Déjeuner à l’Oustau de Baumanière aux Baux de Provencemercredi, 2 juillet 2003

Je me rends à l’Oustau de Baumanière aux Baux de Provence. Le chemin qui y mène conduit le visiteur vers une autre planète qui ressemble au paradis. Les rocs, les couleurs, les odeurs composent un paysage féerique. On imagine de longues promenades pour sentir toutes les plantes odorantes, pour parler avec les oliviers centenaires et leur raconter des histoires de santons, on se voit écrire des poèmes sous les arbres séculaires.

Dans ce paradis, une demeure du plus grand luxe peut satisfaire les envies des touristes les plus exigeants. Je retrouvai ce lieu où je garde la mémoire d’un Clos des Lambrays 1947 brillant. En attendant de passer à table je discute avec le sommelier d’une compétence rare et je consulte une de ces cartes de vin qu’on ne trouve que dans les belles maisons familiales – on est ici à la troisième génération – où des trésors anciens sont parfois à des prix inaccessibles et d’autres à des prix très alléchants. Je ne peux résister à l’appel d’un Haut-Brion 1926, l’année que j’adore, et je commets une erreur. Nous allons boire un vin qui est juste ouvert et qui provient d’une cave très froide. Peu de chances que l’on profite du goût exact de ce vin. Mais la tentation est trop forte. Cher lecteur, si vous comptez vous rendre dans ce lieu de rêve, je vous suggère de commander votre vin avec suffisamment d’avance. Il y a des vins somptueux qui ne seront bons que préparés comme il convient. On ne rentre pas dans l’arène sans avoir revêtu son habit de lumière, ce qui prend du temps. L’oxygène est aussi ce rite et le respect du public de ces nobles flacons.

J’ai voulu goûter toutes les facettes du talent du chef en prenant le menu dégustation. Les chairs sont justes, pas dans le sens étroit mais dans le sens exact, car le homard est un homard, et le pigeon est un pigeon. On a pu constater que c’est avec le homard que le Haut-Brion allait le mieux, là où l’on attendrait le pigeon. Il y a dans cette cuisine de la précision, du sens familial, une construction bien faite. La canicule, la conversation que je suivais avec attention et le Haut-Brion en retrait qui me tracassait m’ont sans doute empêché de goûter toute l’émotion que ce chef de talent communique. Le Haut-Brion 1926 exprimait un nez très caractéristique, sa couleur était un peu trop sombre, et l’acidité était trop envahissante. Sa fraîcheur empêchait la générosité de se montrer. Je pense qu’il aurait pu mieux faire, mais ce n’est sans doute pas l’un des meilleurs 1926 que j’ai bus, année que je vénère chez Haut-Brion.

On doit bien sûr se rendre dans cette étape de rêve, pour le site, pour la cuisine, mais aussi pour des vins anciens qui méritent le voyage, à faire préparer quelques heures avant. C’est sans doute le lieu rêvé pour écrire, composer, retrouver les signes de la beauté du monde.