Académie des vins anciens – 9ème séance – le récitvendredi, 30 janvier 2009

Les vins de l’académie, avec mes "outils de travail" et ceux d’un académicien.

La neuvième séance de l’académie des vins anciens se tient au restaurant Macéo. Dès 16 heures, je commence l’ouverture des quarante-quatre bouteilles apportées par les académiciens. Une petite vingtaine sont déjà ouvertes quand deux amis viennent m’aider pour cette opération cruciale. Les odeurs me paraissent particulièrement prometteuses, et cela me fait plaisir, car les apports des académiciens s’améliorent à chaque séance. Le seul vin en situation critique est un Corton-Charlemagne 1949 qui me paraît mort. Les plus belles odeurs sont celles du Tokay (Pinot Gris) Vendanges Tardives Hugel 1971, du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979 et du Château Suduiraut 1947. Ces vins de belles promesses nous combleront par leur réussite. Alors que je demande aux inscrits que les vins soient fournis un mois avant la séance, c’est à 18h45 que je reçois la dernière bouteille au bouchon particulièrement ingrat. Alors que je me suis changé et habillé de frais, cette ultime ouverture que j’exécute de bien mauvaise grâce est la plus difficile de toutes. La suite de la soirée, par ses enchantements, va effacer ce petit détail.

Nous sommes trente-huit annoncés mais seulement trente-quatre présents pour quarante-quatre bouteilles. Elles sont réparties en deux groupes, ce qui fait que chacun goûtera vingt et un vins ou plus. La liste est impressionnante. Voici ce qu’ont bu les deux groupes.

Groupe 1 – Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Delamotte blanc de blancs 1990 – Champagne Pommery Brut Royal années 80 – Puligny Montrachet maison Pierre Ponnelle 1957 – Puligny-Montrachet Les Pucelles Boisseaux-Estivant négociant 1959 – Château Carbonnieux  blanc 1962 – Château Lynch-Bages 1962 – Chateau Léoville-Poyferré Saint-Julien 1943 – Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1953 – Bonnes-Mares Chanson Père & Fils 1955 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979 – Chateauneuf-du-Pape Domaine de Montredon 1957 – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1/2 bt 1970 – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1/2 bt 1970 – Rioja Siglo 1970 Felix Azpilicueta Martinez – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1964 – Rioja Siglo 1959 Felix Azpilicueta Martinez – Rioja Federico Paternina Reserva 1928 – Vouvray moelleux Le Haut Lieu Huet 1964 – Chateau Pajot, enclave du Chateau d’Yquem, Haut-Sauternes 1923 – château Suduiraut 1947.

Groupe 2 : Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Besserat de Bellefon sans année – Champagne Fred. Leroux à Chigny brut 1964 – Champagne Pommery Brut Royal années 80 – Vouvray Clovis Lefèvre 1959 – Chassagne-Montrachet Henri Pillot 1949 – Corton Charlemagne Ropiteau Frères vers 1949 ou plus vieux – Bourgueil Domaine des Ouches Paul Gambier 1984 – Château Pape Clément 1970 – Chateau Beychevelle 1957 – Marquis de Saint-Estèphe, appellation Saint-Estèphe contrôlée 1964 – Château La Cabanne Pomerol 1962 – Grands-Echézeaux Domaine Gros Frère et Sœur 1976 – Charmes-Chambertin J. Mommessin 1946 – Chassagne-Montrachet rouge Joseph Drouhin 1959 – Gevrey-Chambertin Poulet Père & Fils 1964 – Santenay Remoissenet Père & Fils 1947 – Clos Vougeot Noirot-Carrière 1943 – Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta bt 1970 – Chateau Haut-Bergeron Sauternes 1978 – Tokay (Pinot Gris) Vendanges Tardives, Hugel, réserve personnelle de Jean Hugel 1971 – Porto Galo Réserve Spéciale sans année.

Lors de cette séance, peu de vins ont été échangés entre les groupes, et j’ai bu presque exclusivement les vins du groupe 1. La curiosité m’a poussé à goûter de l’autre groupe le Champagne Fred. Leroux à Chigny brut 1964 qui est un peu fatigué mais offre un goût extrêmement subtil, et le Tokay (Pinot Gris) Vendanges Tardives, Hugel, réserve personnelle de Jean Hugel 1971 au parfum diabolique et à l’expression d’une richesse et d’une généreuse complexité fruitée. Mais, revenons à ceux de mon groupe.

Le Champagne Besserat de Bellefon sans année que j’ai fourni pour l’apéritif me plait un peu moins que lors de la précédente réunion. Mais lorsqu’on s’habitue, ce champagne d’une dizaine d’années bien dessiné paraît fort plaisant.

