Déjeuner et dîner d’amitié dans le sudsamedi, 31 août 2019

  Sarah est américaine. Elle est aujourd’hui la plus assidue de mes dîners, quel qu’en soit le niveau. Et ce qui me fascine c’est qu’elle vient des Etats-Unis pour mes dîners sans programmer quoi que ce soit d’autre en France. Elle est venue à l’Hôtel du Marc de Veuve Clicquot, aux Crayères à Reims, mais aussi à Mougins au restaurant Paloma, et au château d’Yquem, arrivant la veille et repartant le lendemain. Une telle passion me fascine aussi est-elle devenue une amie de ma femme et moi. Nous l’avions déjà invitée à venir nous rendre visite dans notre maison du sud il y a deux ans. Nous avons renouvelé notre invitation et comme pour les dîners, elle ne vient en France que pour nous voir.

Je vais la chercher à l’aéroport et selon la tradition j’ouvre le champagne de bienvenue. C’est un Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle Magnum sans année, que j’ai reçu dans ma cave du sud en 2009. Il a donc mûri dix ans en cave après le mûrissement prévu par cette maison de champagne. Le pschitt est fort, la couleur est celle d’un très jeune champagne, mais le bouchon devenu cylindrique montre que le champagne est ancien. Ce champagne est noble, avec de jolis fruits jaunes, et une délicatesse infinie. Je qualifie souvent ce champagne de romantique et il l’est vraiment, avec une belle fluidité, une minéralité et une acidité dosée élégamment, et une longueur en bouche impressionnante.

Notre amie ayant voyagé toute la nuit, nous déjeunons comme en un brunch, avec une anchoïade, du jambon Pata Negra, des chips à la truffe, un camembert Jort un peu avancé, des fraises et des figues. C’est frugal, car on va se rattraper ce soir.

L’accord de loin le plus percutant, qui prolonge la longueur du champagne, c’est avec les fraises pures et simples. C’est saisissant de fraîcheur. Viennent ensuite l’anchoïade très douce même si elle est typée, et le Jort, puis les chips. Le Pata Negra et les figues sont trop marqués pour ce beau champagne.

A 17 heures, j’ouvre le vin rouge du dîner, un Vosne Romanée Léon Grivelet-Cusset Négociant 1943 au niveau assez bas. Le haut de la capsule est très difficile à détacher et le centre métallique du haut reste collé sur le haut du bouchon. Il arrive assez souvent que des bouteilles qui ont perdu une partie de leur volume montrent un haut de bouchon quasi hermétique. C’est un des mystères de la conservation du vin.

Le bouchon est noir et la partie basse se brise, récupérée car elle colle au verre, et je sens le vin. C’est une heureuse surprise car le parfum est engageant et doux. Voilà une bonne nouvelle.

A 19 heures j’ouvre le Champagne Dom Pérignon 1964 au niveau à un centimètre sous le bouchon, ce qui est bien. A la torsion, le haut du bouchon vient seul. Il laisse en place la dernière épaisseur de liège, que je retire au tirebouchon. Le pschitt est inexistant et le nez est discret.

Il n’y aura pas d’apéritif et le menu sera : terrine de foie gras de canard, fleurs de courgettes, côtelettes d’agneau aux épices de Provence, galettes de courgettes, sorbet poire, crème caramel au beurre salé et grains de spéculos.

Sur le foie gras, le Champagne Dom Pérignon 1964 est une apparition miraculeuse. Il a beaucoup de fruits, allant de la prune jusqu’au kumquat tant les agrumes cohabitent avec les fruits de fin d’été, et ce qui frappe, c’est l’abondance de ses complexités. Alors que le Grand Siècle est brillant, l’âge donne au champagne de 55 ans une complexité sans égale. Il est grand, long, magnifique, puissant. Le foie gras le met en valeur.

Pour les fleurs de courgettes, j’ai idée que c’est le vin rouge le plus adapté. Le Vosne Romanée Léon Grivelet-Cusset Négociant 1943 a une couleur un peu tuilée. Le nez est charmant mais ne masque pas une certaine acidité et en bouche, c’est ‘Jekyll and Hyde’. L’attaque est superbe, joliment fruitée, joyeuse, et le finale est coincé, court, montrant acidité et amertume. C’est amusant, car tout commence par un sourire et finit sur une question. La côtelette d’agneau est tellement bonne et goûteuse qu’elle apporte soutien et renfort au vin, au point que l’on n’éprouve pas le besoin d’ouvrir une autre bouteille. Le plat se mange avec gourmandise, sans lassitude pour le vin.

Pour le dessert nous reprenons le Champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle Magnum sans année qui montre une vivacité encore plus sensible qu’à midi. Sur la terrasse surplombant la mer qui nous berce de son clapotis, nous finissons nos verres de champagne, heureux de ce simple mais goûteux repas d’amitié.