37ème séance de l’Académie des Vins Ancienssamedi, 3 décembre 2022

La 37ème séance de l’Académie des Vins Anciens se tient au restaurant Macéo. Je suis arrivé au restaurant à 15 heures pour ouvrir les vins. Il y aura une cinquantaine de vins pour les 37 inscrits aussi vais-je ouvrir les vins des trois groupes dans l’ordre de service en passant d’un groupe à l’autre pour que le temps d’aération soit le même pour tous les groupes. C’est une opération très fatigante car il y a de nombreux goulots qui ne sont pas cylindriques dont le pincement entraîne une déchirure des bouchons qui remontent en charpie. Pour les trois vins du Jura de 1914, les bouchons sont durs comme du béton et extrêmement serrés. Il me faudra une force herculéenne pour les extirper.

Le vin allemand de 1979 a une odeur de bouchon qui est probablement la pire de ce que j’ai pu sentir. La tentation serait de l’éliminer mais il faut toujours laisser une chance au vin, même si je n’y crois pas. L’une des deux bouteilles de Château La Mouline 1961, celle du groupe 3, a le bouchon qui a sombré dans la bouteille. Je considère que le vin ne sera pas buvable aussi, comme la table 3 a 13 convives au lieu de 12, je décide de leur affecter le Château Gruaud-Larose 1962 au nez superbe.

Les vins offrent des parfums variables, le Vieux Château Certan 1967 me paraît fatigué, les trois vins d’Algérie qui, je l’espère, seront les vedettes de la table 1 ont des parfums très engageants. Le Châteauneuf-du-Pape 1961 a un parfum qui m’inquiète alors que celui de 1969 est prometteur. Tous les vins d’Alsace ont de beaux parfums forts. Les vins bourguignons sont en pleine forme.

J’ai vu de nombreux bouchons présentant des petits trous indiquant la présence de parasites, dont les trois vins du Jura et d’autres encore.

Béatrice, qui m’aide à gérer les verres et les vins a ouvert quelques vins, dont les liquoreux et les champagnes ce qui fait que l’opération d’ouverture est finie à 17h30. Il y a longtemps qu’aucun académicien n’est venu m’aider pour les ouvertures, certains apportant des vins de réconfort pour les ouvreurs.

Voici le programme des vins de ce dîner dont j’ai fourni 26 d’entre eux.

Les champagnes anciens, bruts sans année : Champagne Gardet Extra Quality Finest Réserve Brut – Champagne GH Mumm Cordon Rouge – Champagne Heidsieck Monopole Dry – Champagne Lanson Extra Quality Brut Rosé – Champagne Martin Laurent Brut – Champagne Mercier Private Brut.

Les vins du groupe 1 : Vin blanc illisible Hospices de Beaune 1953 – Bâtard Montrachet Pasquier-Desvignes & Cie 1929 – Côtes du Jura Blanc 1914 – Château Gruaud-Larose Saint-Julien Cordier 1962 – Vieux Château Certan Pomerol 1967 – Gevrey-Chambertin Bouchard Aîné et Fils 1953 – Côtes du Jura Rouge 1914 – Châteauneuf du Pape CH Bader-Mimeur 1961 – Le Rabelais Haut Dahra Ets Jouvin Alger 1951 – TSMARA Domaine du Fendeck Comte Hubert d’Hespel 1929 – Sidi Brahim Grand Vin Vieux Haut Mascara # 1930 – Vouvray Vernon Négociant 1947 – Malvoisie Coteaux d’Ancenis Louis Guindon 1964 – Marsala Superiore Florio &Co ACI 1840.

Les vins du groupe 2 : Riesling Bott Frères Greiner 1967 – Eberstadt WeingartnerTrollinger Genossencchaft 1979 – Puligny Montrachet Clos de la Mouchère Nicolas 1980 – Château La Lagune Haut Médoc 1970 – Château Beychevelle Saint-Julien 1970 – Château La Mouline Moulis en Médoc 1961 – Château La Conseillante Pomerol 1962 – Château Haut-Marbuzet, Saint-Estèphe 1962 – Château de Pez Saint Estèphe 1955 – Châteauneuf-du-Pape Château des Fines Roches 1969 – Clos Fontindoule Monbazillac G. Cros années 60 – Loupiac Cru Peytoupin Vve Robert Cartier 1964 – Sainte Croix du Mont Bouchard Père & Fils 1955.

