deux beaux crustacés chez Yvan Rouxvendredi, 1 mai 2009

Après avoir fréquenté six étoiles dans la même journée en déjeunant au restaurant Ledoyen et en dînant au restaurant Guy Savoy, il était urgent de faire une pause. Dans le sud, l’ordre du jour est au repos. Mais un ami fidèle ayant choisi la même destination me propose que nous dinions ensemble et j’accepte. A peine ai-je dit oui qu’un message arrive sur mon portable par lequel Yvan Roux m’annonce avoir reçu mes crustacés préférés. Ça ne se refuse pas.

Lorsque j’arrive pour déjeuner à la table d’hôtes d’Yvan Roux, deux cigales sont encore emballées dans un papier journal. Yvan prépare des beignets de calamar avec des violets.

Je m’assieds sur la terrasse et Yvan me dépose une assiette où un pesto va me permettre de faire trempette aux beignets de calamar. Peut-on imaginer goût plus franc et plus généreux ? J’ai apporté avec moi un Château Belle-Brise Pomerol 2002 que Matthias Dandine m’avait offert lors de ma précédente visite à son restaurant en me disant : « goûtez-le et donnez-moi votre avis ».

L’accord du pomerol avec les beignets se fait divinement bien. Ce pomerol très puriste est d’une définition très claire, et ce qui me séduit, c’est le final un peu rêche mais raffiné. Ce vin n’a pas l’ampleur des plus grands, année oblige aussi, mais il tient sa place à un niveau que je n’aurais pas soupçonné.

Yvan me sert la première cigale dont je saurai plus tard qu’il s’agit d’une femelle. En le goûtant, je repense à ce que disait Emma, sommelière à la Grande Cascade à propos du Bollinger Vieilles Vignes Françaises : « c’est un champagne d’initié ». Et la phrase qui s’impose est : « cette cigale a une chair d’initié ». Elle me fait l’effet d’être plus langouste que cigale, et je ne trouve ni la noix ni la noisette que l’on ressent dans la chair de la cigale. Babette me sert un verre de « R » de Rimauresq Côtes de Provence 2001 pour que je puisse comparer les sensations. Il est évident que le vin local est plus ensoleillé, mais il fait simple, et son final boisé s’accorde à la chair subtile beaucoup moins bien que le pomerol.

Le gratin d’aubergines à l’huile de noix, pignons et pesto est d’un goût juste et parfait, mais c’est un peu fort si l’on pense au vin. Vient maintenant le tour de la deuxième cigale, un mâle maintenant. La chair est dix fois plus excitante. Elle est moins typée, moins « initiée », plus doucereuse et incroyablement charmeuse. Comme la première, elle est servie pure, avec son jus de cuisson, sans aucune ajoute. Comme Yvan était venu aimablement me montrer comment manger la quasi-totalité de la tête de la première cigale, la tentation était grande de lui demander une nouvelle démonstration. J’ai préféré lui demander de me préparer la chair de la tête à sa façon, ce qu’il fit avec maîtrise, utilisant certains composants du gratin pour réaliser un mélange où la chair est mise en valeur. Le pomerol est à son aise et rend plus frustre le final du « R ». L’accompagnement de cœurs d’artichauts violets est très astucieux, car il modère et pondère la force de la cigale. Le pomerol s’est vraiment inscrit dans la continuité de la chair, ce qui constitue un test probant pour le Château Belle-Brise.

Après un dessert au chocolat et son sorbet au fruit de la passion, la sieste réparatrice avait un plaisir d’initié.