Le menu que nous prenons est : croustillant de pied de cochon au piment d’Espelette / rognons de veau flambés à la Tequila / faux-filet aux pommes frites et purée.

Le Puligny-Montrachet Les Enseignères domaine J-F. Coche-Dury 2006 est d’un joli jaune citron. Le nez est extrêmement envahissant tant il explose. En bouche, ce vin est une bombe. C’est un guerrier, un Attila gustatif, fou de concentration. Il est très agréable comme cela, mais je pense qu’il deviendra divin avec quelques années de plus. Les pieds de porc sont parfaits pour ce vin.

Chacun des deux plats qui vont suivre vont être accompagnés de deux rouges. Le Cos d’Estournel 1995 a un nez légèrement poussiéreux. En bouche le vin foncé montre qu’il a un potentiel important. On pressent qu’il deviendra exceptionnel, mais je ressens ce vin comme ayant mis le pied sur la pédale de frein. Il est comme encore enfermé dans une gangue. Une des raisons est sans doute l’ouverture tardive des bouteilles. Preuve en est que plus tard, le vin a pris de l’ampleur, confirmant qu’il est la promesse d’un grand vin à forte trame.

Le vin qui suit, que j’avais ouvert près d’une heure avant les autres, est présenté enveloppé d’une feuille d’aluminium pour le faire découvrir à l’aveugle. C’est Château Lynch-Bages 1989. Ce vin est symbolique car le président du forum, Jim, en a tellement voté les qualités que j’ai eu envie de l’acheter. Et le président est bien le président, car Jim a trouvé ce vin sans la moindre hésitation. La couleur est noire et évoque plus un vin de moins de dix ans qu’un vin de vingt-six ans. En bouche l’impression de jeunesse est aussi sensible. Le vin est extrêmement serré, riche, évoquant la densité de la truffe et la mine de crayon. C’est un beau vin, agréable et percutant, qui sera encore plus brillant avec une bonne vingtaine d’années de plus, car il est follement jeune maintenant, plus jeune que le 1996. Le rognon de veau convient bien à ces deux vins.

Le Château Pape Clément 1989 avait à l’ouverture un parfum beaucoup plus flatteur et séduisant que celui du Lynch-Bages de la même année. Sur la viande rouge très goûteuse, il conserve cet avantage de charme. Il est moins fonceur, moins percutant et joue beaucoup plus sur la douceur, l’élégance et le charme. J’aime beaucoup sa subtilité.

Le Château Léoville-las-Cases 1961 a un niveau quasiment dans le goulot de la bouteille. Le nez est superbe, annonçant les délices de son année légendaire. En bouche ce vin est tout velours. Il a beaucoup moins de fruit que les trois précédents mais il a gagné en complexité. Il a une râpe qui évoque un peu les vins de Bourgogne. Il convient parfaitement au plat et à la purée de pomme de terre. Des quatre rouges, c’est le vin que je préfère car sa maturité s’accompagne de multiples complexités. 1961 est une année exceptionnelle et l’équilibre du vin est superbe, vin de bonheur.

Tim a apporté une demi-bouteille, cachée sous une feuille d’aluminium. Le vin a une belle couleur de jeune vin gras et opulent. Le nez indique sauternes et plus que probablement Yquem. Je propose une année déjà mûre et lorsque Tim fait la grimace, je propose Château d’Yquem 2001. C’est un Yquem riche, opulent où abricots, pêches et épices sont joyeux et ensoleillés. La structure est puissante et l’on voit que ce vin a un potentiel énorme. Mais il est dans une phase où il n’est plus tout-à-fait jeune et pas encore assez vieux. On s’en régale mais il serait plus pertinent de l’attendre encore.

Mon classement des vins de ce dîner serait : 1 – Château d’Yquem 2001, 2 – Château Léoville-las-Cases 1961, 3 – Château Pape Clément 1989.

Le restaurant ne paie pas de mine, la cuisine est simple et solide, sur de bons produits. Le service est attentif. Ce lieu sympathique et simple est à recommander. Les amis partent une semaine visiter les châteaux bordelais. Ce repas m’a donné envie de les revoir lors de conventions du forum aux Etats-Unis.

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notre table

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parfois, le langage des mains compense le langage des mots

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