Célébration de la passation de pouvoir à Dom Pérignon à Hautvillers et au Plazajeudi, 14 juin 2018

Richard Geoffroy le maître de cave de Dom Pérignon m’avait appelé pour m’annoncer son prochain départ de son poste, pour aller explorer des voies nouvelles dans le monde des boissons. Il m’annonça une journée à Hautvillers puis à Paris pour célébrer la transmission de fonction avec Vincent Chaperon que je connais depuis des années car il a accompagné longtemps la démarche de Richard.

Le jour venu, Richard Geoffroy accueille un groupe d’une centaine de personnes à la cave Thomas, située en léger contrebas de l’abbaye d’Hautvillers et offrant une vue infinie sur les vignes de champagne. En ce milieu du mois de juin après des pluies diluviennes à répétition, des armées de vignerons s’affairent dans les vignes. En descendant vers la cave Thomas, le lieu où toute l’histoire de la Champagne a commencé, superbe crayère qu’a utilisée Pierre Pérignon pour créer le champagne, on nous donne à picorer des morceaux d’un pain de campagne convivial dont on trempe la mie dans de l’huile d’olive. Avant de partager le vin, on partage le pain.

Richard fait un discours de bienvenue joyeux devant la cave Thomas, présente son successeur mais aussi son prédécesseur Dominique Foulon, pour marquer la continuité de l’histoire et nous nous répartissons tous dans les rangées de vignes où ont été disposés de petits chevalets tous les deux ou trois mètres sur lesquels reposent des verres. C’est dans le vignoble autour de l’Abbaye que se fait la dégustation du nouveau millésime présenté pour la première fois ce jour, le Champagne Dom Pérignon 2008.

Un air frais délicat lèche les feuilles de vignes aussi goûter ce champagne dans ces conditions nous pousse à l’aimer. Pour beaucoup, le 2008 se signale par son énergie. Pour moi, dans ce cadre bucolique et romantique, ce sont les fruits blancs et les fleurs blanches qui m’émeuvent. A cet instant de sa vie ce champagne se présente comme un très grand Dom Pérignon, dans la ligne historique des grands Dom Pérignon. Il est promis à un bel avenir. Il est frais, énergique tout en étant romantique, vineux et vif mais aussi charmeur. Il a toutes les qualités.

Nous remontons les pentes harmonieuses des chemins des vignes pour suivre un parcours gastronomique en trois étapes différentes, afin de vérifier les qualités gastronomiques du 2008. L’imagination du chef du lieu est infinie et les saveurs complexes sont excellentes. Jambons, foies gras, champignons, poissons, légumes, toutes saveurs travaillées de mille façons nous sont proposées et le 2008 est agréable à boire sur ces délices, mais le temps est aussi aux discussions car le monde des amis de Richard est un petit groupe de gens qui comptent dans le monde du vin dont on connaît forcément certains que l’on est heureux de retrouver ici et d’autres que l’on découvre.

A 13h00 les choses sérieuses commencent car nous allons déguster sous le cloître en plein air trois champagnes qui correspondent à des dates significatives : 1990 est l’année de l’arrivée de Richard aux côtés de Dominique Foulon, 1996 est le premier millésime fait par Richard seul et 2005 est l’année ou Vincent Chaperon est arrivé aux côtés de Richard. Pendant la dégustation les trois chefs de cave vont faire des commentaires ou citer des anecdotes.

Le Champagne Dom Pérignon P3 1990 a un nez extrêmement puissant. Il est salin et présente de beaux fruits et des noisettes. Le finale a une belle fraîcheur. Dominique évoque des fruits mûrs et des fleurs fanées tout en précisant que ce n’est pas péjoratif.

Il se trouve que pour mon palais, les champagnes qui ont été dégorgés à l’origine pour leur mise sur le marché ont plus d’émotion que les vins dégorgés au moment où ils atteignent leur deuxième plénitude (P2) ou leur troisième plénitude (P3). Je n’aime pas trop les champagnes trop rajeunis mais j’adore parfois des champagnes délicatement réveillés comme les Œnothèques 1966 ou 1962.

