Déjeuner à l’Auberge des Saints Pères à Aulnay-sous-Boisvendredi, 19 septembre 2003

Déjeuner à l’Auberge des Saints Pères à Aulnay-sous-Bois, gentil restaurant dynamique où l’envie de bien faire se sent. La cuisine est juste. Comme pour les Magnolias au Perreux, il faut du courage pour faire de la grande cuisine loin de tout, c’est-à-dire loin du circuit que fréquentent les crocs acérés.

Un Doisy-Daëne sec Barsac 1959 est bu à l’aveugle, apport d’un ami que je retrouve avec plaisir. Je vois la forme de la bouteille qui imposeque ce soit un Bordeaux, mais au nez, je pense à un Meursault, typé, à la Coche-Dury. Mon ami m’expliquera plus tard que cette piste se justifie car il y a un apport de Riesling dans le Doisy, le cépage pouvant donner des odeurs de pétrole ou de métal qu’on trouve en Meursault. Je devine l’année, mais je suis incapable de citer le nom du vin, tant ce Barsac sec est spécial. Belle couleur citronnée, très jeune, goût fort agréable sur un discret foie gras bien rond. Le vin a une belle longueur, des arômes bien typés, même si moins larges que ceux des Graves. Vin intéressant car rare dans cette acception.

Sur un agneau délicieux arrive à l’aveugle un Beychevelle 1959. Là je me trompe tout simplement de 20 ans, car la légère fatigue du vin me faisait penser à 1937 (j’avais bu le 1928 dans un précédent dîner ; on voyait des racines communes). Belle couleur encore bien rouge, grande profondeur. On trouve Beychevelle, même si je ne l’ai pas immédiatement reconnu, charme des dégustations à l’aveugle, et ce vin assez monolithique a une structure d’une grande authenticité : c’est le travail de vignerons qui savent qu’ils traitent une grande année.

J’avais apporté une demie bouteille de Haut-Brion 1950, vin qu’avec mon convive nous avions adoré, pour rappeler de bons souvenirs. Je l’avais ouvert avant son arrivée, et je m’étais enivré d’une odeur immédiatement parfaite qui est le régal de tout collectionneur. Lorsqu’il est servi, le vin est d’un noir d’encre, des odeurs de sous-bois et de champignons forcent la narine. Une concentration de plaisir. En bouche il y a du caramel, mais on passe très vite à la sensation d’un grand Porto. Le vin est concentré comme le 1924 bu cette semaine. Il a sans doute un peu moins de charme que lui, mais montre toute l’excellence d’un grand Haut-Brion, sculptural. Le Beychevelle jouait le rôle de joli faire-valoir du Haut-Brion, chef d’œuvre de densité vineuse. L’équipe du restaurant est attentionnée, motivée, et on se sent bien. Que demander de plus avec ces trois vins qui représentent une page colorée des années 50 à Bordeaux.