Mon fils va repartir à Miami fêter Noël en famille. C’est son dernier dîner avec ses parents. Ma femme a prévu le menu suivant : coquilles Saint-Jacques juste saisies avec du riz noir / tagliatelles avec des dés de foie gras à peine poêlés et des brindilles de safran de notre jardin du sud / camembert / tarte au citron.
J’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1980 d’une année assez confidentielle. Le bouchon vient sans provoquer le moindre pschitt. Il n’y a aucune bulle. La couleur du champagne est ambrée, d’un joli ambre encore jeune qui va s’assombrir en fin de bouteille.
En bouche, on distingue à peine le pétillant. On est donc en présence d’un champagne beaucoup plus vieux que son âge. Le décor étant planté, que raconte-t-il ? Les saveurs de chacun des plats préparés par ma femme sont d’une précision et d’une définition sans aucune ambiguïté. Tout est clair et net et cela réussit au champagne. C’est surtout avec les dés de foie gras et les tagliatelles que le champagne va affirmer une belle présence, comme celle d’un sauternes aérien, presque sec. Et si on a admis ce contexte, on se régale car le vin est long et convainquant. Avec le camembert d’une maturité parfaite il est idéal car l’amertume du fromage et le doucereux du champagne fusionnent divinement.
Hier, à l’académie des vins anciens, avec 52 vins pour 33 convives, on était loin d’avoir fini toutes les bouteilles. Cela faisait mal à ma collaboratrice qui vidait les bouteilles vides pour les emballer afin qu’elles rejoignent mon petit musée, car il lui fallait mettre à l’évier des vins encore parfaits. J’avais réussi à sauver les deux derniers vins de ma table dont il restait suffisamment pour partager avec mon fils et ma femme qui ne boit que les sauternes.
Nous mangeons donc la tarte au citron avec le Château d’Yquem 1984 et avec le Château d’Arche 1969. Alors qu’hier c’est le plus vieux, au liquide presque noir, qui surpassait l’Yquem, ce soir, c’est l’Yquem qui surpasse son aîné. L’Yquem a pris une dimension qu’il n’avait pas hier, avec le brio d’un grand Yquem, large et opulent tout en étant vif, alors que le Château d’Arche est plus discret, moins riche et moins brillant même s’il a de beaux restes. Ma femme a goûté les deux et a plébiscité l’Yquem. L’année 1984, petite année pour les rouges de Bordeaux, est une belle année de sérénité pour Yquem. C’est un plaisir de finir une semaine de grands vins partagés avec mon fils sur un vin que je chéris entre tous, le Château d’Yquem.