Déjeuner au restaurant A Mèremardi, 23 janvier 2018

Nicolas est un gastronome averti, perfectionniste, qui est un volcan d’idées qui fusent comme en une éruption de haute magnitude. Il me propose que nous déjeunions à trois, avec un de ses amis. Il choisit le restaurant A Mère tenu par deux jeunes chefs, Mauricio Zillo et Francesco Ruggiero.

En proposant d’apporter La Petite Chapelle Hermitage Paul Jaboulet Aîné 2007, il plante le décor. Pour aller dans le sens de sa proposition j’annonce un Bourgogne Pinot Noir J.F. Coche-Dury 1995, vin générique d’une redoutable personnalité et son ami ajoute un Hermitage Cave de Tain 2007.

Le restaurant est de décoration minimaliste passepartout mais agréable. J’apprends que Nicolas est venu répéter la veille, afin d’ajuster les plats et les quantités. Il demande un champagne qu’il avait déjà repéré, un Champagne Vincent Charlot « le fruit de ma passion », blanc de noirs 1997 dégorgé en 2014. Ce champagne 100% pinot noir est extrêmement confidentiel puisque seulement 300 bouteilles ont été faites. A l’attaque on sent une assez forte acidité, et le champagne combine des notes lactées avec des notes de fruits un peu aigrelets. Si l’impression est positive, je trouve qu’il y a un certain manque d’ampleur dans le finale qui fort heureusement va disparaitre totalement sur le premier plat. Au fur et à mesure le champagne va gagner en largeur.

Le menu composé par les deux chefs sur des souhaits de Nicolas est : tempura de moules, patate douce et wasabi feuille, chou rave et escarole / artichaut à la Juive, rognons de lapin, orange sanguine, rosa di Gorizia / bar sauvage, chou-fleur, Romanesco, beurre blanc, vanille-curcuma / faux-filet de bœuf, brocoli, pleurotes, champignons / sorbet kiwi du Lot, compotée de pommes Boskoop, granité oseille / Chocolat, bergamote de Calabre, glace aux amandes, crème café.

Il y a énormément d’intelligence et de talent dans cette cuisine. Les tempuras de moule sont délicates et bien croquantes, l’artichaut est profondément goûteux, les rognons sont tendres, le bar est cuit à la perfection et le faux-filet, très concentré, est une viande expressive. Nicolas avait pris la précaution de demander des demi-portions pour chaque plat ce qui est idéal.

Sur l’entrée le champagne s’imposait et le chou rave lui a donné une longueur qu’il n’avait pas. Il s’est révélé accompli et gastronomique. J’ai eu envie d’essayer les tempuras sans aucun accompagnement sur le Bourgogne Pinot Noir J.F. Coche-Dury 1995. Ce bourgogne est ciselé. C’est une mécanique de précision. Il n’est pas large, il n’est pas puissant, il est précis et charmant. C’est un très beau bourgogne qui continuera de briller sur tous les plats. Son nez à l’ouverture était très élégant. Il est expressif et noble. Jean-François Coche-Dury a signé un grand vin.

A l’ouverture le nez de La Petite Chapelle Hermitage Paul Jaboulet Aîné 2007 était riche et voluptueux. Il est encore très séduisant. Il a des côtés généreux que l’on trouve chez Vega Sicilia Unico mais il veut sans doute en faire un peu trop. Le désir de séduction est trop visible.

Au contraire, l’Hermitage Cave de Tain 2007 joue beaucoup plus naturellement, sans prétention et délivre un discours mesuré, presque bourguignon tant il est sur un registre de délicatesse.

Sur l’artichaut, c’est le bourgogne qui est le plus adapté, sur les rognons chacun des trois rouges est acceptable sans créer de réel accord. J’aime beaucoup l’Hermitage de la Cave de Tain sur le bar mais c’est surtout sur la viande de bœuf que ce beau vin du Rhône va s’accomplir.

Nous ne voulions pas passer aux desserts sans avoir mangé de fromage aussi Nicolas est-il allé en acheter dans une boutique voisine. Le vin de Jaboulet m’a beaucoup plu sur les fromages car il a trouvé une opposition de choc qui lui manquait. Essayer de marier les desserts et les vins est un exercice de style auquel j’ai préféré ne pas me livrer, même si le cacao appelait la Petite Chapelle.

Nicolas, toujours aussi entreprenant, nous a fait apporter à chacun un verre de Liqueur d’Elixir des Pères Chartreux, dont la fonction est d’apaiser nos papilles et de préparer d’éventuelles langueurs postprandiales.

La cuisine est manifestement de grande qualité mais pour des repas de vins, je ferais enlever beaucoup de saveurs parasites qui n’apportent rien aux vins.

J’étais avec deux esthètes amoureux de vins et de bonne chère. Une revanche prochaine est prévue. Ce restaurant A Mère est une adresse à conserver et à encourager.