Les vins du groupe 3 : Pouilly Fuissé Debaix Frères blanc 1961 – Puligny Montrachet Les Folatières Savour Club 1982 – Chablis Grand Cru Blanchots caves du Nectar Bourguignon 1963 – Gewurztraminer Clos St Imer Goldert Ernest Burn 1989 – Château Trotte Vieille 1973 – Lynch Bages 1970 – Château La Mouline Moulis en Médoc 1961 – Chambolle Musigny Joseph Drouhin 1967 – Pommard – Epenots Armand Girardin 1938 – Côtes du Jura Rouge (ou blanc ?) 1914 – Loupiac Nicolas années 60 – Sauternes Lahon Frères 1939 – Cérons JH Rivière Fils 1947.

L’invitation est de venir à 19 heures mais dès 18 heures les premiers académiciens se présentent ce qui poussera à ouvrir les champagnes beaucoup plus tôt. J’en avais prévu neuf, mais Adrian Williamson, le directeur des lieux qui a géré cette séance avec efficacité m’avait dit que c’est beaucoup trop aussi nous n’avons bu que six bouteilles avant de passer à table. Tous ces champagnes sans année sont des années 60 ou des années 70. Le Mumm Cordon rouge, le Mercier et le Lanson se sont montrés particulièrement brillants. Pour beaucoup, ces champagnes anciens aux couleurs ambrées sont de belles découvertes. Les délicieuses gougères mettent en valeur ces champagnes

Nous passons à table avant 20 heures. Le menu sera : truite en gravlax, citron confit et chou-fleur dans tous ses états / cabillaud sauvage rôti et moules safranées, pak choï / navarin d’épaule d’agneau, navet boule d’or / fromages affinés par la maison Bordier et fromages des membres / honeycake au miel de sarrasin, curd de mangue et fruit de la passion.

Tous les plats ont été pertinents et goûteux. Seul le dessert n’apportait rien aux vins.

J’avais posé sur chaque table les vins rouges dans l’ordre de service. Cela a facilité le service et a permis que chaque convive se concentre sur les vins de sa table. De ce fait que je n’ai pas goûté des vins des autres tables.

Le Vin blanc illisible Hospices de Beaune 1953 a un nez extraordinaire et le vin en bouche est une réussite absolue. C’est un très grand vin, de la qualité d’un grand cru, avec un fruit généreux et une mâche joyeuse.

Boire un Bâtard Montrachet de 1929 est extrêmement rare. Le Bâtard Montrachet Pasquier-Desvignes & Cie 1929 est assez énigmatique. Il délivre de belles complexités et des goûts très inhabituels, mais il lui manque un soupçon de charme pour qu’on puisse l’aimer.

J’ai mis à ma gauche à la table 1 un ami généreux qui a apporté trois vins du Jura de 1914 dont il m’a dit ceci : les bouteilles sont issues de la cave du commandant Georges-Emile Grand (1886-1974). Les bouteilles ont été achetées à l’époque et ont été conservées dans cette cave jusqu’à son partage récent entre les descendants. Les millésimes étaient écrits à la craie et les bouteilles rangées par casiers. L’ami avait bu un 1929 plaisant ce qui m’avait poussé à faire ce cadeau à l’académie.

Je suis servi en premier du Côtes du Jura Blanc 1914 et mon ami est servi en dernier aussi la couleur de son verre est nettement foncée par rapport à mon verre clairet. L’ami estime que son verre est plus riche et goûteux que le mien. Je le goûte et je préfère nettement mon verre clairet donnant un vin frais, fluide et très plaisant même s’il n’est pas très complexe. Boire ce vin de 108 ans est très enthousiasmant.

Des amis m’ont dit que le Château Gruaud-Larose Saint-Julien Cordier 1962 que j’avais transféré à leur table s’est montré brillant.

Quelle surprise avec le Vieux Château Certan Pomerol 1967 dont je n’avais pas aimé le parfum. Il est brillant, pur et n’a pas un gramme de défaut. C’est un vin très plaisant.

Le Gevrey-Chambertin Bouchard Aîné et Fils 1953 est d’une pureté et d’un charme que je n’imaginais pas à ce niveau. C’est un très grand vin d’une subtilité rare. Je l’ai adoré. Et les deux 1953 de ma cave, le blanc et celui-ci se sont montrés parfait.

Le Côtes du Jura Rouge 1914 a des accents charmants, mais est peu porteur d’émotion.

Le Châteauneuf du Pape CH Bader-Mimeur 1961 avait un parfum indécis. Il s’est élargi avec l’aération mais il manque un peu d’émotion. Il faut dire que je suis tellement impatient d’accueillir les trois vins algériens que j’abrège mon parcours avec ce vin du Rhône.

