Avec quelques amis ma fille cadette vient dîner à la maison. Nous sommes six. L’apéritif nous donne l’occasion d’ouvrir un Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1998 qui est différent des précédents que nous avons bus en ce qu’il est nettement plus évolué. On dirait qu’il a dix ans de plus et cela lui va bien. Le bouchon ne fournit aucune indication sur ce vieillissement. Avec des tranches de saucisson fumé d’Auvergne de grande qualité, le mariage se fait et le saucisson élargit le champagne bien rond, affirmé, aux fruits dorés généreux. C’est un champagne très expressif et très rassurant, car le message est limpide. Pas de complication excessive. Nous l’essayons avec des sardines « 16/20″ très petites puisqu’il y en a seize par boîte métallique. Les sardines sont délicieuses, mais l’accord ne se trouve pas avec le champagne soudainement rétréci.
Nous passons à table. Nous voulons montrer à nos invités la qualité exceptionnelle des œufs de nos poules qui vivent à l’air libre et sont nourries d’aliments bio. Que faire boire avec une omelette ? Près du boucher traiteur dont nous sommes fidèles, le marchand de journaux a été remplacé par un caviste en vins. Par curiosité je m’y étais rendu et il m’avait fait goûter un rosé qui m’avait impressionné. Nous buvons donc un Clos Cibonne Tibouren Côtes de Provence Cuvée Prestige Caroline 2013. Le rose saumoné est intense, le nez n’est pas significatif. Ce qui frappe, c’est la richesse de construction de ce rosé. Il est puissant, pénétrant, de grande longueur en bouche. C’est un grand rosé gastronomique. L’accord se trouve avec l’omelette onctueuse qui est un régal. Aucun œuf du commerce ne pourrait donner cette délicatesse et ce plaisir.
Le plat suivant est un agneau cuit quatre heures en papillotes, essai de ma femme, avec un pressé de pommes de terre et des aulx. Les trois composantes du plat sont fondantes en bouche. Le plat est réussi. Le Mas de Daumas Gassac rouge Vin de Pays de l’Hérault 2000 a un nez raffiné qui plante de décor. Nous sommes face à un grand vin. Il a des accents de vin bordelais et je pense qu’à l’aveugle, je serais parti dans la direction de Bordeaux. Le vin est beaucoup plus noble que ce que j’attendais, même si j’attendais un grand vin. Il est rond, avec une complexité charmante et équilibrée et son final truffé se prolonge avec bonheur. L’accord est naturel sur les goût simples et francs du plat.
Je demande alors aux invités de se concentrer car nous allons réaliser une expérience avec le plus grand sérieux. Il y a un plateau de fromages qui nous attend, mais le centre de nos recherches sera le camembert Jort. Il sera accompagné d’un champagne et d’un vin rouge. Nous devrons dire avec lequel nous préférons le Jort.
Le Champagne Salon 1999 est fort, vineux, percutant. Avec le camembert, il donne des impressions de noisettes. Il est fouetté par le Jort de façon très convaincante.
La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1997 est appréciée par tous. Je la trouve un peu stricte et un peu moins fruitée que d’autres Côtes Rôties de Guigal, mais le fromage excite le vin qui prolonge l’accord d’une grande plénitude.
Pour beaucoup l’accord camembert et champagne est une première et ils sont étonnés que ça se passe aussi bien. Au moment de voter, j’aurais tendance à mettre les deux accords ex aequo, même s’ils sont très différents, mais je choisis l’un des deux.
Le résultat est : trois votes pour l’accord avec La Mouline et deux votes pour l’accord avec le Salon. Si j’avais gardé l’ex aequo, le vote final aurait donné les deux ex aequo car mon choix a été pour La Mouline. L’accord avec le Salon, avec ces goûts de noisette, satisfait l’esprit, alors que l’accord avec La Mouline est beaucoup plus sur la jouissance. La bouche est remplie d’un vin juteux quand le Jort l’accompagne.
Voilà deux accords non conventionnels que nous avons plébiscités. Nous avons continué avec de délicieux fromages dont un original Bellota Bellota qui se présente comme une boule très dure dont on mange l’intérieur crémeux à la cuiller. C’est fort et riche en calories.
Le Salon s’est terminé sur une tarte aux mirabelles du jardin. L’un des amis avait apporté une demi-bouteille sans étiquette dont il nous explique le contenu. C’est un limoncello qui ne vient pas de Sorrente mais de Grasse, avec les cinq sortes de citrons de Grasse ou de Menton, je ne sais plus. Ce digestif est d’une traîtrise absolue, car on ne sent pas du tout l’alcool. On a un jus de citron d’une pureté exceptionnelle au point que l’on en ressent la pulpe. Et il se boit si bien que la demi-bouteille s’est asséchée en un temps record.
L’ambiance s’en est ressentie au point que sur un sujet futile, un fou-rire nous a tenus hors d’haleine pendant un bon quart d’heure. Ce fut une belle soirée d’été.
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