Nous passons à table. Le menu conçu pour l’événement est le suivant : Crémeux concentré de châtaignes fumées au jus de truffes et fine tartine fruitée aux poires et foie gras / Noix de coquille Saint Jacques d’Erquy en brochette, émulsion ‘fenouil- endive’ et condiments olives / Noisette d’agneau du Bourbonnais, polenta moelleuse aux aromates,  tuile Parmesan cumin / Crème prise ‘chocolat bergamote’ et croustillant de clémentines et agrumes zestés. Pour un si grand nombre de vins, il n’était pas possible de chercher les accords mets et vins, mais le repas fut très bon.

voici le seul plat que j’ai photographié. Par la suite, j’étais trop accaparé par les vins sublimes

Le Champagne Delamotte blanc de blancs 1990 est de Mesnil-sur-Oger, ce qui implique une précision du vin et une belle élégance. Mais le Champagne Pommery Brut Royal années 80 est tellement délicieux que c’est lui qui capte l’intérêt. Ce champagne de ma cave est sans doute plus vieux que 1980. Il est doux, joyeux, et avec le foie gras, c’est un grand bonheur. Sa longueur est remarquable. Toute ma table est conquise par ce champagne de charme.

Le Puligny Montrachet maison Pierre Ponnelle 1957 nous donne un coup de poing dans le cœur. Loin de tous les goûts actuels, il ouvre son propre chapitre dans l’histoire du goût. Le Puligny-Montrachet Les Pucelles Boisseaux-Estivant négociant 1959 est servi en même temps et les deux Puligny sont éblouissants. On ressent que le 1959 a une structure plus forte, et l’effet millésime est sensible, mais en fait, pour beaucoup d’entre nous, c’est le 1957 qui montre une émotion plus sensible. Nous sommes heureux d’une telle paire de vins réussis, qui vivent leur demi-siècle en délivrant des messages merveilleux. Ces vins complexes sont très difficiles à décrire tant leurs palettes aromatiques sont éloignées des goûts actuels, comme nous l’avons vu avec le « vieux » champagne. Nous ne savons pas si la soirée va se poursuivre à ce niveau, mais voilà un départ spectaculaire.

Le Château Carbonnieux  blanc 1962 nous ramène sur terre, car malgré une couleur avenante, le vin est fatigué. Un ami qui a attendu de le boire nous contera plus tard son retour à la vie. Mais sur le moment, le vin n’apporte pas le plaisir qu’il pourrait offrir.

Le Château Lynch-Bages 1962 est assez agréable, et un léger caractère poussiéreux ne devrait pas trop limiter son plaisir, qui croît au fil des minutes, mais il y a trop de désir du côté du Chateau Léoville-Poyferré Saint-Julien 1943, charmeur, doucereux, riche, mâchu. C’est un vin de très grand plaisir, avec, en fond de plais, un léger coulis de fruit rouge.

Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1953 livré à 18h45 et dont le bouchon m’avait fâcheusement résisté consent enfin à être poli envers nous, car il a une distinction et une race rehaussées par une année de première grandeur. C’est un grand vin, mais des trois bordeaux rouges, c’est le 1943 qui l’emporte avec un charme fruité de grand plaisir. Le velours du 1943 est remarquable.

Nous nous sommes bien amusés de l’attitude de l’ami qui a apporté le Bonnes-Mares Chanson Père & Fils 1955. Car il s’obstine à hésiter sur la valeur de son vin, alors qu’il est éblouissant. Il a un charme bourguignon serein. Son année est une grande année bourguignonne, au sommet de son art, et ce vin droit, direct, sans chichi et sans intellectualisme inutile, récite un beau texte fait de séduction naturelle. Et ce qui est remarquable, c’est que ce 1955 ne faiblit pas quand il est bu en même temps que le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979. Ce vin au nez sublime est une expression aboutie et conquérante des vins du Domaine. Il y a la légère amertume, la salinité que j’adore, et cette évocation subtile des pétales de rose. Quel vin enthousiasmant ! L’académicien qui l’a apporté, qui pour sa première séance a réussi un coup de maître rêvait depuis trois ans de l’apporter à l’académie. La joie illumine son visage. Nous demandons que l’on ralentisse le service des vins tant la conjonction de ces deux bourgognes est un moment de plaisir rare, au même titre que les deux Puligny d’à peine une heure plus tôt.

Le Chateauneuf-du-Pape Domaine de Montredon 1957 tient bien sa place après ces deux merveilles. Accompli, avec la belle simplicité généreuse d’un Chateauneuf-du-Pape qui aurait pris des accents bourguignons, il donne un autre type de plaisirs, plus champêtres.

