271ème déjeuner à l’Appartement Moët Hennessydimanche, 12 février 2023

Le déjeuner sera le deuxième que j’organise à l’Appartement de Moët Hennessy où ce groupe reçoit ses importants clients. C’est grâce à Stanislas Rocoffort de Vinnière que j’ai cette opportunité et le directeur des lieux, Nicolas Modock va gérer la mise en œuvre du repas qui sera réalisé par le chef Teshi, propriétaire du restaurant Pages avec son équipe. Ce sera le 271ème repas de wine-dinners.

Les vins ont été livrés il y a deux jours et je me présente à 9h30 pour les ouvrir. Il y a eu relativement peu de difficultés pour les ouvertures. Les bouchons des trois vins de la Romanée Conti sont très serrés dans les goulots et demandent des efforts pour les retirer. Le bouchon du Chambertin Charles Viénot 1959 a laissé échapper une petite brisure dans le liquide. La bouteille étant opaque je n’ai pas pu repérer ce petit morceau que Stanislas a eu plus tard dans son verre. Un petit incident de même nature a concerné le Musigny 1906 à la bouteille encore plus opaque que celle du 1959.

Les parfums les plus brillants sont ceux du Veuve Clicquot 1949, divin à l’ouverture, du vin de Chypre 1869, de l’Yquem bien sûr, et de la Romanée Conti déjà envoûtante à son éclosion.

Le parfum de l’Hermitage est prometteur alors que celui du vin de Trapet me paraît un peu trop timide.

Le vrai problème, qui me fait peur, est la senteur que propose La Tâche 1990. Le goulot sent fortement le bouchon et j’ai peur que cette odeur ne subsiste. Mais je ressens quelques minutes plus tard qu’une amélioration est possible. J’ai alors l’idée qu’une ventilation accélérerait la disparition de la mauvaise odeur. En prenant un petit livre que l’on agite au-dessus du goulot, on peut espérer cette amélioration. Je suis entouré pendant l’ouverture des vins par Nicolas, Constantin et Charlène qui travaillent en ce lieu et sont curieux de voir ma façon d’ouvrir les vins. Je propose à Charlène de manier l’éventail et après de longues minutes, la mauvaise odeur a complètement disparu. Je pense malgré tout que La Tâche ne sera pas au niveau de perfection qu’il devrait avoir, mais au moins il sera agréablement buvable et j’ai eu le plaisir qu’il obtienne cinq votes dans le classement final en fin de repas.

Nous sommes onze, dont quatre nouveaux. Il y a trois espagnols déjà venus, un couple vivant au Portugal et six français.

Dans la belle salle de réception, nous trinquons sur un Champagne Dom Pérignon rosé 2008. C’est un rosé que j’adore, d’une réussite évidente et d’une année qui promet. Il a un charme certain et aussi une personnalité conquérante.

Dès que l’on me sert le Champagne Dom Pérignon Œnothèque rosé 1966 dégorgé en 2007, j’ai envie de laisser exploser ma joie, car on grimpe à toute vitesse au sommet de l’Olympe. Ce rosé est transcendantal. Il est d’un message continu, glissant, déroulant une complexité extrême mais aussi une harmonie qui est la clé de son succès. Quel grand champagne. Je n’en reviens pas de cette superbe perfection. Les canapés au foie gras, les beignets de Scampi et le tartare de veau servi avec de la poutargue mettent en valeur ce champagne gastronomique et serein. C’est un immense champagne.

Nous passons à table et voici le menu que j’avais mis au point avec Naoko, la femme du chef Teshi et réalisé par lui : carpaccio de langoustine et caviar, sauce à la crème caviar, brunoise d’oignon et céleri au xérès / turbot, sauce « PAGES » umami / homard de Bretagne, sauce au comté et miso / pigeonneau rôti, sauce au sang, purée de pommes de terre / bœuf Simmental et Wagyu, jus de bœuf, pommes grenaille sautées / mille-feuille aux mangues / Financier.

A l’ouverture, le parfum du Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1949 m’était apparu exceptionnel. Il l’est et le goût du champagne est meilleur que le goût du magnum de 1949 que les trois espagnols avaient partagé avec moi lors d’un récent dîner. Je trouve ce 1949 au même niveau que le magnum de Veuve Clicquot 1947 servi à l’hôtel du Marc de Veuve Clicquot qui avait illuminé le 196ème dîner. Ce champagne droit et équilibré est d’une justesse de ton extrême et d’une longueur aimable. La sauce crème caviar est originale et gourmande. Ce sont les pointes d’oignons qui excitent élégamment le champagne. Un régal. Le plat est parfait.

J’hésite souvent dans mes dîners de servir des vins blancs très vieux, car ils ne sont pas toujours compris. Le Pavillon Blanc de Château Margaux 1929 n’aura pas ce risque car il est ouvert, compréhensible, fluide et droit. Il est généreux et agréable, simple, sans problème. On lui donnerait sans hésiter 80 ans de moins tant il est droit et ouvert. La coquille Saint-Jacques lutée laissant exploser le parfum de truffe est une merveille, qui créera l’accord le plus parfait du repas. Tout le monde est étonné qu’un blanc de 93 ans puisse offrir une telle jeunesse.

Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004 offre un parfum généreux, opulent mais sans excès. Et le plat divin du turbot subtil l’oblige à jouer de sa séduction plus que de sa puissance. Et l’accord se trouve à merveille, le vin se montrant tout aussi complexe que le plat peut l’être. C’est madrigal contre madrigal, la compétition étant sans gagnant, chacun jouant pour que l’autre triomphe.

Le talent de Teshi sur ces trois plats marins nous a fait penser qu’il tutoyait les trois étoiles. Il y aura maintenant trois plats dont les vins viennent par deux.

