Dîner au restaurant Garance avec une sublime Romanée Contijeudi, 14 février 2019

Mon ami Tomo reçoit des offres de vendeurs de vins dont beaucoup sont les mêmes que celles que je reçois. Une offre d’une Romanée-Conti m’interpelle mais le prix me semble dissuasif. J’aimerais acquérir cette bouteille pour la boire et je propose à Tomo que nous l’achetions à deux pour la partager. Tomo avait lui aussi décidé de ne pas suivre l’offre pour lui-même et je lui propose l’acquisition commune, ce qui est quand même une folie.

Nous décidons d’être fous. La bouteille est livrée par le marchand au restaurant Garance où nous dînerons, Tomo et moi. Tomo me propose d’ajouter un Montrachet et je lui propose d’ajouter un Musigny blanc. La cause est entendue et à 18 heures nous nous retrouvons au restaurant pour ouvrir les bouteilles. Les vins sont jeunes et l’ouverture ne cause aucun problème.

Le parfum du Montrachet Domaine Ramonet 2008 est une bombe de fragrances riches. Ce vin explose de générosité. Le Musigny blanc Domaine Comte Georges de Vogüé 1990 a un parfum plus calme et plus intense. Il promet de belles choses. La Romanée-Conti Domaine de la Romanée-Conti 1991 a un parfum discret d’une belle noblesse. Les trois vins semblent conformes à ce que l’on peut en attendre. Tout va bien.

Guillaume Muller directeur du restaurant nous propose des verres de Champagne Dhondt-Grellet extra brut sans année. Ce champagne est une très heureuse surprise car il n’a pas le caractère parfois ingrat des champagnes ultra bruts. Il est très précis et bien fait. Je fais la connaissance de Alexis Bijaoui, le nouveau chef qui remplace Guillaume Iskandar. Il a 29 ans et a travaillé dernièrement à l’Arpège. Il est extrêmement sympathique.

Nous avons le temps de préparer notre menu. Nous prendrons deux plats communs, le premier et le troisième, et nous différerons sur le choix du second. Mon menu sera : Saint-Jacques servies en coquilles, truffe noire et sauce au bois de genièvre / Carré de cochon, pressé de pomme de terre, mijoté et sabayon de noisette dont j’ai fait enlever l’oignon grillé / Canard gras boucané puis laqué, risotto de navet boule d’or et sarrasin, dont j’ai fait enlever la sauce aux algues.

Avant le dîner Tomo a envie de goûter aux deux blancs et le chef nous prépare des toasts au foie gras dont le pain grillé est excellent, des brioches gourmandes et des petites tartes à la betterave. Ces petits grignotages d’apéritif montrent la belle sensibilité du chef.

Le Montrachet Domaine Ramonet 2008 est toujours une bombe olfactive. Il est si jeune qu’on le sent pétrolé, ce qui s’estompera avec l’élargissement du vin dans le verre. En bouche le vin est rond, généreux, plein et riche et a une joie de vivre communicative. C’est vraiment un montrachet généreux comme certaines années du montrachet de la Romanée Conti dont il a la puissance.

Le Musigny blanc Domaine Comte Georges de Vogüé 1990 a un nez racé et profond. En bouche ce qui frappe, c’est qu’il est incisif et tranchant, laissant une trace très longue en bouche. Il est profond quand le montrachet est rond. Ils sont extrêmement dissemblables. Du fait de l’âge, le Musigny est plus gastronomique et intéressant, mais le montrachet dans sa jeunesse est entraînant.

Tomo dit qu’il n’a jamais mangé d’aussi bonnes coquilles Saint-Jacques et c’est vrai qu’elles sont succulentes, presque crues, à peine cuites, de telle façon que la sucrosité de la coquille est encore présente. L’accord avec la truffe est pertinent et sur la coquille seule, le Montrachet est parfait. Sur la coquille associée à la truffe, c’est le Musigny qui est le plus pertinent.

Le cochon et son gras généreux sont succulents. C’est le Musigny qui est le plus pertinent et la préparation des pommes de terre a un goût trop fort pour les vins qui demandent plus de douceur.

Nous nous régalons avec ces deux vins blancs si disparates qui s’épanouissent dans les verres, prenant plus de rondeur pour le Musigny et plus de maturité pour le montrachet.

Tomo a tellement envie de goûter la Romanée Conti qu’il trépigne. Alors, bien que nos verres de blancs ne soient pas vides, nous passons à la découverte du rouge.

La Romanée-Conti Domaine de la Romanée-Conti 1991 a une couleur clairette pour le haut de la bouteille, toujours plus clair. Le niveau dans la bouteille était au plus haut possible, ce qui avait pesé dans ma volonté de l’acquérir. Le nez est tout en suggestion raffinée, c’est Aramis. En bouche le vin est d’une rare distinction. Alors on l’écoute. Et c’est un festival de madrigaux. Il raconte la carte du Tendre. C’est, je pense, l’un des tout meilleurs des vins jeunes du domaine que j’ai eu la chance de boire. L’avantage de n’être que deux à boire une bouteille, c’est qu’on peut revenir sur le vin et l’écouter à l’infini.

Le canard a une chair superbe. La sauce n’est pas adaptée au vin car elle est lourde. Il eût fallu une sauce au sang mais il faut bien dire que nous n’avions pas du tout préparé ce dîner. Sur la chair seule, la Romanée Conti est un roman d’amour, pianotant ses subtilités avec une grâce infinie. Quel bonheur !

Le sel, marqueur habituel des Romanée Conti trouvant une résonnance particulière sur de fines tranches de navet cru, je demande que l’on me fasse une petite assiette de ces tranches crues pour titiller le vin rouge, mais on m’apporte des tranches de navet et de truffe imbibées d’une huile, ce qui rend l’accord impossible. Tant pis, ce n’est pas grave.

Il reste dans les trois verres de quoi boire et l’expérience à laquelle nous allons nous livrer est intéressante. Un saint-nectaire est d’un affinage parfait. Il est délicieux et joue à la perfection le rôle de remise à zéro de nos palais. C’est incroyable. On boit un des vins blancs, on mange un peu de saint-nectaire et le palais est comme neuf et l’on peut passer au rouge et vice versa. Jamais je n’aurais imaginé une telle efficacité du passage par la case fromage pour permettre de voyager entre les vins.

De ce voyage il apparaît que le Musigny est nettement plus complexe et profond que le montrachet alors que cette différence n’était pas aussi sensible en début de repas et la deuxième constatation est que la Romanée Conti est transcendantale par rapport aux deux vins blancs. Des Romanée Conti comme celle–ci sont des moments de grâce absolue.

Le vendeur de cette bouteille, que nous connaissons bien avait apporté avec la bouteille une petite fiole annoncée comme contenant un Moscatel du 19ème siècle. Le liquide que nous buvons est d’une délicatesse infinie. Il y a du gras, de l’onctuosité, mais il y a surtout une cohérence et un accomplissement qui n’appartiennent qu’aux vins doux de plus d’un siècle. Ce pourrait être de la région de Porto, mais je le verrais aussi bien de Madère. Ce fut un joli point final à un repas qui restera longtemps dans nos mémoires tant cette Romanée Conti fut belle.

Guillaume Muller gère avec pertinence son restaurant et Alexis montre un grand talent dans les cuissons. On ne peut pas lui imputer les inadéquations passagères avec les vins, car nous n’avions rien préparé et demandé. A 29 ans Alexis apportera très vite une étoile au restaurant Garance. Alors, achetons vite des vins de folie !

La couleur des vins : Musigny / Montrachet / Romanée Conti

Le Moscatel