dîner au restaurant Picasso de Las Vegasvendredi, 9 novembre 2007

Mon programme « officiel » est terminé. J’avais changé mon vol vers Paris en tenant compte de ce crochet par Las Vegas mais je m’étais trompé sur la date du dîner chez Robuchon. Il me reste un jour et j’invite mon ami de Las Vegas à dîner avec l’agent des plus grands vins de Bordeaux qui est en amont de l’immense Southern Wine & Spirits visité il y a deux jours. Le rendez-vous est pris par mon ami dans l’un des bars du Bellagio qui jouxte la zone de jeu, « le Fix ». Les serveuses de ce bar sont de véritables gravures de mode, de tous les métissages possibles, et leurs robes, si on peut appeler ainsi le minimum de tissu qui les couvre, doit avoir pour fonction de donner envie de consommer ou de jouer. Après un apéritif dont la discussion est sans cesse interrompue de coups d’œil coquins, nous allons au restaurant Picasso, restaurant deux étoiles dont le chef est le sympathique Julian Serrano qui bavardera longuement avec nous après le service. L’immense salle est entièrement décorée de tableaux de Picasso d’une rare beauté et d’une valeur impressionnante. Le restaurant paie chaque année plusieurs centaines de milliers de dollars pour avoir le droit d’utiliser le graphisme exact de la signature de Picasso. Notre table en extérieur est sur une terrasse au bord d’un lac. Nous avons la même impression que celle du grand restaurant qui borde le lac d’Enghein, ou que celle d’un élégant lac italien. La seule différence est qu’ici nous avons en face de nous la Tour Eiffel et l’Arc de Triomphe côte-à-côte, d’une taille divisée par trois. Un spectacle aquatique de centaines de jets d’eau synchronisés avec la musique ambiante va me pousser à prendre une myriade de photos. Quand le final de chaque morceau projette en l’air des tonnes d’eau à cent mètres de hauteur ou plus, nous avons par la suite une délicieuse brise fine comme un brumisateur. Le menu a déjà été composé par mon ami et nous commençons par un champagne Laurent Perrier rosé non millésimé qui se marie à la perfection au caviar Osciètre posé sur des tranches de pommes de terre. Nous goûtons ensuite un Puligny-Montrachet 1er cru le Cailleret, domaine de Montille 2004 qui est plaisant riche et de belle longueur. Mon ami a apporté trois rouges que nous goûtons à l’aveugle. Je trouve la région mais je me trompe de vingt ans sur les années. Il s’agit de Château Grand Puy Lacoste 1962, de Château Croizet-Bages 1961 et de Château La Tour Figeac 1961, domaine que j’avais visité, qui enjambe le Pomerol et le Saint-émilion, mais est un saint-émilion. Le menu est assez spectaculaire : filet de flétan, sauce safran et mousseline de chou-fleur / salade tiède de caille, salade frisée à la truffe et cœur d’artichaut / pigeon rôti, asperges vertes, risotto de riz sauvage et pignons de pin / mignon d’agneau, ragout de flageolets au jus / assortiments de fromages, saint-marcellin, époisses, camembert, fleur de maquis, manchego, cabrales / symphonie de desserts Las Vegas. L’exécution est très semblable à celle de Patrick Pignol. C’est de la cuisine bourgeoise élégante. Les vins sont d’une belle jeunesse, le 1962 étant moins épanoui que les 1961. Je crois que c’est le meilleur Croizet-Bages que je n’aie jamais bu et le La Tour Figeac est le meilleur des trois, avec un velouté charmant. Les desserts sont accompagnés d’un Pedro Ximenez Emilio Lustau 1961 que je devine rien qu’à son odeur, sans avoir besoin de goûter. Non loin de nous, nous voyons une table avec deux hommes et quatre jeunes filles qui ressemblent à s’y méprendre aux playmates de Play Boy. Le corps est bodybuildé, le bronzage est aussi précis que la cuisson des œufs coque, l’usage du silicone est largement distribué, et le sourire de gorge indique que le petit cadeau de fin de soirée sera royal. Cette vision entraîne de la part de mes jeunes convives des réactions exorbitées qu’on ne voit que dans les dessins animés, et chaque fois qu’une de ces beautés aux émotions tarifées traverse la salle, ce que nous voyons à travers les vitres car nous sommes en terrasse, c’est une traînée de langues pendues et de silence qui accompagne leur démarche aussi discrète que sur la scène du Crazy Horse. Rappelons que le Fix et le Picasso sont dans mon hôtel, le Bellagio, dans une aile que je n’avais pas encore visitée. Le retour à ma chambre est une promenade digestive, au milieu de milliers de tables de jeu fréquentées pas des milliers et des milliers de personnes. Las Vegas est une ville superlative. Lorsque je me rends à l’aéroport pour rejoindre Paris, j’ai une petite tristesse, car cette ville de toutes les extravagances est attachante, justement du fait de ses exagérations. La pluie à Paris et ma valise perdue sifflent la fin de la récréation.