Dîner à l’Ecu de Francevendredi, 25 octobre 2002

Le soir, dans mon repaire secret, là où une cuisine authentiquement bourgeoise permet d’ouvrir des flacons rares, nous commençons par Krug 1988, déjà souvent décrit dans ces bulletins. On ne se lasse pas. La couleur est belle, la bulle est pondéreuse, forçant son passage dans le palais, et le vin s’exprime avec sa lourdeur, créant une sensation enivrante de parfum capiteux. Tant de fois on consomme un champagne en se concentrant sur les conversations qui vont orienter la soirée. On oublie alors ce liquide parfois franchement indifférent. Mais là, ce Krug est « la » conversation. Il ne laisse personne inattentif. On imaginerait poursuivre tout un repas avec lui tant son aspect charnel favoriserait même les gibiers.
Un Domaine de Chevalier blanc 88 est toujours un moment d’émotion. Il y a des tonnes de complexité dans ces Bordeaux blancs. La glycérine domine à l’ouverture, puis s’efface, pour laisser la place à des épices, des agrumes, et sur des huîtres chaudes, le citronné du Domaine de Chevalier surfe avec bonheur.
Sur un lièvre, Château Rayas 85 s’affirme. Ce qui m’a frappé instantanément, c’est l’extraordinaire synthèse de ce vin. C’est simple, mais comme peut l’être le David de Michel Ange. On sent que le domaine a dit en 1985 : « laissons faire la nature ». Et on a un vin authentique, sans fioriture, qui est l’expression absolue du vin de plaisir, plaisir obtenu par une structure épurée sans concession. C’est les Gymnopédies d’Erik Satie ou un texte de Raymond Devos : de la perfection taillée dans la simplicité.
Sur une soif finale, tant les grands flacons se vident vite, Les Noëls de Montbenault 1997 Coteaux du Layon sélection de grains nobles Faye d’Anjou Sophie & Richard Leroy. Ça a le mérite d’être gentil, mais on revient sur terre. On revient vers du vin, alors que l’on goûtait de la grâce.

A propos de vins ramenant sur terre, chez Sormani, ce bon italien « branché » au patron si sympathique et amoureux des vins, un gentil Libaio Chardonnay Toscana 2000 Ruffino se boit quand on a soif, et un Spelt Montepulciano d’Abruzzo 1997 est acceptable. Sur un très honorable et juste risotto, l’Italie peut mieux offrir.