Dîner chez Guy Savoyvendredi, 14 février 2003

Dîner chez Guy Savoy. Mes invités qui n’étaient jamais venus dans ce temple sont allés d’émerveillement en émerveillement. Je partage à chaque fois ce sentiment, tant je succombe à ce talent que je goûte comme une première fois.
Sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar, Domaine de Chevalier blanc 1998. Très caractéristique de ce domaine, où les vins sont plus rêches que d’autres Pessac Léognan. C’est riche de saveurs sur des registres extrêmement étendus. Avec Carbonnieux, on est sur des blancs secs que j’aime, faits de profusion de goûts et d’évocations. Mais j’avais entendu la voix du Jura ! Alors que je prévoyais un vin de l’Etoile en fin de repas, j’ai précipité son apparition pour avoir ce mariage avec le Sévruga. Si le Domaine de Chevalier est déjà un mariage de belle tenue, le mariage avec L’Etoile « en monts Génezet » Voorhuis-Henquet 1996 est une apothéose. Ce plat si raffiné dont les saveurs iodées durent éternellement en bouche devient encore plus grandiose. Voilà un accord rare. Le vin de l’Etoile (on l’appelle l’Etoile parce que le vignoble est situé entre cinq collines harmonieusement situées) a une puissance, une densité une présence qui fait pâlir le Bordeaux pourtant si bon. Sur des lentilles à la truffe, il faut vite quitter les blancs, et prendre le vin rouge.
Un ris de veau brillamment exécuté mérite Côte Rôtie La Landonne Guigal 1996. Tout en force, ce vin généreux frappe par la simplicité du message. On ne cherche pas à explorer des chemins de traverse. On va droit au but, remplissant la bouche d’un message unique : « je suis bon, je suis généreux, vive Côte Rôtie ! ».
Sur le fromage ont été essayés les trois vins. C’est l’Etoile qui est le plus à son aise. Un dessert à la mandarine d’une miraculeuse façon a permis un accord attendu mais grandiose avec un Garrafeira H & H Boal Madeira 1954 Vintage. Le Madère, étonnant pour un Madère, a été catapulté par la mandarine dans des palettes de goût explosives. C’est un peu comme dans ces boutiques de Province où la porte est gardée par un rideau chasse mouches. Ce rideau est fait de tuyaux d’orgues, et lorsqu’on le soulève, c’est une armée de clarines qui vous tinte dans les oreilles. Là, ce Madère tinte en bouche de milliers d’explosions, excité par une mandarine guérillero. J’aime vraiment de plus en plus ces mariages d’excitation sensorielle. Au risque de me répéter, Guy Savoy est un créateur au talent extrême. Le service du pain est un cérémonial agréablement amusant. Le sommelier est un compagnon apprécié. Le service est d’une attention qui flatte la gastronomie française. Cette troisième étoile est bien accrochée !