DINER A L’ASTRANCEjeudi, 13 mars 2003

J’arrive enfin à avoir une table à l’Astrance dont on m’avait dit tant de bonnes choses. Belle devanture, décoration réussie sur des tonalités de gris atteignant leur but : on se sent bien. L’accueil est franc et ouvert.

On prend le menu surprise, pour justement se faire surprendre. Une carte des vins très intelligente (vraiment bravo), qui incite à prendre de grands vins : je choisis un Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1993. Le menu est l’occasion de plaisirs rares. Tout est évoqué avec une subtilité extrême. J’ai retenu dans l’ordre un saumon à la cuisson magique, un turbot excellemment exécuté, et une association de lamelles de champignon de Paris avec un foie gras aérien. Ces saveurs suggérées, habilement séductrices comme les caresses d’un premier flirt, cela flatte largement les papilles qui se sentent considérées. Inutile de dire que le Montrachet, dans ce contexte, se présente comme le crooner devant un public de fans : il peut forcer son talent, il est sûr d’être applaudi. Le plus bel accord fut avec la très tendre et délicate chair du blanc de pintade. C’est cela qui fait éclater tout le feu d’artifice du Montrachet. Je ferai toutefois deux remarques à son propos. D’abord, un vin blanc, beaucoup plus qu’un rouge, est sensible à la variation de température. Un peu chaud, il est tout en parfum, mais cela tue le goût. J’aurais dû pouvoir contrôler moi-même les passages en seau de ce vin si sensible à ces variations. La deuxième remarque est qu’un vin blanc fait plus difficilement la totalité d’un repas qu’un vin rouge. C’est paradoxal, car ce Montrachet brillait sur toutes les tonalités nombreuses de ce si ingénieux menu. Mais Montrachet me semble plus fait pour la fulgurance d’un numéro que pour la constance d’un one man show. J’avais déjà eu cette sensation avec un vin du Jura qui peine à faire seul le témoin référent d’un dîner. Même constatation.

J’ai eu tant de plaisir en cette maison en devenir que j’ai fait comme du temps de Joël Robuchon : j’ai réservé la prochaine table avant d’avoir quitté le lieu.