Ce 1990 a de beaux éléments de puissance mais qui ne sont pas suffisamment intégrés. Le manque de cohérence me gêne un peu, alors qu’autour de moi on se régale. Mon goût est sans doute très personnel. Je sens un final un peu torréfié et un dosage peut-être un peu appuyé.

Le Champagne Dom Pérignon P2 1996 a un premier nez absolument superbe. Le goût est lui aussi superbe. Ce champagne est plus franc, plus frais, nature, simple et lisible. Il est direct et je l’aimerais très vraisemblablement autant que dans sa version originelle.

Vincent avait fait un beau discours pour annoncer que ce serait le rosé de 2005 que nous boirions mais ce qui est servi, c’est le blanc Champagne Dom Pérignon 2005. Son premier nez est lacté. Ce qui me frappe dans ce champagne c’est sa pureté. Il a une belle minéralité, il manque peut-être un peu de largeur, mais il a un tel charme que je suis conquis car c’est le charme de Dom Pérignon.

Il est prévu au programme à l’intérieur de l’église la cérémonie de passation de pouvoir entre Richard Geoffroy et Vincent Chaperon. Etant venu en voiture et devant repartir par le même moyen, je fais l’impasse sur cette cérémonie pour aller me reposer avant de me rendre au Plaza Athénée où se tiendra le dîner de gala de la transmission de fonction.

Partager le pain, découvrir un nouveau millésime en le goûtant dans les vignes, grignoter des saveurs infinies avec un grand champagne et boire trois millésimes qui montrent la continuité de l’action humaine des chefs de cave, il y a dans tout cela quelque chose de profondément humain et amical. C’est tout Richard Geoffroy.

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De retour à Paris, m’étant perdu dans les vignes en suivant les indications d’un GPS qui avait des envies d’évasions champêtres, j’ai à peine le temps de me reposer et de me préparer pour me rendre au dîner de célébration de la transmission du savoir-faire de Richard Geoffroy vers son successeur Vincent Chaperon.

L’accueil est au bar de l’hôtel Plaza Athénée qui a été décoré pour que Dom Pérignon 2008 soit la star du lieu. Nous bavardons entre amis de Richard Geoffroy de toutes nationalités. Japon, Corée, Singapour, Hong-Kong, Etats-Unis des côtes ouest et est, Allemagne, Belgique, Australie et j’en oublie sans doute. L’apéritif se fait au Champagne Dom Pérignon 2008 avec des petits amuse-bouches variés aux saveurs extrêmement subtiles comme des carottes et des copeaux de fenouil trempés dans des élixirs magiques.

Dom Pérignon a réservé tout le restaurant gastronomique Alain Ducasse plus la célèbre terrasse intérieure pour un dîner de 140 personnes. Le dîner est placé et je me trouve éloigné des collectionneurs mes frères. Je suis à la table des journalistes avec qui j’ai partagé des souvenirs et passé une excellente soirée.

L’énoncé du menu préparé par les équipes d’Alain Ducasse est un roman fleuve : lentilles vertes du Puy et caviar, délicate gelée d’anguille / ceviche de palourdes et maigre, leche de tigre coriande-aji charapita (Gaston Acurio) / pain aux céréales toasté, légumes du château de Versailles, condiment épicé / homard du Cotentin, melon vert, fleurs et baies de sureau / bar de l’Atlantique mariné, feuilles de bétel, caviar doré (David Thomson) / asperges blanches d’Anjou, anémone de mer, corète potagère / turbot du Golfe de Gascogne, radis et coquelicots au Champagne / chanvre de Bretagne, sardine fumée, jeunes poireaux, olives te fruits noirs / langoustines rôties, algues rouges et vertes, vanille (Tetsuya Wahuda) / cerises de Céret au naturel, glace au laurier / Miss Gla’Gla sorbet Ispahan (Pierre Hermé) / neige de Château d’Yquem 2015 / chocolats et fraises de Jouy-le-Châtel.