Nous allons maintenant aborder une belle série de vins espagnols, car deux académiciens ont acheté ensemble une importante cave de vins espagnols anciens. On reconnaît en chacun de ces vins un beau style espagnol parfois marqué par un alcool un peu insistant comme avec le 1964. N’ayant pas pris de notes, je ne peux détailler les impressions du Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1/2 bt 1970, du même en bouteille Rioja Siglo 1970 Felix Azpilicueta Martinez, du Rioja Reserva Especial Martinez Lacuesta 1964 et du Rioja Siglo 1959 Felix Azpilicueta Martinez qui, comme un vin français, exprime la beauté de son millésime.

En fait, le plus charmant et de loin, c’est le Rioja Federico Paternina 1928 qui nous réserve l’heureuse surprise d’évoquer la rose, comme le faisait le vin de la Romanée Conti. Ce vin espagnol a une subtilité et une finesse qui sont plus sensibles que celles des vins plus jeunes de sa région. C’est un vin absolument charmant.

A propos de Romanée Conti, je me souviens qu’Aubert de Villaine, lors d’un repas de vignerons que j’avais organisé, avait éreinté avec une insistance remarquée, car inhabituelle, un Haut-Brion blanc 1966 que j’avais apporté. Et voici que je me mets à enfler ma critique du Vouvray moelleux Le Haut Lieu Huet 1964. C’est certainement un grand vin, mais je me prends à le trouver court, limité dans ses expressions à une faible évocation de poire. Quand on connaît la complexité des sauternes, ce Vouvray me semble une ébauche, au plus. Bien sûr, je ne suis pas dupe et je me rends compte que j’exagère la critique, car le vin se justifie. Mon élan critique m’a surpris car ce n’est pas mon tempérament.

Le Chateau Pajot, enclave du Chateau d’Yquem, Haut-Sauternes 1923 est un vin que j’ai apporté pour qu’il entraîne dans son sillage les autres vins de l’académie. Je voudrais en effet que les vins de l’académie aient un âge canonique, car il faut boire les vins qui restent encore en caves. Cette bouteille rare est un message aux académiciens. Quand on me fait goûter, j’ai peur d’un goût de bouchon que je n’avais pas décelé au nez à l’ouverture. En fait le vin n’est pas bouchonné mais il a un léger défaut qui disparaît quand on l’associe aux quartiers de clémentines, qui effacent littéralement toutes les imperfections. Ce sauternes n’est pas puissant, il a mangé un peu de son sucre, mais son message subtil est une belle évocation d’un sauternes joliment évolué et la clémentine le dope judicieusement. Il m’émeut d’autant plus que c’est un autre sauternes de 1923, un Climens, qui a été le déclic de ma démarche passionnée envers les vins anciens, il y a maintenant plus de trente ans.

Le Château Suduiraut 1947, dont l’or magnifique est d’un acajou le plus pur, est synonyme de la perfection absolue du sauternes. Je suis amoureux de Suduiraut 1928 que j’ai bu très souvent, mais force est de reconnaître que ce 1947 est dans l’épanouissement le plus absolu du sauternes parfait. C’est la grâce et la jouissance à l’état le plus abouti. On se délecte de chaque goutte de ce nectar.

Je n’aurais jamais imaginé avant la réunion que nous eussions pu voir les vins de ce soir atteindre un tel niveau. C’est inespéré. On ne vote pas aux séances de l’académie car nous sommes en deux groupes et la collecte des votes serait difficile. Je ferai donc mon vote tout seul. La logique de la perfection me pousserait à mettre le Suduiraut 1947 en premier car il n’a pas l’ombre d’un défaut et une longueur irréelle. Mais le Richebourg 1979 s’est montré tellement charmant, subtil dans la retenue sans retenir son intensité que j’ai envie de le mettre en tête de mon vote. Le troisième pourrait être le champagne Pommery, porteur d’une grande jouissance, suivi du Puligny 1957 pour la surprise immense qu’il nous a donnée. Choisir ensuite entre le Rioja 1928 et le Bonnes-Mares 1955 est difficile.

Voici ce que mon vote serait : 1 – Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1979, 2 – Château Suduiraut 1947, 3 – Champagne Pommery Brut Royal années 80, 4 – Puligny Montrachet maison Pierre Ponnelle 1957, 5 – Rioja Federico Paternina Reserva 1928, 6 – Bonnes-Mares Chanson Père & Fils 1955.

La salle qui nous est réservée au restaurant Macéo est d’une taille parfaite. Le service est engagé et motivé. Le repas est très convenable, si l’on admet qu’il est impossible pour tant de vins de faire des mariages. Les vins ont été d’une incontestable qualité. Bien sûr, quelques vins ne mériteraient pas d’être apportés à ces séances. Nous allons travailler encore sur la qualité des apports, car le concept fonctionne remarquablement et nous devons progresser en qualité. Il n’est que de voir l’enthousiasme des participants, et leurs sourires ravis pour constater que cette séance de l’académie  des vins anciens fut une splendide réussite. On me presse de convoquer au plus vite la prochaine réunion. Le succès de ce soir m’y encourage.