Le Rabelais Haut Dahra Ets Jouvin Alger 1951 a un parfum très algérien avec des évocations de tabac et de café. En bouche c’est une surprise car ce vin plaisant a de forts accents de marc. Nous nous sommes amusés à dire qu’un vin algérien hermitagé au marc est particulièrement original. Le vin est bon, mais la trace de marc est forte.

Il va se passer maintenant quelque chose d’inouï. On me sert le Sidi Brahim Grand Vin Vieux Haut Mascara # 1930 car je goûte en premier tous les vins. Je bois le vin, je ferme les yeux, je mets mes mains sur mes yeux, et je m’enferme dans une bulle imaginaire, où n’existent plus ni le temps ni l’espace. Je suis en train de boire un vin parfait, le vin qui a un tel pouvoir qu’il me crée un choc physique.

En face de moi, l’ami qui a apporté le Sidi Brahim s’inquiète. Que se passe-t-il ? Ai-je souffert de goûter ce vin ? Je le rassure et je lui explique que quelques vins dans ma vie ont été d’une telle perfection que mon corps a ressenti fortement le génie magique du vin. Ceci m’est arrivé pour un Yquem 1900, pour un Hermitage La Chapelle 1961 et pour un Montrachet Bouchard Père et Fils 1865. Cela m’est sans doute arrivé d’autres fois mais ces trois exemples percutants sont rejoints par ce Sidi Brahim. Pour que l’on comprenne bien, j’ai bu des vins absolument transcendantaux comme Les Gaudichots 1929 de la Romanée Conti, comme Pétrus 1950 en magnum. Ils étaient brillantissimes, et certainement plus complexe que ce vin algérien, mais pas au point de me donner ce choc physique de l’apparition de la beauté absolue.

Et ce Sidi Brahim, totalement cohérent, rond, parfait, a ce pouvoir inouï de représenter la perfection absolue. Alors, je suis revenu de mon petit nuage pour boire les autres vins, encore ému.

Le vin que j’attendais le plus est le TSMARA Domaine du Fendeck Comte Hubert d’Hespel 1929 qu’une charmante dame m’avait proposé d’apporter, en souvenir de son grand-père qui possédait ce vin. Elle m’avait demandé quoi en faire et je lui ai proposé de le boire à l’académie. Ce vin est parfait, d’une complexité beaucoup plus grande que celle du Sidi Brahim, très algérien et évoquant un cousinage avec les grands Royal Khebir. Ce qui en fait un vin rarissime, c’est son millésime. Il n’a aucune trace de vieillesse. Il est grand, noble, mais ne peut atteindre l’émotion que m’a donné le Sidi Brahim.

Le Vouvray Vernon Négociant 1947 est absolument remarquable de douceur et de fraîcheur. Il a une longueur extrême que donne sa fraîcheur.

Le Malvoisie Coteaux d’Ancenis Louis Guindon 1964 est une belle curiosité. Il y a des saveurs épicées et des douceurs rares, mais ce vin sec n’atteint pas l’émotion du Vouvray.

Le Marsala Superiore Florio &Co ACI 1840 avait été apporté par l’un des plus fidèles et généreux des membres de l’académie. Il était sans illusion car il est évident que ce vin est plus jeune d’au moins un siècle que ce qui est annoncé sur l’étiquette, car la présence alcoolique est trop forte. Il est délicieux à boire pour un vin qui aurait cent ans de moins.

Tout s’est passé au mieux. J’ai eu une surprise en allant à la table 2 pour demander si le vin allemand avait été écarté. Non seulement il a été bu mais certains l’ont aussi aimé. Etait-ce le jour des miracles ?

Mon classement met le Sidi Brahim vers 1930 à des années lumières au-dessus des autres. Ensuite, le Tsmara 1929 mérite d’être second. Je mettrai ensuite trois vins qui se sont montrés superbes, le Vin blanc illisible Hospices de Beaune 1953, le Gevrey-Chambertin Bouchard Aîné et Fils 1953 et le Vouvray Vernon Négociant 1947.

Au titre des curiosités, les deux vins du Jura de 1914, la Malvoisie 1964 et le vin d’algérien 1951 méritent d’être cités. L’ambiance à notre table était chaleureuse, ouverte et attentive aux vins anciens. Ce fut une magnifique séance de l’Académie des Vins Anciens.


la composition des groupes se fait dans ma cave

des photos de l’ouverture des vins

le repas

les photos des vins des trois groupes et des champagnes sont dans les articles ci-dessous.