déjeuner au restaurant Pages avec un instant d’une émotion infinievendredi, 4 octobre 2019

Un ami fidèle de mes dîners m’invite à déjeuner au restaurant Pages. Il apporte un champagne et je choisis en cave deux demi-bouteilles de vins très dissemblables pour voir comment ils se comporteront.

J’arrive à 11 heures au restaurant pour ouvrir mes vins. Le Moulin-à-Vent Roy Père & Fils demi-bouteille 1929 a un niveau exceptionnel qui me fait penser que le vin a été reconditionné. La bouteille est soufflée et donc très ancienne, au cul profond. Le bouchon vient entier mais en tirant très fort car le goulot n’est pas cylindrique. Ce bouchon doit être des années 50. La couleur m’avait impressionné à l’achat car elle est splendide. Le vin sent bon. Nous allons très probablement nous régaler. Le Château Haut-Bailly demi-bouteille 1982 a un niveau très haut dans le goulot. La capsule m’indique que le bouchage est d’origine. Le bouchon vient entier aussi, avec beaucoup de résistance car le bouchon est plus large que le goulot et a été comprimé pendant 35 ans. Le parfum à l’ouverture est splendide.

L’ouverture ayant duré peu de temps, je peux boire selon la tradition qui suit mes ouvertures une bière et des édamames qui sont d’agréables mises en appétit. Un peu avant midi Lumi réunit toute l’équipe de cuisine pour réviser les plats qui seront servis et tenir compte des particularités des différentes tables. On sent une cohésion et un engagement de chacun qui font plaisir à voir. C’est le chef Ken qui m’a proposé le pigeon, non prévu au menu, pour accompagner mes vins.

Mon ami arrive et nous trinquons au Champagne Pommery Cuvée Louise rosé 1980. Ce champagne se distingue par un équilibre et une sérénité rares. Tout en lui est magnifiquement mesuré et dosé. C’est un beau champagne gratifiant et gastronomique. On se complait à le boire. Et c’est assez intéressant de constater que le champagne 1980 d’hier et ce rosé montrent que l’année 1980 réussit aux champagnes, ce qui n’est pas tellement la réputation de ce millésime.

Le menu est ainsi rédigé : Otsumami : parmesan et poire / Céviche / betterave raifort // caviar Daurenki, mousseline de pomme de terre, esturgeon fumé / risotto d’épeautre, girolles, potiron, homard, œufs de saumon / raviole de foie gras, anguille caramélisée, cèpe poêlé / cabillaud confit, navet blue meat, sauce umami au bouillon de haddock, coques d’Utah Beach / pigeon, cromesquis et céleri / gelée et granité au champagne, muscat / tarte au chocolat et figue.

Déjeuner au restaurant Pages est toujours un régal. Les entrées de Candice qui vient de rejoindre l’équipe de cuisine, sont excellentes. Il faudrait juste que l’épaisseur de la betterave soit un peu plus fine, ce qui est du domaine du détail. Le caviar est superbe dans cette préparation mais j’ai un petit faible pour la préparation avec de fines crêpes. Le plat du homard est un peu plus complexe car il comprend beaucoup d’ingrédients. L’anguille est une merveille et elle appelle le Château Haut-Bailly demi-bouteille 1982. Ce vin parfait se montre d’une noblesse rare. Il sublime l’appellation de Graves car il est d’une justesse parfaite. Et on ne ressent en aucun cas un effet demi-bouteille qui limiterait l’ampleur du vin. Il est parfait et surtout noble.

J’ai avec le cabillaud un de ces chocs gustatifs qui marquent une vie. La sauce umami au bouillon de haddock du plat est une telle réussite que je suis comme tétanisé par un uppercut. Il est rare que je ressente un goût aussi émouvant, prenant aux tripes et au cœur, comme si l’on atteignait le Graal culinaire. Je n’arrête pas de féliciter le chef de la justesse de ce plat. Quelle merveille ! Ce plat appelle le champagne rosé qui par son équilibre est un compagnon idéal. Les coques, elles, se marient bien au bordeaux.

Le pigeon est réussi et le cromesquis est très bon. Au céleri j’aurais volontiers préféré des pâtes à l’italienne. Le Moulin-à-Vent Roy Père & Fils demi-bouteille 1929 serait indécouvrable à l’aveugle. On citerait volontiers Rayas ou un bourgogne, mais jamais un beaujolais. Sa couleur est belle, sans tuilé. Il va s’épanouir dans le verre car il n’a eu que deux heures d’aération. Plus on avance dans le temps, plus le vin est grand, avec une puissance que l’on n’attendrait jamais d’un beaujolais. Il est noble, extrêmement séduisant. C’est un grand vin.

Les desserts se prennent avec le champagne rosé, toujours à son aise. Ce qui est à noter c’est que les trois vins ont été d’une justesse extrême et parfaits. Je retiendrai surtout cet instant magique et inoubliable qui m’a donné l’impression de toucher le nirvana gustatif, cette sauce du cabillaud à l’émotion infinie. Bravo l’équipe du Pages.


les demi-bouteilles de ma cave

le briefing avant le déjeuner

chez Pages, on a recopié sur le grand tableau une phrase de Jacques Chirac

voici le plat dont la sauce a créé une émotion inouïe pour moi

un rhum Blairmont 1991 que mon ami garde au restaurant