Deux dîners avec mon filsmercredi, 27 mai 2015

Personne ne peut me procurer autant de plaisir que mon fils lorsqu’il s’agit de partager des vins. Aussi chaque moment compte puisqu’il vit très loin, aux Amériques. Malgré la fatigue du voyage en Suisse, je descends en cave pour chercher une bouteille. Je prends en main, au hasard, une bouteille sans étiquette. La petite étiquette d’année indique 1978 et la capsule indique clairement Henri Richard Propriétaire-Viticulteur, Gevrey-Chambertin. Je n’ai pas honte de dire que je ne connais pas.

Le niveau est beau et la couleur est belle. Comme un sourcier qui sent la présence de l’eau, je pressens que ce vin sera beau. Je l’ouvre et le parfum est envahissant et annonce une merveille. Le bouchon est d’une qualité superbe, qui rivaliserait avec celle des bouchons des plus grands domaines

Ma femme m’ayant entendu proclamer que ce soir ce serait diète n’a rien prévu de spécial. Tant pis, on s’arrange et le vin au fort parfum, dense, où la profondeur du vin se suggère, donne en bouche un message comme je les adore. Le message est râpeux, viril, sans concession. Pour mon goût, c’est la Bourgogne « bourguignonnante », paysanne, rugueuse, qui ne cherche pas à flatter mais séduit par son message authentique. C’est un vrai bonheur et secrètement, je me dis que mon flair n’est pas si mauvais. Là où j’en ai moins, de flair, c’est pour trouver le vin. Ce n’est plus un exercice auquel j’aime me livrer. De petites étincelles m’indiquent Echézeaux.

Après le dîner, avec mon fils, nous allons chercher en cave si des indices existent sur d’éventuelles sœurs de la bouteille que nous venons de boire. Et nous en trouvons. Il s’agit d’un Mazoyères-Chambertin Henri Richard 1978. Comment ces bouteilles ont-elles atterri dans ma cave, je ne sais pas. Toujours est-il que ce vin que j’appellerai paysan, évoquant le travail rude des vignerons, par sa râpe et sa rugosité, nous a donné un grand plaisir.

Le lendemain, mon fils me retrouve à l’endroit où se situe ma cave extérieure. Il prend des dizaines de photos pour alimenter ses rêves lorsqu’il sera de retour à Miami. Je lui lance : « ce soir, il faudrait être raisonnable ». Il me répond : « l’est-on vraiment ». Je vais une fois de plus au hasard et je choisis un vin qui doit être dans une forme totale d’accomplissement.

A la maison, c’est un poulet rôti au citron qui nous attend, le citron cuit ayant la bonne idée de ne pas être marquant. Le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel 1990 a un niveau qui colle quasiment au bouchon. Disons trois à quatre millimètres d’air. Le bouchon est superbe, d’une qualité et d’une élasticité parfaites. Le nez est un bonheur. Il annonce un vin soyeux et doux, il évoque sa puissance et sa complexité.

En bouche, mon fils considère que c’est le vin parfait et c’est vrai qu’il a atteint une maturité et une sérénité qui rendent tout facile, immédiatement élégant. On retient surtout le velours, la grâce, l’élégance, et cette fluidité de message qui n’appartient qu’aux vins bien faits. Il a 25 ans, et c’est à ce stade qu’il faut le boire. J’ai bu plusieurs 1990 de ce vin, mais jamais je n’ai eu cette impression de félicité. Bien sûr, le côté doux et velours de ce Beaucastel n’a rien de bourguignon, car c’est un authentique Châteauneuf-du-Pape mais par instants, je retrouve la complexité des grands bourgognes.

Le poulet est magique, la sauce est un péché qui devient mortel avec le vin. Je ne reverrai mon fils que dans six semaines. Nous avons eu des moments merveilleux pendant son séjour.

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l’étiquette est celle d’une autre bouteille

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