dîner chez Yvan Roux et déjeuner dans le sud avec des vins emblématiqueslundi, 20 juin 2011

Jonathan est un jeune amateur de vin qui est parti vivre en Australie. Quand il revient en France, c’est l’occasion de retrouvailles vineuses. L’idée avait été lancée que nous allions chez Yvan Roux, le magicien des poissons, pour dîner au solstice d’été, le jour le plus long de l’année. Nous agrégeons quelques fous de vins, les propositions de vins pour cet événement sont folles elles aussi, et largement surnuméraires.

Il fait beau, tous se regroupent devant la piscine de ma maison du sud et malgré un programme abondant, j’ouvre un vin qui n’avait pas été prévu, un Champagne Krug Grande Cuvée sans année d’environ vingt-cinq ans, car l’étiquette est d’une ancienne génération de l’étiquetage de ce vin. Le pschitt n’est pas très fort mais réel, la bulle est belle, et ce champagne un peu évolué est d’une noblesse particulière. Il est racé, tendu, précis, à la trace en bouche extrême.

Nous sommes neuf, dont deux femmes qui ne boivent pas, la mienne et celle de mon ami japonais, et nous arrivons chez Yvan pour contempler le paysage unique de la baie de Giens. J’aligne pour la photo quinze flacons dont un magnum, avec la ferme intention de n’en ouvrir qu’un nombre raisonnable, mais avec de tels lascars, la raison est bâillonnée.

Nous commençons par le Champagne Salon magnum 1995. Ce champagne est merveilleusement confortable. On chausse ses pantoufles, on s’effondre dans un lourd fauteuil et l’on est sur le nuage du monde de Salon. Ce 1995 est à un moment idéal de sa vie. Il est encore en pleine jeunesse, il n’a pas de signe d’évolution, et il est serein. Il n’en dit pas plus qu’il ne faut, car il joue comme Federer, sans donner l’impression de se presser. Je suis conquis par son équilibre.

Yvan nous a préparé ce menu : tempura de fleur de courgette, tempura de sauge, tempura de lotte / seiches en papillotes au chorizo de Pata Negra et confit d’échalotes déglacées au Martini Dry / chorizo en tranches / carpaccio de denti et suprêmes de pamplemousse / chapon à l’ail confit / langouste aux lardons / moelleux au chocolat, caramel au beurre salé et glace vanille.

Yvan a fait une cuisine très lisible, idéale pour créer de beaux accords.

Le Château Laville Haut-Brion 1967 est d’une couleur d’une folle jeunesse. Son parfum est précieux et en bouche, c’est un beau vin. Il n’est peut-être pas flamboyant, mais il est riche et précis. Nous l’adorons sur les seiches au gout prononcé. Le Puligny-Montrachet Louis Chevallier 1964 est bouchonné aussi est-il suivi par un vin grec qu’un ami a apporté pour contribuer à la réduction de la dette grecque : Ilios, vin blanc sec de Rhodes 1987. La réduction de la dette est pratiquement le seul avantage de ce vin qui ne nous a pas inspirés.

L’ Hermitage Chave blanc 1989 est d’une toute autre trempe. C’est un vin solide, carré, en pleine possession de ses moyens, avec un langage épuré comme savent l’avoir les vins du Rhône.

Il faut avoir la foi du charbonnier pour reconnaître qu’il s’agit d’un Hermitage Chave blanc 1983, car la bouteille lourdement empoussiérée est plus noire que la face d’un charbonnier. Elle a séjourné depuis son enfance dans la cave bourguignonne du domaine Dujac dans des conditions idéales. Et cela se traduit par un vin sublime, qui transcende le message du 1989. Ce vin a tout pour lui, avec un fruit extrême et une mâche délicieuse. C’est un vin de bonheur. Il sera mon préféré de ce soir.

Je ne connaissais pas l’existence du Champagne Roses de Jeanne Pinot Blanc La Bolorée Cédric Bouchard 2005, champagne ultra confidentiel. Ceux qui le connaissaient en attendaient beaucoup. Si j’ai aimé l’extrême précision de ce champagne, je ne peux pas dire que j’ai été gagné par une énorme émotion. Ce vin est grand, propre, racé, mais il manque de folie.

