déjeuner au restaurant L’Ecu de France pour mes 80 anssamedi, 22 avril 2023

Cela fait plusieurs mois que j’ai lancé les invitations pour fêter mes quatre-vingts ans. Ce sera au restaurant L’Ecu de France que je connais depuis plus de soixante ans car il accueillait des fêtes familiales. La recherche de vins à ouvrir pour plus de cinquante personnes est assez excitante. Je choisirai en priorité des grands flacons dont certains ont été achetés pour de grandes fêtes. Ce sera le cas du Salmanazar de Pommery 1973 et du Mathusalem d’Ermitage de Chapoutier 2009. Ça fait déjà vingt bouteilles avec ces deux flacons.

Viennent ensuite des jéroboams ou doubles magnums, des magnums et des bouteilles. Nous aurons donc presque tous les volumes possibles. J’ai voulu aussi présenter des appellations originales, peu fréquentes dans des repas. Cela donne le programme qui n’a cessé de changer de semaine en semaine :

Salmanazar Champagne Pommery & Greno Brut 1973 / Bouteilles d’Hermitage Blanc Marquise de la Tourette Delas 1987 / Double magnum Château d’Arlay Côtes du Jura rouge 1989 / Double Magnum Côtes du Roussillon Villages domaine Cazes 1989 / Mathusalem Ermitage « Le Méal » M. Chapoutier 2009 / Magnums Coteaux du Layon Château du Breuil 1985 / Jéroboam « la Géante » Maury Mas Amiel 1963.

Ce n’est qu’au moment des ouvertures que je me suis rendu compte que j’avais créé un programme pour plus de cinquante personnes, sans Bordeaux et sans Bourgogne. C’est assez original.

En accord avec le restaurant, j’ai apporté tous mes vins la veille à 17 heures pour ouvrir les plus grands formats afin qu’ils puissent profiter d’une oxygénation lente. J’ai prévu beaucoup plus de flacons que ce qui est nécessaire, car je ne veux pas avoir de mauvaises surprises et aussi parce que je ne sais pas bien apprécier combien 55 personnes boiront d’un même vin.

Je commence par ouvrir le Salmanazar Champagne Pommery & Greno Brut 1973, dont le bouchon vient sans effort. Du fait du pincement du verre de l’intérieur du goulot, de petites brisures de liège sont repêchées avec les outils adéquats. Le parfum me plait. Si j’ai voulu ouvrir ce flacon en premier c’était aussi pour vérifier que le vin n’est pas mort, car il eût fallu au plus vite trouver une solution de rechange pour l’équivalent de douze bouteilles. Je suis rassuré.

J’ouvre ensuite le Mathusalem Ermitage « Le Méal » M. Chapoutier 2009 qui ne pose aucun problème et offre un parfum conquérant. Ensuite ce sera le Double Magnum Côtes du Roussillon Villages domaine Cazes 1989 qu’il est bon d’ouvrir maintenant car la cire très dure demande un temps extrêmement long. Le parfum est plus encourageant que ce que j’attendais. Tout va donc très bien.

Pendant que j’officiais, un restaurateur d’une ville voisine avait déjeuné avec un ami ce midi et avait asséché deux Rayas et un troisième vin. Il ne cessait de me dire que les vins anciens devraient être ouverts au dernier moment et que mes vins étaient forcément morts. Il n’est ni le premier ni le dernier à avoir ces fausses idées.

Je reviendrai demain pour poursuivre les ouvertures et recevoir mes invités à déjeuner à midi. Le dîner ce soir sera léger.

C’est à 10 heures que je me présente pour ouvrir les autres flacons. Il pleut à torrent. L’apéritif sur la terrasse au bord de la Marne a peu de chances de se réaliser.

Le restaurateur assez « collant » m’avait quasiment obligé hier d’ouvrir une bouteille d’Hermitage Blanc Marquise de la Tourette Delas 1987. J’en ouvre cinq autres. Le Double magnum Château d’Arlay Côtes Du Jura rouge 1989 a une cire difficile à enlever. Il faut en permanence essuyer le goulot pour qu’aucune poussière ne chute dans le goulot. Le parfum est délicat et sensible.

Les magnums de Coteaux du Layon Château du Breuil 1985 ont de vilains bouchons qui se brisent en morceaux alors que le vin est jeune. Son parfum est subtil.

L’étonnement vient maintenant. Le Jéroboam « la Géante » Maury Mas Amiel 1963 est une bouteille qui doit être unique. La cire est très épaisse et je cherche à cisailler la cire en suivant une nervure régulière qui cerne le goulot. Le bouchon sort et soudain, avec lenteur, un gros morceau de verre épais du goulot tombe. Puis quelques secondes plus tard un autre morceau de verre tombe. Immédiatement Hervé Brousse, le fils des propriétaires des lieux, qui dirige l’établissement, a le bon réflexe : on entoure la bouteille d’un film sur plusieurs épaisseurs pour qu’elle soit plus solide. Il va falloir carafer le vin et le filtrer. Lors de ces opérations le parfum du Maury embaume la salle de sa douceur.

