déjeuner chez Patrick Pignol avec des inconnus…mardi, 5 février 2008

Ecrivant sur un forum américain, il arrive qu’on me pose des questions sur ce qu’il faut faire à Paris. Un négociant en vins de Nashville avait conversé il y a plusieurs mois en privé avec moi sur la perte d’une étoile de Taillevent, restaurant qu’il adore. Nous avions gardé le contact, et lorsqu’il m’a demandé un très bon restaurant avec de bons vins qui serait une découverte, j’ai répondu Patrick Pignol. Voulant sans doute être poli, il me demanda si j’acceptais d’être son invité. Ayant un assez grand penchant pour ce qui est imprévisible, j’ai répondu oui. Nous nous retrouvons donc, deux couples du Tennessee et moi au restaurant de Patrick Pignol.

Hoyt choisit un champagne Jacques Sélosse rosé, et le sommelier Nicolas se tourne vers moi avec une grimace. La bouteille a environ quinze ans et pourrait ne pas être bonne. Nous prenons notre risque et effectivement, la couleur vue au travers du verre blanc est d’un ambre qui n’inspire pas confiance. Nicolas est surpris du bruit agréable à l’ouverture et d’une bulle bien active. La couleur saumon gris est beaucoup plus sympathique dans nos verres. Le nez est élégant et rassure sur la qualité. Quand je goûte, j’entends déjà mes hôtes vanter ce champagne. Je n’insiste donc pas sur ce que je constate, une attaque agréable, une acidité de milieu de bouche qui raccourcit le vin et au global une certaine fatigue. Mais le temps fait son œuvre et sur des tranches de foie gras que j’ai demandées, le champagne retrouve un charme convaincant. Le vin n’est manifestement pas à son apogée, mais l’essai de ce témoignage original méritait d’être fait.

Hoyt a demandé à Nicolas de choisir lui-même les vins dans un cadre qu’il lui a défini. Un Chablis premier cru Butteaux François Raveneau 1996 arrive sur table. Décanté, il montre un or spectaculaire. Le nez est très pur et en bouche, c’est un très beau chablis, précis. Il n’y a pas l’ampleur d’un grand cru, mais le vin est très élégant. Mes langoustines sont noyées sous une sauce impérieuse qui m’empêche de trouver l’accord que je cherchais. Je profite quand même de ce beau vin qui s’installe bien en bouche.

Vient maintenant ce que je considère comme la bonne surprise du jour. Jamais je n’aurais imaginé que Domaine de Chevalier rouge 1981 pourrait se situer à ce niveau. Qui pourrait dire qu’un 1981 peut donner cette vibration et cette émotion. J’avais déjà eu une belle surprise avec Domaine de Chevalier 1952. Celui-ci m’étonne par sa décontraction, son équilibre joyeux. Et mon bonheur vient pour moitié de sa valeur intrinsèque et pour l’autre moitié de la belle surprise qu’il me fait. Ce vin dont j’ai adoré des millésimes comme 1914 est d’une belle sécurité dans des millésimes moyens. Le pigeon est évidemment à son aise. C’est un des plats les plus goûteux de la sphère créatrice de Patrick Pignol. 

J’avais entendu au cours de nos conversations que mes nouveaux amis aiment les vins du Jura. Aussi ai-je commandé un Chateau Chalon “vigne aux dames” M. Perron à Voiteur 1976. Avec les beaux fromages choisis par Patrick, le Comté, le Laguiole ou le Mont-d’Or, ce vin jaune puissant s’amuse, sans dévier d’un pouce de son envie de vaincre.

Comme avec un couple australien rencontré récemment, à la fin du repas nous avons l’impression de nous connaître depuis des décennies, tant les émotions et la passion du vin nous rapprochent. J’avais choisi l’option peu probable d’accepter ce déjeuner. J’ai bien fait.