au Castel de Très Girard un Bourbon inoubliablejeudi, 19 novembre 2009

Après la fabuleuse dégustation verticale de 56 millésimes de Clos de Tart de 2005 à 1887, nous nous rendons au Castel de Très Girard pour dîner. Patrice Noyelle administrateur de Clos de Tart mais aussi président du champagne Pol Roger nous a apporté un jéroboam de champagne Pol Roger 1979. Je suis content quand Patrice Noyelle lui-même reconnaît que le champagne est un peu dosé, car ce goût doucereux n’est plus le goût actuel. Ce qui me frappe c’est que ce champagne de trente ans déjà est d’une incroyable jeunesse, comme s’il avait dix ans. Sur des huîtres, du saumon, du foie gras, des gougères et mille autres copieux canapés, le champagne répond merveilleusement.

Nous sommes placés à deux tables de huit. Le menu composé par le chef Frank Schmitt est : filet de bar poêlé, croquant de choux-fleurs violet et crème de chèvre / pintade « les bons amis » rôtie aux herbes, le suprême et gratin de poireaux, sauce blanquette, la cuisse, girolles et jus de viande à la noisette / fromages de Gaugry à Brochon : Cîteaux, comté et roquefort / tarte fine aux pommes, éclats de noix et glace caramel au beurre salé.

Le premier vin est du groupe Mommessin, un Pouilly-Fuissé domaine Bellemand, Laurent & Fils dont je n’ai pas noté l’année. Il est convenable, mais j’évite d’en boire après la dégustation marathon. On me demande d’ouvrir trois Clos de Tart que le groupe américain avait apportés en supplément.

Le Clos de Tart 1982 est mort et ne sera pas bu. C’est le cas aussi du Clos de Tart 1937, mort également. En revanche le Clos de Tart 1921 de mise Van der Meullen est très agréable à boire, mais je doute fort, du fait de sa couleur trop riche qu’il soit totalement de Clos de Tart. A cette heure tardive, seul le plaisir compte et le vin est fort bon. Comme le 1921 est vite asséché, nous continuons avec Clos de Tart 2003 qui est absolument succulent, plus riche et complexe encore qu’au cours de la dégustation. Il se boit avec bonheur.

Ayant été invité à un événement où les vins sont apportés par des collectionneurs, j’ai tenu à contribuer aussi aux plaisirs du jour. J’ouvre un Château d’Yquem 1927 que j’ai apporté. Le nez de ce vin est prodigieusement délicat. Il évoque les agrumes discrets avec un peu de thé. Sur cette période, de nombreuses années au botrytis assez faible ont produit des Yquem au sucre très discret. Il me faut donc l’expliquer aux deux tables pour éviter une erreur de compréhension d’un Yquem très subtil mais peu riche et flamboyant. Lorsque l’on a admis qu’il ait mangé son sucre, phénomène fréquent, on profite d’un Yquem ravissant. C’est un Yquem que je n’avais jamais bu, car il est d’une année très rare. Je suis content d’avoir goûté ce vin dans la lignée des 1932, 1933 et 1936, signe sans doute de vendanges de grains peu attaqués par la pourriture noble.

Ayant cherché un autre cadeau pour ces amateurs américains, j’ai choisi dans ma cave un Bourbon qui fait partie des alcools que j’ai achetés de la cave parisienne du duc de Windsor. La seule indication sur la bouteille est : « imported from the United States of America ». C’est ce qui me paraissait le plus approprié pour remercier les américains de leur générosité. J’ai dû batailler avec le bouchon tout petit, tout court, friable, qui voulait tomber dans le liquide chaque fois que j’y touchais. Au bout de plusieurs minutes, il est enlevé et je sers une belle rasade à chacun puis je porte un toast à leur générosité.

Ce Bourbon du 19ème siècle est une pure splendeur. Il est incommensurable et me rappelle le Bourbon 1900 qu’un américain m’avait fait goûter ainsi qu’à mes amis, lors du 78ème dîner à l’Astrance. Celui-ci est encore plus riche, plus goûteux, plus sensuel. Je suis au bord de l’extase gustative. Le Bourbon n’est pas vraiment goûté car chacun ne songe qu’à rejoindre son hôtel et son lit, et je vois tout le monde partir. Sylvain Pitiot est le seul à me tenir compagnie, car j’ai envie de profiter de l’une des plus sensationnelles formes d’alcool que je n’aie jamais rencontrée. Sylvain retourne chez lui et pendant quelques minutes, seul et rêveur, je cherche à capter la douceur de cet élixir qui me dévoile un coin de paradis. La mémoire de ce goût m’accompagnera toute ma vie.