Tout est fini de mon côté et la salle du restaurant est en pleine mise en place. On sent que les gestes sont précis et les méthodes rodées. On surveille la météo qui annonce que la pluie pourrait cesser vers 11 heures ou 11h30 ce qui pourrait permettre, si on essore les tables et le carrelage, de prendre l’apéritif sur la terrasse. Ce sera le cas.

Les premiers arrivants, venant de loin, sont très en avance. Tout le monde est à l’heure sauf deux américaines qui nous rejoindront en cours de route, ayant prévenu de leur retard.

Nous nous rendons tous sur la terrasse et c’est le moment de mon discours. Je le rumine depuis deux mois car j’ai envie de citer des anecdotes qui ont jalonné les relations avec chacun des convives, afin que chacun soit cité sans que mon discours ne ressemble à ceux de Fidel Castro qui pouvaient durer six heures. Ceux qui sont cités sont heureux des souvenirs que j’évoque. On peut donc servir le Salmanazar Champagne Pommery & Greno Brut 1973, dont la couleur est ambrée mais assez claire, car, comme je le constaterai le lendemain, le fond est beaucoup plus sombre.

Ce champagne est enchanteur. Il a des saveurs idéales de champagnes anciens et je vois avec satisfaction que mes invités l’aiment. Il combine complexité et charme, étant doux comme un vin doux, mais avec une acidité noble. C’est un champagne très plaisant. J’avais prévu un jéroboam de champagne Montebello 1973 pour le cas où, mais nous n’arriverons même pas à finir ce grand Salmanazar.

Nous passons à table dans la salle de restaurant que nous occupons entièrement en sept tables de huit. Le menu préparé par le restaurant et mis au point avec moi est : tartare de bar au citron confit, œuf de truite et estragon / ravioles d’escargots et gambas, persillade et sauce à l’Arbois / filet de bœuf, sauce périgourdine et crème de foie gras / saint-nectaire / Pavlova aux pommes et ananas, chantilly mascarpone / chocolats / café et mignardises.

Tout le monde est surpris que l’Hermitage Blanc Marquise de la Tourette Delas 1987 soit aussi fruité, large et généreux. C’est en effet un Hermitage en pleine maturité joyeuse. L’accord avec le bar et l’œuf est réussi.

Le Double Magnum Château d’Arlay Côtes du Jura rouge 1989 est une divine surprise. Le vin rouge est d’une délicatesse élégante, subtile. C’est un vin noble et charmant tout en ayant une belle puissance. Il est très au-dessus de ce que j’attendais. L’accord avec les escargots et la persillade est un des plus jolis du repas. Quel vin élégant !

Le Double Magnum Côtes du Roussillon Villages domaine Cazes 1989 est lui aussi particulièrement surprenant, car il y a en ce vin une noblesse que ne pourrait jamais avoir un vin intitulé « Villages ». C’est il y a vingt ans que j’avais visité le domaine de Rivesaltes Cazes, car j’avais tissé une relation amicale avec Bernard Cazes. J’avais bu alors de ce vin les millésimes 1982 et 1979. Enthousiasmé, j’avais alors acheté deux doubles magnum de 1989. Mon choix était bon car ce vin est exceptionnel.

Le Mathusalem Ermitage « Le Méal » M. Chapoutier 2009 est un très grand vin, mais comme je le connais et comme il est jeune, j’ai beaucoup moins de surprise et d’émotion avec ce grand vin superbe qu’avec les deux rouges précédents qui m’ont subjugué. La viande bœuf est de très grande qualité et le saint-nectaire assouplit l’Ermitage à la perfection.

La surprise la plus forte sera pour mes amis offerte par les Magnums Coteaux du Layon Château du Breuil 1985. L’accord avec la Pavlova est immense. Il y a du litchi, des fruits doux, des subtilités qui partent dans tous les sens, et c’est surtout cette douceur lascive de l’odalisque d’Ingres. On est sur un petit nuage de félicité.

C’est maintenant au tour du Maury Mas Amiel en Jéroboam « la Géante » 1963 de parvenir en carafes sur les tables. Le parfum fort est envoûtant et en bouche c’est un feu d’artifice de douceurs, mais conquérantes alors que le Coteaux du Layon jouait sur la douceur.

J’avais demandé à Hervé Brousse que les recettes soient de la plus grande simplicité et de totale lisibilité. Ce fut une réussite complète.

Comment classer des vins si disparates ? les plus complexes et envoûtants sont le champagne Pommery et le Maury. Tous ont de l’intérêt. Mon classement sera : Mas Amiel 1963, Pommery 1973, Coteaux du Layon 1985, Château d’Arlay 1989, et ensuite tous les autres.

Je suis allé parler à chacune des tables. Des amis de longue date ou des membres de la famille se retrouvaient après des années d’absence. L’ambiance était joyeuse. J’entre dans une nouvelle décennie avec un joli paquet d’émotions.


Le Salmanazar est mis à côté d’un format encore plus grand de Pol Roger qui ne sera pas servi

cette photo ci-dessous est juste pour donner des idées sur les tailles des bouteilles

les bouteilles prévues

le Montebello ne sera pas servi

il n’y a pas toutes les bouteilles, mais une de chaque :