Déjeuner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Meuricemardi, 21 septembre 2004

Chaque année au mois de septembre les amis d’un des plus grands amateurs mondiaux de vins rares se réunissent à Paris. L’occurrence des vendanges a rétréci la taille du groupe, nous privant de quelques indispensables amis. J’étais chargé de l’organisation pratique de cette rencontre, et Yannick Alléno répondit avec joie à ma demande de créer un événement. Les convives sont à l’heure dans cette salle merveilleuse  du Meurice qui incite à prendre le temps de jouir du moment présent. La brigade est toute motivée à nous faire vivre un moment unique. Le magnum de Laurent Perrier rosé 1959 est un monument imposant. Dégorgé la semaine avant son arrivée sur notre table le champagne a une couleur d’une invraisemblable beauté. L’or, le rubis, l’orange se mélangent pour donner une couleur de pèche, intense, profonde. Le nez est plutôt discret. La bulle est extrêmement fine, rapide, vivace et discrète en bouche. Et le goût est intense, profond, avec une délicieuse petite acidité finale. La brioche tiède se dévore goulûment, et sur une petite soupe à l’artichaut et au crabe, le rosé révèle d’autres aspects. Je suis toujours fasciné quand les entrées en matière réveillent les champagnes en des registres aussi variés. Un immense champagne et une rareté œnologique extrême. Aucun des convives n’en avait bu.

Le saint-pierre magistralement exécuté avec des saveurs subtilement évocatrices était accompagné de bien belle façon par deux vins dissemblables extraordinaires. Nous discutions des vins du Monde, mais je ne vois pas comment ailleurs qu’en France des nez aussi complexes pourraient se trouver. Le Meursault Perrières Comtes Lafon 1995 a des odeurs de beurre mais aussi de pierre. C’est un nez prodigieusement complexe. Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1979 se présente au contraire avec un nez plus direct. Il annonce tout de suite sa perfection et affiche les promesses de redoutables variations sur des thèmes orientaux. Je m’attarde longtemps sur les nez seuls, car ces grands blancs sont des monuments. Le Meursault en bouche évoque des fleurs blanches, des goûts iodés. C’est d’une belle discrétion, d’une complexité de bon aloi, et d’une longueur rare. Mais le Montrachet le laisse peu parler. Il impose son intensité. Il a une profondeur extrême et représente une synthèse non agressive des qualités du Montrachet. Les saveurs orientales d’épices et de viandes boucanées, les sous-bois fertiles en champignons et le rayonnement flamboyant du beau sourire de la Bourgogne. Un vin magistral de perfection qui explique pourquoi le Domaine de la Romanée Conti est grand.

Un foie gras traité de façon printanière, avec des explorations de saveurs nouvelles accompagne un Canon Lagaffelière 1955 au nez fatigué mais dont le goût est l’exacte traduction des complexités du plat. Alors que 1955 est une grande année, ce représentant n’a pas la santé qu’il pourrait avoir, mais il décoche quelques belles saveurs. Son compagnon est un Gevrey Chambertin Thomas Bassot 1961 au nez pénétrant et fortement expressif. Beaucoup plus animé, il montre une subtilité discrète fort plaisante. Sur le plat aux épices exactes on se plait à constater comme en cette circonstance la frontière entre Bordeaux et Bourgogne peut être extrêmement ténue.

Le pigeon d’une cuisson parfaite accueille deux stars. L’Hermitage La Chapelle de Jaboulet 1990 et un magnum de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1990. L’Hermitage est manifestement un grand vin, bien accompli et fort justement apprécié par les experts. Mais quand il y a ce Beaucastel 1990 que je retrouve avec tant de plaisir ; c’est impossible de le quitter un seul instant. Il a un pouvoir de fascination tétanisant. Il a tout. Le nez est profond, dense, envahissant. En bouche il décrit une synthèse magique entre des composantes de bois lourds, de fruits noirs, de chaleur alcoolique, le tout parfaitement intégré avec une perfection de structure. Ne me demandez pas d’être objectif, c’est du beau vin sincère et complètement de jouissance pure. Un pigeon aussi goûteux, un Hermitage de grande classe et un Chateauneuf de la plus belle perversité sensuelle, voilà bien un sommet de plaisir gustatif. Et la poire qui suivait, traitée en subtilité allait accompagner agréablement un Suduiraut 1962 particulièrement réussi, d’une plénitude en fanfare. Du grand et beau sauternes. De délicates tuiles aériennes bissaient pour que revienne le champagne rosé qui ponctua un repas d’amis où tout portait à la bonne humeur, aux échanges passionnés et aux promesses d’expériences nouvelles.

Yannick Alléno par son enthousiasme et Dominique Laporte, sommelier attentif, nous ont permis de vivre un de ces moments qui justifient le travail des vignerons d’exception. C’est comme cela qu’on doit boire leurs vins.