Déjeuner à Apiciusmercredi, 3 décembre 2003

Déjeuner à Apicius. Un grammairien dirait sans doute quand il faut dire "à" et quand il faut dire "chez", car la règle achoppe sur la sonorité. On ne va pas à Maxim’s mais chez Maxim’s, alors qu’on va à la Tour d’Argent ou au Carré des Feuillants. Aller chez Apicius ou chez Lucas Carton est plus une affaire de sonorité que de logique. Tout ça pour dire que nous nous rendîmes chez Jean Pierre Vigato. En premier choix de vin, Hermitage blanc de Jean Louis Chave 1997. Nez d’épices et de miel, couleur d’épi doré. En bouche du gras, du fumé. On suce un galet bouillant de soleil. Mais je trouve que c’est quand même un peu limité, un peu court. Puis, sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar, le vin monte de dix niveaux. Il devient tout simplement extraordinaire, car le sucré de la coquille crue et le caviar amaigrissent le vin qui prend l’allure d’un jeune premier. Il fallait que le sucre soit dans la coquille pour qu’il ne soit plus dans le goût du vin. Tout simplement génial. Par comparaison, la coquille Saint Jacques chaude cette fois, avec de la châtaigne et des truffes blanches fait revenir le vin à son goût initial de vin chaleureux, brillant, mais n’ayant plus cette étincelle de génie que lui donnait le premier plat.

Comme il ne fallait pas rester sur le goût récent de la Landonne 1993 un peu juste, on allait trouver une compensation de belle taille avec Cote Rôtie La Mouline Guigal 1990. A l’ouverture un nez de sous bois, de champignon, mais très vite un nez de confiture, de pâte de fruit. Quelle générosité, quelle exubérance. La couleur lorsqu’on verse en carafe est rose trouble, tant on sent l’explosion du fruit fort. Sur une petite préparation à la pomme de terre et aux premières truffes noires d’une année de truffes qui ne sera sans doute pas si maigre, le vin observe encore le terrain, il étale sa belle palette de couleurs de chaleur et de volupté, mais il attend un peu. Sur un succulent ris de veau il m’a conquis. J’aime ces vins qui sont simples, au message extrêmement lisible, mais qui offrent, quand on y prend bien garde, de la complexité à chaque détour. Ce vin est rassurant de perfection simple. Il embellit l’âme, et on le boit avec un plaisir direct que ne donneraient jamais un Pétrus et un Ausone, qui font appel à un dictionnaire de repères sophistiqués, indispensable pour qu’on les déchiffre pleinement. Sur le fromage on pouvait jongler avec le blanc et le rouge. Il est indéniable qu’on peut largement bousculer les traditions et donner au Chave une chance de briller là ou c’est normalement le domaine des rouges. Le sourire de Jean Pierre Vigato nous a conduit sur des territoires gustatifs d’un beau raffinement, avec cette simplicité apparente, exactement comme celle de cette majestueuse Mouline.