Déjeuner avec de véritables légendes de l’histoire du vindimanche, 31 mai 2015

Florent est un amateur de vins d’un enthousiasme qui me fascine. Une génération nous sépare et j’admire sa motivation. Il organise un déjeuner de vins rares pour sept à huit personnes. Dans la liste je vois qu’il inclut Latour à Pomerol 1947 considéré comme l’un des vins légendaires de 1947. Cela donne le ton du repas qui exige que l’on s’aligne sur ce niveau. Je décide de frapper fort aussi, pour entraîner les autres convives à proposer de grands vins. Mon apport sera un magnum de Pétrus 1950 année elle aussi légendaire pour Pétrus. Le magnum a un niveau dans le goulot ce qui est particulièrement exceptionnel car la capsule est manifestement d’origine.

Les apports s’ajoutent aux apports avec une débauche propre aux amateurs un peu fous, et Florent me demande de choisir le restaurant. Ayant vu à quel point le chef Ryuji Teshima dit Teshi, du restaurant Pages est passionné de vin, j’ai proposé que ce soit ce restaurant. Ce fut une idée lumineuse, tant l’osmose s’est trouvée entre la cuisine et les vins, dans une ambiance d’une rare implication de toute l’équipe.

Florent et Tomo participaient hier au dîner de mon anniversaire. Le déjeuner est le lendemain, ce qui est pure folie. J’ai demandé à Florent qu’il arrive assez tôt au restaurant et ouvre le plus grand nombre de bouteilles déjà livrées et qu’il attende mon arrivée pour que j’ouvre le Pétrus 1950. Je lui prête mes outils. Les vins ont donc été ouverts à partir de 10 heures, le mien un peu avant 11 heures et le Mouton 1945 de Tomo à son arrivée un peu avant midi. Le déjeuner ayant commencé vers 13 heures et ayant duré jusqu’à 18 heures, chaque vin a eu presque assez d’oxygénation.

Nous sommes sept, tous amateurs de vins. Il y a des professionnels, qui vendent des vins anciens, et Tomo, Florent et moi.

Il fait beau, aussi est-ce sur le trottoir, en grignotant des chips que nous buvons le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1992. Il a une belle couleur d’or clair. La bulle est discrète mais présente. Le goût évoque le miel et la brioche. Le vin est agréable, mais j’ai quand même une impression de manque d’ampleur et de longueur.

Nous passons à table. Le menu fait par Teshi prenant en compte quelques petites suggestions que je lui ai faites est : chips de légumes / chou pointu grillé, chorizo râpé / pain soufflé croustillant à la pomme grenaille de Noirmoutier / caviar de Sologne dans une petite crêpe / carpaccio de bar de ligne Ikejime / turbot de ligne de l’île d’Yeu et coquillages aux agrumes / Carpaccio de Wagyu Ozaki, radis et navets / agneau de lait de Lozère en noix et gigot grillé au Binchotan, déclinaison de carottes / bœuf de Galice maturé 45 jours grillé au Binchotan, jus de bœuf et girolles / Bœuf Wagyu de Kobe, 5 mois de maturation, grillé au Binchotan, pommes grenaille / duo de sorbets verveine et coquelicot / crème brûlée glacée parfumée au sureau, sorbet aux fraises charlottes et compote de rhubarbe.

Teshi a eu l’intelligence de simplifier les plats pour qu’ils collent le mieux aux vins. Teshi, son sommelier Vincent et toute l’équipe de cuisine ont pu goûter les vins. Ce fut un bonheur de voir leurs yeux briller.

Le Champagne Philipponnat Grande Réserve Blanc de Blancs 1955 porte un bandeau avec la mention : « sélection exceptionnelle de 2000 bouteilles ». Le parfum est celui d’un vin ancien, superbe. Sans vraiment montrer de bulles il a du pétillant en bouche. La couleur est ambrée. C’est pour moi un immense champagne, magique, au nez précis. Il évoque les amandes, le citron vert, ce qui le rend très frais. Il a une très grande longueur qui fait apparaître son alcool. On peut sentir aussi du cigare et du beurre. Son final est d’une fraîcheur rare. Il m’évoque de beaux meursaults à maturité. Le caviar de Sologne est absolument exceptionnel, d’un équilibre idéal.

