déjeuner d’amis au restaurant Tailleventmercredi, 27 janvier 2010

J’aime l’impromptu. Un SMS tombe sur mon portable peu après mon retour : « demain, déjeuner, Taillevent, ça te va ? ». Jean-Philippe veut que je lui raconte le récent voyage. Je demande à ma femme si elle veut être de la partie, mais elle s’est engagée vis-à-vis de notre fille. Nous nous retrouvons à deux au restaurant Taillevent. Nous sommes accueillis par un Champagne Jacquesson Sillery Grand Cru 1996. Ce champagne est un 100% pinot noir dégorgé en 2004. A l’aveugle, il ne m’évoque aucun champagne, car il se trouve que j’ai très peu acheté de vins de cette maison. Mais ce que je reconnais volontiers, c’est que le champagne est plaisant. Il est à peine dosé, à 3,5 grammes et a une belle amertume, signe de personnalité. Les affectueuses gougères, sésame de cet endroit, me font de l’œil avec insistance, ce qui permettra à Jean-Marie Ancher de faire de l’humour sur un mode gentil, quand plus tard, il fera habiller une profiterole à la façon d’une gougère.

Nous discutons avec Jean-Philippe du choix des vins et plusieurs pistes sont possibles. Je laisse mon ami proposer les solutions que nous adoptons.

Le premier vin est un Bienvenues Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1989. Après une abstinence vineuse de plus de 25 jours, ce vin fait briller mes yeux. Il y a une complexité, un épanouissement qui sont exemplaires. Le vin est juteux, gras, expressif. C’est du bonheur en bouche. La mise en bouche est succulente, mais nous parlons tant que j’oublie ce qu’elle est. Le consommé de bœuf, moelle et châtaignes est agrémenté d’une belle tranche de truffe noire qui fait vibrer le Bienvenues avec une efficacité remarquable. Lorsque vient la deuxième entrée, Frégola artisanale de Sardaigne cuisiné au homard et aux coquillages, l’accord est tout aussi plaisant, mais j’ai l’envie d’essayer le rouge. Il s’agit d’un Musigny Jacques-Frédéric Mugnier 1999. Le plat rétrécit un peu le vin, c’est évident, mais l’accord ne me déplait pas, iode et vin rouge trouvant en moi un écho particulier.

En fait, le territoire du Musigny, c’est le carré d’agneau des Pyrénées en croûte d’herbes, jus à la sarriette, absolument délicieux. Le vin est très intéressant, atypique car il fait explorer des gammes de goûts qui ne jouent pas sur la séduction, et c’est ce que j’aime dans les bourgognes. Ce vin va encore s’étoffer, prendre de l’ampleur. Mais avec ses dix ans bien sonnés, il commence à parler et raconter des histoires d’un grand Musigny, de belle précision et de belle longueur. J’adore ce vin qui n’a pas le charme direct du Bienvenues, mais une subtilité et une affirmation dans un registre étrange qui s’affinera avec le temps.

C’est amusant d’ailleurs de constater que le Bienvenues est dans un registre complètement connu, exécuté de façon remarquable, alors que le Musigny joue sur la surprise et l’exploration de sentiers non battus. Cette opposition de styles est un bonheur.

Après tant de jours sans vin, j’ai senti leur pesanteur pendant plusieurs heures. Mais le retour au raffinement de la cuisine française, avec la délicatesse d’une grande maison, c’est exactement ce qu’il me fallait, quand en plus, c’est avec un ami.