Déjeuner en famillevendredi, 4 juin 2004

Un déjeuner par un beau soleil dans un jardin fleuri de banlieue. Il est des jours où l’on a envie de jouir des plaisirs de la vie, quand on se sent environné de problèmes plus graves. L’envie de profiter est encore plus forte. Un champagne Taillevent rosé 1988 qui est en fait un Deutz rosé 1988. Une couleur saumon, cœur de prune, une bulle à peine assagie, et ce merveilleux goût vineux fait d’intensité, d’expression et de charme. On est rempli de ces saveurs imprégnantes. Sur un foie gras juste poêlé trempé d’épices, l’accord est excitant au possible.

J’avais ouvert le Château Palmer 1964 plus de trois heures avant. Beaucoup de professionnels du vin ont du mal à imaginer et accepter que la surface de quelques centimètres carrés d’une bouteille gardée droite permette à l’oxygène d’influencer l’ensemble de la bouteille. Or ce Palmer 1964 à l’ouverture d’un beau bouchon bien sain fait fatigué, usé. Et au moment du service c’est un vin pimpant, joyeux qui s’exprime dans les verres. Un nez chaleureux, une couleur sombre mais vivante, et en bouche sur un agneau particulièrement expressif, c’est un enchantement de la plus grande qualité. La discrète sauce de la viande marquée par un appareillage de tomate subtilement acide influence le goût. Elle excite le vin dont l’amertume devient palpitante. Sans ce choc, le vin serait sans doute de son année, c’est-à-dire assez sec, assez expressif mais « en dedans ». Là, le vin est éblouissant. On ne dira jamais assez comme un vin doit être associé à un plat, car ce Palmer 1964, qui ne ferait pas lever beaucoup de sourcils dans des dégustations verticales était à ce moment un petit chef d’œuvre de plaisir gustatif, passionnant par la confrontation sans concession avec une légère sauce acide. Il faut savoir, à ce moment là, oublier les guides, les hiérarchies, et ne retenir que la prestation brillante d’un Palmer 1964, véritable réussite de Palmer, qui donne un accord de rêve. Sur un Cantal fort vieux bien gras et encore tendre le mariage se faisait aussi très bien.

Il y avait bien sûr l’envie d’apprécier les vins de ce repas mais aussi des provocations gustatives d’un niveau rare de complexité et de jouissance.