Le Bâtard-Montrachet Domaine Claude Ramonet 1961 est un vin ambré. On pourrait craindre une trop forte évolution mais en fait il est beau, avec un nez de belle tenue. La bouche est gourmande. C’est juste le finale qui montre une petite amertume mais qui s’estompe avec le temps. Le vin profite d’une belle évolution dans le verre. Il est subtil. C’est un vin qui raconte de belles choses. Mais on va vite l’oublier !

Car le Château Laville Haut-Brion Graves 1947 a un nez invraisemblable de force et de subtilité citronnée. Mon voisin de table n’arrête pas de le sentir pendant de longues minutes, sans éprouver le besoin de le boire tant le parfum est envoûtant. Sa couleur est d’un or de miel clair. La bouche est puissante, exotique, fabuleuse. C’est la perfection du vin blanc de Bordeaux. C’est un vin blanc d’anthologie qui m’évoque la mer tant il paraît iodé. Mais il y a aussi des fleurs et des agrumes. La fluidité de son finale est extrême.

Le Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2001 a un parfum explosif. Il évoque la pierre à fusil. Le gras du vin est gigantesque, mais il a aussi beaucoup de fraîcheur. Il évoque les noisettes grillées. On se demande comment une telle exubérance est possible.

Le Château Latour à Pomerol 1947 a une couleur très sombre. Le nez évoque une forte truffe. La bouche est aussi très truffe. Le vin est assez doucereux. Le vin est un peu torréfié, évoquant le café. On est très loin de la légende et de la magie que j’attendais et qui m’avaient poussé à m’inscrire. Le vin est trop court, mais sur le carpaccio d’Ozaki, il prend de la grandeur.

Le Château Latour Pauillac 1921 a un nez de fruits rouges que j’adore et qui va perdurer jusqu’à la fin du repas. La couleur bien foncée est très belle. Le nez est « géant », les fruits évoqués sont fous, de framboise et de cassis. Il est impossible d’imaginer qu’il a 94 ans. La bouche est belle avec des fruits un peu amers. La bouche n’est pas totalement parfaite et le vin, à part son nez, n’est pas d’un équilibre total. En plus des fruits, on sent la truffe.

Dès que je porte le verre à mon nez, je fais la grimace. Le Château Trotanoy Pomerol 1959 est bouchonné et je suis étonné que nous soyons aussi peu à le percevoir. Je sens le verre de Tomo qui a effectivement moins de bouchon, mais il est là. En bouche on ne ressent rien du tout sauf de façon minimale dans le finale. Le vin est assez joyeux, ample, avec beaucoup de charme. On s’en satisferait s’il n’y avait pas ce finale asséchant, traduisant l’accident de bouchon.

Mis à part les très jolis fruits du 1921, je trouve cette série de trois plutôt faible. Heureusement, la deuxième série de trois vins va nous ravir.

Ce Château Mouton-Rothschild 1945 de Tomo, je l’ai examiné sous toutes les coutures. Tous les indices montrent que le vin est authentique. Sur le bouchon qui s’est brisé en mille morceaux, on lit clairement 194 et le petit crochet du bas accrédite le chiffre 5. Le nez est superbe. C’est un vin très fin, très subtil, mais je reste prudent dans mon examen, car je ne trouve pas encore la perfection que j’ai en mémoire. Le vin est généreux, la couleur est belle, à peine tuilée. La viande Galice est merveilleuse et colle bien au vin, qui devient de plus en plus fin, confortable et équilibré. A ce stade, je retrouve la perfection que j’attendais. Le vin n’est pas aussi beau que celui que j’ai bu, mais il est vraiment très proche de cette perfection. Le vin est velours, avec un petit signe de torréfaction de plus que ce que j’ai en mémoire. Il fait partie des très grands vins.

Le Pétrus Pomerol 1947 a une couleur extraordinaire de jeunesse et là aussi le doute sur le vin n’est pas possible lorsque l’on examine la capsule et le bouchon. Le nez est très élégant, un peu fermé. En bouche il y a aussi ce côté un peu torréfié que je n’aime pas beaucoup. J’ai été très étonné que La majorité des convives soient autant laudatifs pour ce vin qui n’apporte pas la qualité que j’ai déjà éprouvée avec Pétrus 1947. Je n’ai pas du tout senti la magie qu’il devrait avoir et ça me gêne un peu que certains se soient laissés envoûter par la supposée magie du mythe, qui d’ailleurs, n’avait pas d’étiquette.

