Chave et Guigal à l’honneurmardi, 17 février 2009

Nous recevons des amis dans notre maison de banlieue. Face à la cheminée où le feu crépite, l’apéritif se prend sur des gougères et un jambon Pata Negra. Le Champagne Pommery Brut Royal de plus de 20 ans ne fait pas pschitt à l’ouverture. Sa bulle est rare mais le pétillant est intact. D’une palette aromatique très large, il nous séduit par la richesse de ses évocations chaudes et sensuelles. Quand j’ouvre le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle de plus de vingt ans, la dernière rondelle de liège reste dans le goulot. Elle est extirpée au tirebouchon, sans ressentir de pression de l’air enfermé. Comme son prédécesseur, ce champagne a peu de bulle mais un joli pétillement. Un ami dit qu’il est madérisé, terme que je n’aime pas trop, mais il convient de dire que le Pommery est resté plus champagne que le Grand Siècle, qui a évolué vers des notes de fruits roses et rouges. Deux amis préfèrent le Grand Siècle et nous sommes trois à préférer le Pommery. L’intérêt de ces champagnes anciens est d’ouvrir des horizons gustatifs nouveaux, pleins de charme.

Nous passons à table où nous attend une émulsion de mogettes où surnagent des lobes entiers de foie gras. J’avais envie d’essayer un Château d’Epiré, Savennières 1993 mais à l’ouverture, ce vin d’Anjou m’avait rebuté par un nez poussiéreux. Quand je le sers, ce vin est buvable mais sans intérêt. A l’inverse, le Criots-Bâtard-Montrachet domaine Olivier Leflaive 1992 est une petite merveille. Sa fraîcheur citronnée est extrême et ses variations chromatiques sont captivantes. C’est un très bel exemple d’une année remarquable pour les vins blancs de Bourgogne. Le mariage se fait aussi bien avec la crème de mogettes qu’avec le foie gras.

Tous mes vins sont servis en carafe, car je sais qu’un ami adore trouver. Il s’en sortira de façon très honorable. Le plat est un pot-au-feu de canard au chou. Le canard est légèrement miellé. La tendresse de la chair est celle d’une cuisse de nymphe émue dont elle aurait presque la couleur. L’Hermitage rouge Jean-Louis Chave 2000 est d’une finesse invraisemblable. Je pense n’avoir jamais autant ressenti la délicatesse raffinée de ce grand vin. Tout en lui est subtil, ce qui est étonnant pour ce puissant vin du Rhône.

Le vin rouge qui suit surprend par son extrême différence avec le précédent. La couleur du Chave est sang de pigeon alors que celle de la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1997 ressemble à un jus noir de griottes. Ce vin est tout dans le fruit noir, avec une puissance dévastatrice. Et ce qui est amusant, c’est que le plus jeune des deux est le 1997, d’une fougue juvénile débridée. Sa longueur est extrême et sa prise de possession du palais est une invasion. Quel vin !

Une crème au chocolat et à la noisette avec des tuiles au miel d’acacia est accompagnée par un Maury la Coume du Roy domaine de Volontat 1925. La rondeur que donne l’âge adoucit le propos de ce vin riche à la belle longueur. Ses évocations de pruneaux et de fruits bruns sont harmonieuses.

Nous avons reconstruit le monde, avec une hauteur de vue planétaire à côté de laquelle le sommet de Davos paraît subalterne ; je n’ai donc pas demandé de voter. Mon choix se porterait en premier vers La Landonne, en second l’Hermitage, en trois le Criots-Bâtard-Montrachet et en quatre le champagne Pommery. Ces jeunes vins du Rhône sont de plaisir pur.