Les noms entre parenthèse doivent être ceux des créateurs des plats. Il y a dans ce menu une envie manifeste de faire grand. Richard a voulu nous gâter. Mais l’accumulation des saveurs multiples va parfois à l’encontre de l’effet désiré. Ainsi, le plat de palourdes anormalement épicé brule la bouche au-delà du plat suivant. Autre exemple, l’idée de mettre de la vanille avec les langoustines délicieusement cuites c’est-à-dire presque crues, est bonne. Mais l’excès de vanille tue la langoustine alors que la vanille crée un superbe pont avec le Dom Pérignon P3 1990. Une autre idée curieuse est de présenter le Miss Gla’Gla dans une boîte en carton sans qu’elle soit sur une assiette. On enlève le sorbet de la boîte et lorsqu’il se réchauffe la pâtisserie s’effiloche et saute des doigts. Il m’a fallu la faire tomber dans la coupelle prévue pour les cerises. A ces détails près la cuisine est inventive, les plats sont bons et ce dîner prévu pour tant de personnes est impressionnant par sa qualité.

Le Champagne Dom Pérignon 2008 accompagne les entrées, le homard et le bar. La délicate gelée d’anguille trouve en lui une résonnance remarquable. La recette du homard colle vraiment au champagne qui a une assurance et une élégance de crooner. C’est très réussi. Ce champagne va conquérir tous les amoureux et fidèles de Dom Pérignon.

Le Château Cheval Blanc 2008 choisi pour être de la même année que le nouveau champagne est d’une qualité extrême. Son attaque est franche, son grain est lourd et noble. Il est plein en bouche comme s’il avait plus de vingt ans. Il est à dix ans dans un état de grâce et de grand raffinement. Je l’adore et l’accord avec le bar est parfait. Sa typicité de saint-émilion va s’affirmer avec le temps. Il sera très grand.

Le Champagne Dom Pérignon P3 1990 se montre beaucoup plus plaisant que ce matin car il est associé à des plats. Je trouve encore qu’il y a un léger manque de cohérence et d’équilibre dans ce vin, mais il est très agréable sur les plats pourtant moins amènes, le plat de chanvre étant peu gourmand et brouillon et la vanille prenant trop le pas sur les langoustines si belles.

Le goût de l’Ispahan est magique, reconnaissable immédiatement tant Pierre Hermé l’a réussi et s’accorde bien avec le Château d’Yquem 2015 qui est clair comme un bambin. La neige d’Yquem est peu entraînante car on a l’impression de sucer un glaçon, mais ça n’empêche pas l’Yquem de briller. Il démarre en bouche timide, jeune puceau et c’est dans le finale qu’il expose des complexités diaboliquement belles. Il est trop jeune, on le sait, mais le festival des saveurs exotiques qu’il est capable d’offrir dans le finale me ravit.

J’ai un tel penchant pour les goûts purs que l’association des fraises nature avec le Champagne 2008 me ravit au plus haut point, tant le champagne devient souriant.

Si ici ou là je critique des détails, je suis totalement ravi de ce grand repas impressionnant. On a manifestement cherché à susciter des accords originaux et à nous honorer par un menu de très haut niveau. Le service très nombreux a fait un beau travail. A la fin du repas personne ne voulait quitter ses amis ou nouveaux amis. On s’est embrassé les uns et les autres, tant l’amitié transpirait de toutes parts.

Il était prévu un « after-dinner » au Bar du Plaza mais j’ai préféré rentrer chez moi, le cœur heureux d’avoir partagé cette journée avec Richard Geoffroy, devenu au fil des années un ami, qui a fait, une fois de plus, preuve de sa générosité. Des rencontres intéressantes et prometteuses ont enrichi cette journée. Longue vie et plein succès à Richard et bienvenue à Vincent pour qu’il nous concocte des Dom Pérignon d’anthologie.

L’abbaye d’Hautvillers et, sans doute, Dom Pérignon

le partage du pain sur le chemin des vignes

la cave Thomas

Richard Geoffroy nous accueille devant la cave Thomas avec de larges sourires

On boit le 2008 dans les vignes. A noter que les noms du chef de cave partant et du nouveau sont sur les étiquettes, ce qui est un fait rare

dégustation de 1990 P3, 1996 P2 et 2005 devant les trois maîtres de chais

la foule devant les bâtiments de l’abbaye

le soir au bar de l’hôtel Plaza; le Dom Pérignon 2008 est à l’honneur

les vins du dîner

quelques uns des plats dont le sorbet Ispahan Miss Gla’Gla dans sa boîte argentée