déjeuner aux Ambassadeurs, restaurant de Jean-François Piège à l’hôtel Crillonmercredi, 10 juin 2009

Avec mon frère aîné et ma sœur cadette, après les inévitables blessures que provoque l’extinction de la génération du dessus, nous essayons de reconstruire un climat serein. Au centième anniversaire de la naissance de notre père j’avais invité à La Tour d’Argent, restaurant fétiche de notre père. Aujourd’hui mon frère invite aux Ambassadeurs, restaurant de Jean-François Piège à l’hôtel Crillon.

Nous prenons le menu chic et non pas le menu choc. Il commence par l’idée d’un plateau télé, fait d’une salade de carottes râpées en limonade, d’un gâteau de foies blonds selon Lucien Tendret, version 2007, d’un cromesquis de brandade de morue, d’une variation croustillante d’un jambon/cornichon et d’un bonbon, beurre de truffe noire à tartiner. Après cette entrée, nos menus divergent. Le mien est : foie gras de canard des Landes, en bouillon coriandre et gingembre, puis en feuille de chou et lard fumé / homard bleu, curry épicé, riz coco moelleux et croustillant / sole de petit bateau, riz croustillant au Château d’Arlay / cerises de pays en forêt noire à notre façon.

Tout est exécuté de façon délicate. C’est curieux, car en ce temps de crise, je ressens pour la première fois le caractère un peu décalé de ce formalisme drapé dans l’excellence. Tout le monde est aux petits soins pour nous, mais pour la première fois, je me demande : est-ce bien raisonnable ? C’est le foie gras qui est le plus spectaculaire des plats et le Champagne Substance de Jacques Selosse dégorgé en avril 2008 répond d’une merveilleuse façon au bouillon, dans un accord d’anthologie, et au lard fumé, cat la virilité du champagne sans concession répond à la force du lard. Ce champagne atypique et qui se veut comme tel est délicieusement dérangeant. Avec David Biraud et Antoine Pétrus, sommeliers que j’apprécie au plus haut point, je m’amuse à dire que c’est un champagne d’ayatollah. La démarche d’Anselme Selosse est couronnée dans ce liquide fortement ambré, à l’amertume revendiquée et au fumé de grande personnalité.

Le Morey-Saint-Denis rouge Domaine Dujac 1999 est un délicieux vin de Bourgogne. Ce qui frappe immédiatement, c’est la précision. Ce vin est pur, délicat, fragile comme un éventail battu par le vent. Il n’a pas le corps qu’une appellation plus riche offrirait, mais il est plein de charme. Aucun des plats ne crée de vibration intense avec lui comme le bouillon l’avait réussi avec le champagne.

Les cerises sont un casse-tête pour le vin, aussi le champagne Bollinger Spéciale Cuvée est-il le plus exact des accompagnements possibles. Une mention spéciale doit être faite de ce dessert de compétition.

Ce restaurant sera toujours une halte de grand bonheur, par l’émotion du lieu, par le service impeccable des plats et du vin, par la qualité des mets et des vins interprétés avec intelligence et par un je ne sais quoi proche de l’alchimie qui ajoute un supplément d’âme à un beau repas.

l’idée d’un plateau télé, fait d’une salade de carottes râpées en limonade, d’un gâteau de foies blonds selon Lucien Tendret, version 2007, d’un cromesquis de brandade de morue, d’une variation croustillante d’un jambon/cornichon et d’un bonbon, beurre de truffe noire à tartiner.

foie gras de canard des Landes, en bouillon coriandre et gingembre, puis en feuille de chou et lard fumé

homard bleu, curry épicé, riz coco moelleux et croustillant (je l’avais bien entamé quand j’ai pris la photo !)

sole de petit bateau, riz croustillant au Château d’Arlay

cerises de pays en forêt noire à notre façon