dîner au restaurant Geranium à Copenhaguejeudi, 2 juin 2011

Après une sieste réparatrice, nous partons dîner au restaurant Géranium, un peu excentré par rapport à la ville de Copenhague, près d’un stade et d’un parc, au huitième étage d’un immeuble d’où la vue est splendide. Ici, ce n’est plus « la bonne franquette », comme nous l’avons vécue au restaurant Relae et au restaurant Aamann. Lorsque l’on sort de l’ascenseur, l’entrée est toute noire, et des hôtes et hôtesses habillées de couleur marron sombre annoncent un endroit luxueux. Nous traversons un petit salon où une cheminée toute en verre brûle de l’éthanol, donnant l’impression que la flamme flotte dans les airs. La salle est spacieuse, élégamment colorée, et les serveuses hautaines et extatiques donnent un aspect guindé à l’endroit, qui contraste avec la chaleur de contact trouvée jusqu’alors. Seul le sommelier, Michael, ravi de pouvoir parler à des gens intéressés par le vin, fera un service compétent et attentionné. Ses yeux miroitent lorsqu’il nous sert, mais aussi lorsqu’il goûte nos vins, prélevant une généreuse portion.

Nous sommes embarqués pour vingt étapes d’un menu qui ne nous sera révélé qu’en fin de repas. Le service est réglé de façon militaire et impersonnelle. Il faudrait donner des cours de diction aux serveuses, car à chaque présentation de plat, nous sommes obligés de faire répéter les intitulés, découragés souvent par des mots incompréhensibles. Voici le menu in extenso : carrot and seabuckthorn / green apple, celeriac & chervel / new beetroots & apple vinegar / crispy pork’s ear & sorrel / potato chips & seaweed / seasalt cheese & ramsons / king crab, lumpfish roe & green strawberries / cold tomato juice, wild flowers & gelled ham / asparagus beer, smoked cream cheese & verbena / « summer feelings » salted mackerel, frozen dill & horseradish / grains & onion in two servings / lightly smoked peas, soup made from new potatoes & lovage / sprouts of cabbage stalk, langoustines & rhubarb / herb garden / stuffed chicken with burned branches, juniper & morels / elderflower / synthetic strawberries rosehips & yoghourt / milk in mysterious ways / grain coffe caramelized grains & cloudberry / green spheres caramel & pine.

La cuisine est résolument moderne, très technique, tournée vers les herbes. La recherche de combinaisons audacieuses domine. On privilégie parfois la virtuosité à la cohérence, lorsque la chair principale, comme pour la langoustine délicieuse, est noyée sous des déluges légumiers. Et tout au long du chemin, il manque de la mâche, du dur à croquer. Car à force de suggestions, on voudrait enfin manger. Et l’exaspération est arrivée au moment du service des petits pois. Nous avions envie de crier : « quand est-ce qu’on mange enfin ». Et Jean-Philippe qui est allé voir le chef en fin de repas a eu l’explication. Le chef a eu une jeunesse végétarienne et il veut explorer les plantes et les herbes. Et comme nous sommes au début juin, tous les jeunes fruits et les jeunes légumes sont disponibles, ce qui explique son champ d’expérimentation. Nantis de cette explication tardive, force est de reconnaître que cette expérience est très intéressante.

Il faudra sans doute revoir le rythme du repas pour que la monotonie ne s’installe pas et garder cet esprit inventif et virtuose qui justifie que ce chef ait eu le Bocuse d’Or en 2011.

Que s’est-il passé du côté des vins ? Nous avons commencé par un Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en décembre 2009 magistral qui démarre sur un aspect fumé et relativement austère puis s’élargit dans le verre au fil du temps de façon spectaculaire. C’est un très grand champagne, plus serein que certaines versions antérieures de Substance.

Le Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2005 a un nez impérial. Il en impose ! Il y a des notes mentholées, de noisette et de beurre dans son parfum. En bouche il est aussi imposant, solennel. C’est un grand vin blanc de stature, de structure, mais aussi de plaisir. Sa mâche est forte. A noter que le vin blanc donne au champagne un coup de fouet qui le stimule, le simplifie, mais lui apporte un panache exceptionnel. Les deux se complètent.

Le Château Rayas rouge Chateauneuf-du-Pape 2001 est tout simplement une merveille. C’est une mécanique de précision. Tout en lui joue juste. Il est tellement équilibré qu’aucune critique ne pourrait l’effleurer, si même on y pensait. Quel plaisir de boire ce grand vin, juteux, long en bouche, facile à comprendre tant il est bien fait.

Le Château d’Yquem 1969 est le cadeau d’un des amis présents, compagnon fidèle de nombreuses folles aventures. L’or est beau. Le nez est noble et distingué. En bouche cet Yquem peu puissant est tout en délicatesse. J’aime cette forme discrète d’Yquem qui au fil du temps « mangera » son sucre. Ces Yquem élégants et distingués sont parmi les meilleurs.

Mon classement des vins serait : 1 – Château Rayas rouge Chateauneuf-du-Pape 2001, 2 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 2005, 3 – Château d’Yquem 1969, 4 – Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en décembre 2009. Pour qu’un champagne que j’adore soit placé en fin de liste, il faut que le niveau ait été très fort. C’est le cas.

En revenant à l’hôtel en taxi, nous nous disons tous à quel point nous sommes heureux d’avoir fait cette expérience d’une cuisine sincère, en pleine recherche, disposant d’un bagage technique hors du commun. A revisiter sans hésitation dans quelques années.