deuxième repas gastronomique au Casadelmarsamedi, 1 octobre 2011

Le lendemain matin après des longueurs de piscine dès potron-minet, branlebas de combat. Je suis le capitaine d’un grand semi-rigide au moteur puissant. Je vais réaliser un rêve. C’était une utopie, tant j’imaginais que sans doute ma vie se passerait sans que cela n’arrive. Nous irons par la mer à Bonifacio, contemplant les falaises et les maisons en équilibre « par en dessous ». Quel bonheur ! Le site de Bonifacio, côté mer ou par l’entrée au port est un spectacle inouï.

Nous avons prévu de déjeuner à Marina di Cavu, un hôtel qui appartient à une chaîne « Chateaux et Hôtels Collection » dont fait aussi partie Casadelmar. Nous accostons à un embarcadère et un taxi nous attend pour nous y conduire. Un monsieur se présente. Je lui serre la main et il me dit : « je suis le propriétaire de Marina di Cavu, je vous emmène. Vos amis prennent le taxi, venez avec moi ». Et sur le trajet, Jacques Bertin me raconte sa vie, ses ambitions en matière d’hôtellerie et de restauration.

Le chef Julien Diaz a travaillé cinq ans avec Davide Bisetto et sa cuisine est naturellement imprégnée des idées de son mentor. Nous avons très correctement déjeuné dans un cadre qui pousse à la paix de l’âme.

De retour à l’hôtel, sieste puis ouverture des vins du soir. Davide le chef est à nos côtés pour l’apéritif et l’on sent bien l’amitié qui se renforce, fondée sur la recherche de l’excellence culinaire et des accords mets et vins. Davide est en quête permanente de perfection, en s’appuyant sur des recettes locales et ancestrales et en les revisitant. C’est un bonheur de l’écouter expliquer ses cheminements.

Les canapés sont copieux et le champagne Jacques Lassaigne Le Cotet est toujours aussi agréable dans une construction de bon aloi. Il est précis, net, et met naturellement en valeur le Champagne Bollinger R.D. 1979 qui est très jeune, à la bulle discrète, de belle structure. Ce champagne racé est bien excité par les anchois, et surtout par les beignets d’anémones de mer.

Le menu composé par Davide Bisetto pour nos vins est ainsi rédigé : seiches comme des pibales, enokis / fenouil- palourdes – mandarine – corail d’oursin / affogato de cannocchie, langoustine-tourteau / saint-pierre, eau de pistache, ormeaux, salsifis a la colature d’anchois / « pasticcio » de pigeon et cèpes / agneau rôti au piment, miel et charbon végétal / fromages corses / mûre-zola / boule kaki.

Le Château Laville-Haut-Brion 1979 a une belle couleur. Le nez est fermé, d’alcool et de glycérine. Il est un peu amer et ce n’est qu’après quelques gorgées que l’on ressent que la gêne vient d’un goût de bouchon. Heureusement la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1979 va nous combler d’aise. Son nez est de pierre à fusil. En bouche, il est beau, fruité, joyeux, rond. Chose amusante, le Savennières met en valeur le Laville et le rend plus structuré, presque buvable. Le vin de Nicolas Joly ne va pas du tout avec le plat de seiches. Il n’est brillant que seul, alors qu’on sent que le Laville pourrait être parfait. Il ne fait pas de doute que pour cette étape, c’est le plat qui est le gagnant.

Le plat de palourdes est extrêmement iodé. Le Corton-Charlemagne Domaine Bonneau du Martray magnum 1992 est d’une élégance exceptionnelle. Je sens de la brioche et des agrumes. Le vin est racé et l’accord est vibrant. Le fenouil est magistral. Par une formule dont on excusera le côté corps de gardes, je note : « le plat est couillu mais c’est le vin le mâle dominant ». Le vin est capable de capter aussi bien l’iode que le fenouil, les agrumes ou l’huile. Il capte tout et prend une longueur extrême. Je le trouve chaleureux. Quand le palais s’apaise la mémoire garde la palourde, le côté pâtissier du vin, la clémentine et le fenouil.

Le deuxième plat associé au magnum est très fort. Le romarin est prégnant et la sauce est forte, ce qui éteint le vin qui devient plus étriqué, même s’il exprime de la menthe et de la réglisse. Le plat est classique et très goûteux. Le vin ne redevient lui-même que quand l’assiette est retirée.

Le Bâtard-Montrachet Domaine Ramonet 1992 me donne un coup de poing au cœur, comme chaque fois que je ressens un vin parfait, un 100/100 dans l’échelle parkérienne. Sa richesse gustative est infinie et il pianote sur tous les arpèges. Il est hors norme, indescriptible tant il est au dessus de tout. Le délicieux saint-pierre met en valeur le Corton-Charlemagne, car ce Bâtard n’a besoin d’aucun plat. La sauce et les ormeaux sont magiques, le salsifis est judicieux. La Coulée de Serrant réagit bien sur la sauce.

Pauline, ravissante serveuse, passe devant nos yeux et nos nez un plat à gratin qui est l’interprétation du chef du pigeon. C’est un sommet de la cuisine bourgeoise. Et le Château Margaux 1979 est le vin le plus noble et le plus raffiné qui soit. Noblesse et bourgeoisie. Le plat est fou tant il est si spontanément goûteux. Et le Margaux tout en noblesse finesse et race. Il transcende son millésime.

Le Vosne-Romanée 1er Cru Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1997 est éblouissant. Il est café, moka, chocolat sur la première gorgée. Puis, il montre à quel point il est sauvage, avec une râpe qui fait le bonheur des vins bourguignons. Quel talent ! Il y a un lien très net avec les vins d’Henri Jayer dont le Nuits-Saint-Georges bu la veille. Le vin est sublime mais le plat est trop fort. Le charbon alimentaire me gêne et m’empêche d’aimer l’agneau. Pour finir le vin nous demandons des fromages corses présentés de façon très compétente par l’un des serveurs, ce qui permet de continuer de profiter du vin d’Emmanuel Rouget qui m’émeut et me transporte de joie.

Contrairement à mes amis, je ne vibre ni pour le dessert, ni pour le Château d’Yquem 1975 qui est trop sur des notes de thé et manque de flamboyant. Mais je n’exclus pas la saturation de mon palais.

C’est le pigeon qui a illuminé ce repas, et le Bâtard-Montrachet Ramonet est de loin la star de ce repas et aussi, à mon avis, du séjour. Les deux repas ont été éblouissants d’inventivité culinaire, de pertinence des goûts. Nos vins nous ont permis d’explorer le meilleur de plusieurs régions. Les accords ont été riches et subtils. Davide nous traite en amis, partenaires de recherches, et l’équipe du service en salle, jeune, dynamique et motivée a cherché à nous satisfaire dans tous nos désirs.

Le lendemain midi sur un risotto aux cèpes, nous avons ouvert un des vins de réserve, le Château Gazin 1979 parfait pomerol pour le risotto.

A l’aéroport de Figari puis à Orly en attendant nos valises nous nous sommes gavés de macarons d’Anne Marchetti, divins macarons d’une talentueuse créatrice de Porto-Vecchio. Ce week-end gastronomique fut un festival. Il devient un rite.