Le Pétrus Pomerol magnum 1950 pourrait me pousser vers ma tendance naturelle de préférer les vins que j’ai apportés, mais là, je n’en ai pas besoin, car le vin est à cent coudées au-dessus de tous les autres. Il est la perfection absolue. Il a le charme, le velours, pas un gramme de défaut. C’est la perfection absolue. Il évoque la truffe et dans son finale qui n’en finit pas, il y a de la truffe. Il est fluide, frais et jeune. Il est parfait. On verra dans les votes que je n’exagère pas.

Le Château Sigalas-Rabaud 1921 a une magnifique couleur profondément ambrée. Le vin sent le caramel. En bouche on est là aussi en face de la perfection. Et avec la crème caramel se crée un accord quasi orgasmique.

Nous avons versé un verre de chaque vin que se sont partagé le chef, le sommelier et toute l’équipe. Voir leurs yeux qui brillent d’approcher de tels vins est un bonheur. L’ambiance dans le restaurant était d’une amitié et d’une générosité de rêve, car Teshi a ouvert pour nous le merveilleux caviar et un morceau de Kobe très rare du fait de son vieillissement. Nous étions quasi seuls dans le restaurant qui a créé une atmosphère familiale.

Pour une fois nous avons fait participer le chef et le sommelier à nos votes. Nous sommes donc neuf votants, choisissant quatre vins. Ils se sont concentrés sur sept vins sur douze vins ce qui est une concentration plus forte que d’habitude. Je crois que c’est la première fois qu’un vin récolte sept places de premier sur neuf votants, c’est le Pétrus 1950. Le Pétrus 47 et le Mouton 45 ont eu un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Pétrus Pomerol magnum 1950, 2 – Pétrus Pomerol 1947, 3 – Château Mouton-Rothschild 1945, 4 – Château Laville Haut-Brion Graves 1947, 5 – Corton Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2001.

Mon vote est : 1 – Pétrus Pomerol magnum 1950, 2 – Château Mouton-Rothschild 1945, 3 – Château Laville Haut-Brion Graves 1947, 4 – Champagne Philipponnat Grande Réserve Blanc de Blancs 1955.

Le Pétrus 1947 n’est pas dans mon vote et sa place de deuxième m’étonne. Mais c’est la loi du genre. Les goûts sont différents entre amateurs. La cuisine a été inspirée, Teshi, très motivé, s’appliquant à ce que le produit pur soit mis en valeur par les saveurs annexes, toutes cohérentes.

Ma vision de cette expérience est que les quatre vins pour lesquels j’ai voté, plus le Latour 1921 et le Sigalas-Rabaud 1921 valorisent ce repas pour en faire un repas absolument mémorable. On ne peut pas avoir un 100% de réussite et même les vins un peu faibles avaient quelque chose à dire. L’ambiance incroyable qui régnait dans le restaurant m’a fasciné.

Tomo tout heureux de la performance de son Mouton nous invite à quelques-uns, plus le chef, à partager un champagne chez lui, comme si nous en avions besoin. Le Champagne Moët & Chandon magnum 1959 a une belle couleur dorée comme les blés. Mais en bouche, le vin n’est pas au rendez-vous, un peu pâteux, même si ce vin, que nous avons déjà partagé Tomo et moi en magnum est normalement d’une qualité et d’une fraîcheur hors du commun. Celui-ci se boit quand même avec plaisir, le miel et la brioche le supportant bien.

La grâce finale, le point final désiré, c’est avec le Vin de Paille Arbois 1915 de Tomo que nous l’avons connu. Doucereux, presque sucré, il a beaucoup de points communs avec les subtiles douceurs du Tokaji 5 Puttonyos 1866 que j’ai bu récemment. Une telle conclusion est parfaite pour un magnifique voyage dans des vins de légende, certains au rendez-vous, d’autres non, mais qu’importe, comme disait le regretté Joseph Henriot : « l’important c’est le chemin ».

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Pétrus 1947 n’a pas d’étiquette

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l’équipe déjeune avant le festival culinaire !

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les vins sont partagés avec l’équipe de cuisine

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l’équipe souriante

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la suite chez Tomo

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