déjeuner au Cinq du George Vlundi, 26 janvier 2009

De temps à autre, avec Nicolas de Rabaudy, écrivain du vin et de la gastronomie, nous aimons faire un petit « gossip ». J’utilise ce mot anglais, car « papotage » aurait un caractère futile que « gossip » n’a pas, dans mon acception personnelle, peut-être erronée. Le rendez-vous est pris au restaurant Le Cinq du George V. Aucun des deux Eric B. n’est là, ni Briffard ni Beaumard, ce que je regrette. Etant en avance selon la coutume, j’ai le temps de consulter la carte des vins. Eric Beaumard est certainement l’un des plus grands sommeliers que je connaisse, mais la tarification pour certains vins bien précis s’apparente au grand banditisme. Quand pour un vin de vingt ans tout juste on dépasse de cinq mille euros le prix que je pourrais payer, je ne vois aucune justification possible. Un restaurant de ce prestige et de cette renommée a une force d’achat que je n’ai pas. Cette force doit être au service du consommateur et non pas le prétexte à un coup de fusil éphémère, ciblé sur la clientèle d’un pays producteur de gaz. Comme Eric Beaumard est habile, il y a quelques pépites ou quelques douleurs que l’on trouve supportables tant les autres excès effraient. Il convient de dire que le George V n’est pas le seul, mais sur certains vins, je crois qu’il l’est. Quand un vin est près de cinq fois plus cher qu’au Crillon, peut-on invoquer la faute de frappe ou l’erreur, quand on sait que le Crillon n’est pas lui-même l’exemple de la modération ? La crise du prix des vins va forcer à des révisions. Les premiers à réagir en tireront les dividendes.

Avant l’arrivée de Nicolas, je commande un Hermitage rouge Chave 2003, car j’aime ce vin. Il est déjà ouvert et carafé quand Nicolas arrive avec un Pommard Grands Epenots Ferrot-Gellard 2002. Abondance de biens peut être nuisible à notre santé aussi, très Frenchie, j’offrirai un verre de chaque vin à une jeune japonaise qui déjeune seule à une table voisine. Elle fera force courbettes pour remercier le généreux donateur, incapable de faire beaucoup plus car elle ne parle ni français ni anglais.

Dans cette salle que je m’obstine à trouver belle alors que ma femme ne partage pas mon avis, nous prenons le menu du jour dont le tarif est particulièrement doux. Il faudrait prendre 76 repas à ce tarif pour égaler le prix d’un Haut-Brion 1989. C’est tout dire, et cela montre la folie de la tarification des vins.

Les amuse-bouche sont sympathiques et discrets. Le risotto crémeux aux asperges vertes, fritons de ris de veau au citron est confortable pour le vin de Pommard, mais il est un peu salé. Le Pommard m’étonne par la joliesse de sa composition. Frais, précis, il plait en bouche sur l’instant, mais un certain manque de structure le prive d’un final qu’il pourrait avoir.

La blanquette de veau au vin jaune, légumes racines aux chanterelles est un plat de première grandeur. Toute l’émotion qui manquait au risotto se trouve, multipliée par dix, dans cette divine blanquette. Il suffit d’un tel plat pour justifier tout le reste. Les légumes sont cuits comme on le montrerait en école de cuisine. L’Hermitage de Chave, quand on le boit et déjà quand on le sent, donne un sentiment de péché. On se sent coupable de défloraison. Riche, charnu, juteux en bouche, il évoque mille et un goûts. On cherche, on s’interroge, mais savez-vous à quoi ce vin me fait penser ? A du vin. Car pourquoi aller chercher des fruits et des fleurs pour imager ce qui est du vin pur, riche, heureux. Ce vin est du vin, solide, serein, charnu, plein de belles promesses.

Un Comté de trente mois me conforte dans mon sentiment qu’un Comté est à son apogée à dix-huit mois, car plus âgé, il tend à ressembler à un Salers. Les délicieuses mignardises sont un allié objectif des salles de sport et autres Pilates.

Dans une salle plus qu’à moitié vide, mais c’est un lundi, le service attentionné est efficace. La blanquette vaut à elle seule le voyage. Ce fut un beau déjeuner.