Champagne Salon aux Caves Legrandlundi, 3 novembre 2003

J’avais dû me rendre pour des formalités administratives à la mairie de Créteil. Cette architecture bolchevique peut-elle conduire au bonheur ? Il me fallait du vin vif pour oublier cette politique urbaine déprimante. Ce fut fait à une dégustation de champagnes Salon aux caves Legrand.

Lors de la récente présentation de vins argentins mon oreille avait capté l’information de cette dégustation. Je m’en félicite. Atmosphère studieuse, rappel historique de Didier Depond que je pourrais citer par coeur.Un petit groupe déjà convaincu déguste. Le Delamotte brut sans année est un bien beau champagne. La bulle est un peu trop lourde mais le vin a du sens. Le Delamotte 1997 est un très beau champagne. Et c’est du vrai champagne, quand le Salon explore d’autres terres. Ce qui est passionnant, c’est que chacun des 7 millésimes de Salon va nous offrir des sensations complètement différentes. Le 1995, c’est le jeune ado qui étrenne son premier costume à la Elvis Presley. Sentant le citron et la pomme verte comme un champagne nouveau-né, il délivre malgré tout la signature Salon, faite de cette concentration vineuse particulière. Paradoxalement, il montre à quel point le Delamotte est du vrai champagne. Le 1990 est d’une élégance rare. C’est un grand champagne. Le 1988 s’affirme par sa puissance. C’est le Salon à sa parfaite maturité. Ah, que j’aime le 1985 qui a tous les cotés dérangeants que j’adore. Sans concession, brutal, agressif, c’est le Samouraï qui vous transperce de son insolence comme le font les vins jaunes qui vous entraînent sur des goûts que vous n’attendiez pas. On sait qu’on va crescendo, mais quand même ! Le 1982 est parfait. Il a tout pour lui : puissant comme le 88, agressif comme le 85, élégant comme le 90, il est une exaltante synthèse. Un grand Salon. Mais il ne faut jamais croire qu’on a fini l’ascension. Le 1979 est au moins aussi subtil, sauf qu’il affiche une légère amertume. Quand elle disparaît, il reste un champagne de la race du 1982. Arrive alors ce qui pourrait être le plus grand ou l’un des plus grands champagnes de ma vie. On sent la rupture gustative avec tout ce qui précède. C’est du caramel, fondu, fumé, épicé. Le Salon 1966 donne à la fois la jeunesse de sa bulle intense et fine, et la maturité d’un Chardonnay puissant dense et incroyablement accompli. Ce qui me plait le plus au delà de l’incroyable franchissement d’étape, c’est ce goût de fumé, un peu comme de l’ananas confit, qui flatte le palais au delà du réel. J’imagine le boire sur un carpaccio de coquilles Saint-Jacques au caviar. Je le sens comme si c’était réel. J’étais un inconditionnel de Salon, ce n’est pas cette dégustation qui m’aura calmé. Lors de cette soirée, le vrai champagne de soif et de plaisir, c’était le Delamotte 97. Le monstre sacré, c’est le Salon 1966, meilleur que tout ce que j’ai bu de ce domaine, sauf peut-être les deux 1959 que j’ai bus avant de réellement prendre conscience de ce qu’est Salon. Et ensuite, chaque Salon du 90 au 79 a une morphologie qui va correspondre à un plat que l’on aime. Avec Didier Depond et le propriétaire de la cave nous avons bistroté ensuite sur le Malbec 1999 argentin bu récemment. Meilleur que lors de sa présentation récente avec un agréable équilibre du fruit et du bois. Mais je me lasse vite de ces vins et mes gencives souffrent d’avoir été attaquées par ce jus surpuissant. Comme je n’avais pas mordu à ce vin, c’est lui qui m’a mordu. Paraphrasant Gotlieb dans Pilote je dirai : « Salon ! Mâtin quel champagne ! ».