Nous allons passer maintenant à une confrontation de trois vins sur le chapon. A gauche, le Clos de la Roche domaine Dujac 1978 a un nez bourguignon tonitruant. En bouche, il est follement bourguignon, avec énormément de matière et de séduction, mais je ne le trouve pas assez précis, ce qui va un peu limiter le plaisir. Au centre, le Château Rayas rouge 1988 servi un peu chaud montre trop son alcool aussi ce vin est celui qui me rebute le plus au départ. Mais la soirée se rafraîchissant, le vin s’est transformé, prenant un charme exceptionnel. Il y a une intelligence dans ce vin au discours galant qui force le respect. C’est un vin de grande tenue, jeune, riche et avenant. La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1979 complète bien la trilogie, car c’est une Landonne calme, relativement discrète. Elle a énormément de charme, et sa subtilité soutient la comparaison avec les deux autres vins. Jeremy avait apporté deux vins de Dujac aussi avons-nous, sur son insistance, bu le deuxième Clos de la Roche domaine Dujac 1978 au style très comparable au premier, certains d’entre nous préférant la première et d’autres la seconde bouteille. Après ces quatre vins de très grande qualité, mon choix est : 1 – Rayas, 2 – Landonne et 3 – les deux Dujac. Nous avons conscience d’avoir côtoyé de très grands vins, le Rayas en Chateauneuf-du-Pape très stylisé, équilibré et profond, la Landonne en charme et en équilibre aussi, et les deux Clos de la Roche, terriblement bourguignons, fous d’évocations brillantes mais à qui il a manqué un petit zest de squelette.

Deux rouges non ouverts seront pour demain et nous passons sur le dessert au Château Climens 1962 à l’or blond et toute la grâce de Climens. C’est un très grand Barsac, riche, fruité, intense, ravissant de fraîcheur.

Comme si nous n’étions pas rassasiés, nous avons ouvert un très rare whisky Single Cask Malt Whisky Karuizawa 1967 qui titre la bagatelle de 58,4°. Fruité, il ne donne pas l’impression d’alcool. Nous n’avons fait que tremper nos lèvres, car un déjeuner est prévu chez moi le lendemain.

Ce fut une fois de plus un beau repas chez Yvan Roux dans un cadre enchanteur dont nous avons profité en cette longue veillée. Les saveurs les plus belles ont été, à mon goût le tempura de lotte et le carpaccio de denti. Mais la vedette était aux vins, avec mon classement : 1 – Hermitage Chave blanc 1983, 2 – Rayas 1988, 3 – La landonne Guigal 1979, 4 – Salon magnum 1995, 5 – Climens 1962. Il aurait fallu inscrire aussi le Krug, mais il avait été bu en un autre lieu.

La nuit fut rude, car nous avions beaucoup bu. Les arrivées s’échelonnent et nous voilà repartis pour une folle équipée. Nous ne sommes plus que sept, dont cinq buveurs au déjeuner dans notre maison du sud. Au programme nous trouverons, boutargue, Cecina de Leon, Côtes de bœuf cuites à la plancha avec des pommes de terre en dés, cuites aux herbes du jardin, camembert Jort, Salers et petits chèvres, salade de fruit, cake japonais au thé vert et cerises, et petits fours.

Le Champagne Salon 1997 est délicieusement floral. Il est romantique, un peu puceau, et n’a pas l’assise tranquille du 1995 d’hier. Mais il est charmant dans sa grâce légère. Le contraste est très fort avec le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 plus dosé et plus affirmé que le Salon, au fruit lourd. C’est un champagne puissant, fonceur comme Churchill.

Il nous restait deux rouges du programme officiel, mais pour copier le schéma d’hier, j’ai rajouté un vin espagnol pour que la confrontation se fasse à trois vins.

Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1999 est un grand vin subtil qui joue un peu dans la discrétion. Très fin et racé, il se boit bien, mais on aimerait qu’il appuie un peu sur l’accélérateur. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996 est l’archétype du charme des vins de Guigal dans leur jeunesse. Il est rond, fruité, bien dans sa peau, sûr de lui. Son final très frais est mentholé.

Mais à côté des deux, le Vega Sicilia Unico 1989 est d’une insolente perfection. Si Robert Parker a influencé beaucoup de vignerons pour qu’ils fassent des vins boisés, très mûrs, directs et sans chichis, ce vin espagnol est la sublimation de l’idéal parkérien. Ce vin a tout pour lui, avec une précision horlogère. Le nez est riche avec un cassis subtil, la mâche est allègre, car la force se combine avec une étonnante fraîcheur. Le vin lourd et complexe glisse en bouche et dégage comme la Mouline une fraîcheur mentholée d’une rare élégance. On est dans l’excellence, et ce vin résolument moderne mais maîtrisé est mon gagnant sur ces deux jours. Mes amis sont étonnés que le Vega Sicilia aille aussi bien avec le camembert Jort délicieux. Ce fromage se marie aussi bien avec le Pol Roger.

Le classement des trois rouges est naturel : 1 – Vega Sicilia Unico 1989, 2 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996, 3 – Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1999.

Au cours de ces deux repas nous avons partagé des vins emblématiques de grande qualité. Ce parcours un peu fou nous a réjouis. Nous avons décidé d’institutionnaliser le dîner du 20 juin, pour profiter lors d’un long soir de joyaux de nos caves.