Le Chambertin Clos de Bèze Charles Viénot 1959 est d’une intensité extrême. Le vin est incisif, linéaire, jouant de persuasion. Il est riche aussi, au sommet de son art. Je n’attendais pas une telle puissance de ce vin encore jeune, très expressif et percutant.

Le Chambertin Jean et Jean-Louis Trapet 1990 est un des 1990 que je préfère et très réussi mais à côté du Viénot, sa gentillesse le paralyse. Il est subtil mais un peu éteint. Mon voisin de table me dit que si ce Trapet avait été servi seul, nous l’aurions adoré. Il a raison car le Viénot l’a un peu tétanisé. Le homard qui est servi comme au restaurant Pages est gourmand et sa sauce très forte a peut-être effrayé le 1990.

Je voulais dans ce repas qu’il y ait un moment fort, celui de mettre côte à côte La Tâche et la Romanée Conti d’une année mythique pour les deux, 1990. Je souhaitais qu’il n’y ait pas de compétition ou de confrontation entre eux et en fait il n’y en a pas.

Même si La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990 n’a plus aucun défaut olfactif, le vin n’est pas au niveau que je lui connais. Il est bon, expressif, mais la touche de génie ne sera pas là.

Alors que la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1990 respire l’esprit du domaine. Le nez est typique, le vin offre les notes de sel et de rose qui sont des marqueurs forts. C’est une Romanée Conti au sommet de son art, tout en subtilité. Le pigeon est de belle chair mais la sauce au sang est excessive pour le vin. Il aurait fallu une sauce plus légère pour mettre en valeur ce vin si complexe. La Tâche n’a pas démérité mais la Romanée Conti a montré une très belle expression du génie de la Romanée Conti.

Deux vins de deux régions vont accompagner deux bœufs différents. Le bœuf Simmental présenté en une généreuse portion se montre nettement meilleur que le Simmental en petite portion du restaurant Pages. Le Grand Musigny Faiveley 1906 dont j’ai vu sur la capsule que c’est Faiveley négociant et non domaine, trouve avec lui un compagnon idéal. Ce vin de 116 ans est incroyable. Il a une énergie et une profondeur qui sont impressionnantes. Il est de belle densité, riche avec presque du fruit, et sa richesse m’émeut au point que j’en ferai le gagnant de mon vote, car être face à un vin de 116 ans aussi fringant, c’est la récompense de ma démarche vers les vins anciens. J’ai une forte émotion.

Alors que pour les deux plats précédents un vin prenait le pas sur l’autre, sur ces deux viandes, les deux vins si différents joueront à leur meilleur niveau.

Si le Musigny s’accordait au Simmental, l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 est le compagnon idéal d’un magnifique Wagyu. Cet Hermitage est magnifique, d’une palette de goûts très variée et superbe. C’est l’une des grandes réussites de l’Hermitage La Chapelle. Il hésite entre puissance et complexité et joue des deux. On peut aller d’un vin à l’autre car ils ne se nuisent pas, si différents et les deux si plaisants.

Le Château d’Yquem 1924 reconditionné en 1994 est d’une couleur de chocolat noir tant il est foncé. Le nez est de caramel, mais en bouche il évoque aussi la mangue ensoléillée. Son parfum est généreux et voluptueux. Le millefeuille est un peu trop marqué par rapport à la mangue qui aurait dû être dominante. Mais ce dessert est délicieux.

Le Vin de Chypre 1869 avait un nez conquérant à l’ouverture avec de la réglisse, du poivre, du cumin et une trace de camphre qui a maintenant disparu. Le parfum intense est d’une grande séduction. Le vin est fort, entraînant, d’une densité extrême. J’ai un amour particulier pour ce vin prégnant à la longueur infinie, mis en valeur par un financier très réussi.

Nous devons voter sur nos cinq vins préférés des treize vins du repas. Onze sur treize ont figuré dans les votes ce qui est plaisant. Les deux seuls sans vote sont le rosé 2008 de Dom Pérignon, ce qui est logique car il a précédé le repas et a été suivi par le sublime rosé 1966. L’autre vin sans vote est le Chambertin Trapet auquel le Charles Viénot a fait de l’ombre.

Sept vins ont été nommés premier au moins une fois ce qui est remarquable et montre deux choses : d’une part la diversité des choix des convives puisque nos impressions sont différentes, et d’autre part que je n’influence pas les votes de participants, s’il existe sept champions différents. La Romanée Conti 1990 a eu trois votes de premier, le Montrachet 2004 et le Musigny 1906 ont eu chacun deux votes de premier et les vins qui ont eu un vote de premier sont le Dom Pérignon rosé 1966, le Pavillon Blanc de Château Margaux 1929, l’Hermitage La Chapelle 1962 et le vin de Chypre 1869.

Le classement du consensus est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1990, 2 – Grand Musigny Faiveley 1906, 3 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004, 4 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962, 5 – Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1949, 6 – Château d’Yquem 1924.

Mon classement est : 1 – Grand Musigny Faiveley 1906, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1990, 3 – Champagne Veuve Clicquot Ponsardin 1949, 4 – Chambertin Clos de Bèze Charles Viénot 1959, 5 – Vin de Chypre 1869.

L’accord le plus extraordinaire est celui de la coquille Saint-Jacques avec le Pavillon Blanc 1929 suivi du turbot avec le Montrachet de la Romanée Conti 2004. La cuisine de Ryuji Teshima a été absolument remarquable, plébiscitée par tous les convives. Le service a été parfait, des plats comme des vins par le sommelier Clément.

Dans le salon nous avons goûté un Cognac Hennessy Richard très expressif, fluide et racé sur de frais chocolats. Dans une ambiance souriante, ce fut un déjeuner absolument réussi.