265ème dîner de wine-dinners au restaurant Le Tailleventjeudi, 2 juin 2022

Si l’on considère le calendrier comme le détermine l’Education Nationale, le 265ème dîner de wine-dinners sera le dernier de mon année « scolaire ». Il me restera à tenir la 36ème séance de l’Académie des Vins Anciens et ensuite mon horizon sera celui des vagues de la Méditerranée.

J’étais venu il y a une semaine livrer les vins au restaurant Taillevent et composer avec le chef Giuliano Sperandio le menu du dîner. J’arrive à 16 heures au restaurant pour ouvrir les vins avec Antonin, le sommelier qui servira les vins de notre soirée. Il sent les vins que j’ouvre.

Les deux blancs secs ont des parfums prometteurs, diagnostic partagé. Le bouchon du Carbonnieux blanc 1964 se brise en de multiples morceaux, comme celui du Cheval Blanc 1934 et de la Romanée Conti 1983. Le nez du Cheval Blanc et le nez du Fleurie 1945 sont enthousiasmants. La capsule du Coutet 1958 est d’un rose orange d’une rare beauté et le parfum de ce vin, d’une douceur rare, est aussi rose orange. Le Madère 1890 n’a pas de capsule mais un chapeau tressé de tiges de roseaux du plus bel effet. Tous les parfums me sont apparus rassurants, prêts à s’épanouir du fait de l’oxygénation lente.

Un ami nouvellement fidèle de mes dîners est venu me rencontrer vers 17 heures au moment de l’ouverture des rouges. Il m’avait fait un très joli cadeau aussi ai-je prévu de partager avec lui une ½ bouteille de Champagne Pol Roger 1969. Ce champagne est délicieux. Mon ami reconnaît en lui l’âme de Pol Roger, ce qui me fait plaisir. C’est ainsi que nous bavardons jusqu’à l’arrivée ponctuelle de tous les participants.

Nous sommes dix dont quatre que je connais et cinq que je ne connais pas, inscrits grâce à Instagram. Il y a deux anglais, deux américains et une américaine, un australien, un suisse et seulement trois français dont ma fille fait partie.

Dans le magnifique salon lambrissé du restaurant Taillevent, nous trinquons debout avec le Champagne Jacques Selosse Cuvée Substance dégorgé en 2008. Ce champagne puissant à la forte acidité est d’une grande noblesse. Il interpelle tant il est conquérant. Les gougères calment son énergie.

Le menu préparé par le chef Giuliano Sperandio est : amuse-bouche / thon rouge et caviar / langoustine, risotto à l’encre de seiche / ris de veau aux giroles / pigeon aux cerises / Stilton / mangue / tout chocolat.

Le Champagne Krug Vintage 1982 est d’une délicatesse exemplaire. Il est doux, calme, subtil, mais son calme apparent cache une belle puissance et une impériale complexité. Je suis conquis par ce champagne facile à vivre et à ma grande surprise le Selosse recevra beaucoup plus de votes que le Krug, ce qui me rend heureux car cela prouve que mes convives n’ont pas été rebutés par le caractère sauvage du Selosse. Et c’est bien ainsi. L’amuse-bouche avec des morceaux de seiche est délicieux avec le Krug.

Le thon au caviar d’un bel équilibre se mange avec le Pavillon blanc de Château Margaux 1979 et le Château Carbonnieux blanc 1964. Je suis servi des deux vins et c’est une tempête sous mon crâne. Le margaux sent la glycérine et le Graves sent le pétrole et le camphre. Comment est-il possible que ces vins qu’Antonin le sommelier et moi-même avons sentis comme parfaits soient devenus cela ? Et je me dis : « ça part mal ». La seule explication que je vois est la suivante : après ouverture, j’ai demandé au sommelier de garder les vins blancs ouverts debout dans un réfrigérateur frais. Or quelque temps après, j’ai vu dans le réfrigérateur les deux vins couchés et fermés par des bouchons qui n’étaient pas les leurs. Est-il possible que ces bouchons aient eu une telle influence sur les vins ? Cela paraît étonnant, mais l’écart de parfums est tout aussi étonnant. Mes convives ont été charmants car aucun n’a exprimé un rejet de ces deux vins franchement désagréables, même si derrière le voile de leurs impuretés on sentait ce qu’ils auraient pu être. Fort heureusement la suite va combler nos désirs.

Le risotto qui accompagne la langoustine est divin. Ce plat vogue avec l’Auxey-Duresses Bégin Clonet 1967 et le Fleurie Albert Bichot & Cie 1945. Le bourguignon fait partie des fantassins qui luttent vaillamment à côté des gradés chevronnés et cet Auxey a un parfum délicat et une fraîcheur plaisante même si sa complexité n’est pas extrême. La surprise est immense pour mes convives de voir qu’un beaujolais peut vieillir de si belle façon. Son parfum est charmeur et le vin s’exprime avec élégance. Qui dirait beaujolais en le buvant à l’aveugle ? Il est vraiment d’un équilibre idéal.

Le Château Cheval Blanc 1934 fait entrer de plain-pied dans le monde des ‘vrais’ grands vins. Quelle émotion. Je l’aime car il est doux, plein de charme avec une texture fine si raffinée. Un vrai bonheur qui éblouit chaque convive. Le vin a 88 ans et c’est un jeune homme fringant et séducteur. Le ris de veau est d’une cuisson parfaite et l’accord est idéal. Enfin on se sent sur l’Olympe.

Un convive fidèle lecteur fait remarquer que c’est la première fois que je mets deux vins de la Romanée Conti de la même année dans un dîner. Si j’ai pris cette initiative, c’est plus pour les associer que les comparer. La Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983 a pour mon nez et mon palais tout ce qui fait l’âme de la Romanée Conti, la rose mais ici surtout le sel. Et j’adore. La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983 est de bel équilibre, d’une cohérence rare, mais le sel lui manque un peu malgré sa rose si élégante. Les deux vins sont d’un accomplissement parfait. Certains trouvent la Romanée Conti plus riche et plus complexe et l’on verra cette Romanée Conti recevoir un couronnement de république bananière. J’aime les deux vins mais j’ai un petit faible pour la subtilité gracile de la Saint-Vivant.

Le Stilton est de belle qualité et forme avec le Château Coutet Barsac 1958 un très bel accord. Le vin est d’une douceur extrême, rose et fraîche. C’est avec la mangue que l’accord est absolument parfait. C’est la plus grande émotion instantanée de ce repas que cet accord d’anthologie. Le vin est tout simplement charmant. Le sorbet n’est pas en continuité avec la chair pure de la mangue. La meringue par son caractère sucré crée une belle excitation du Barsac.

Le Madère Isidro Goncalves 1890 a dû être mis en bouteille dans les années 50. Il est d’une belle énergie combinant la douceur et un bel aspect de vin sec. De tels vins sont des plaisirs purs. Les variations sur le chocolat sont très agréables. Un ami me dira qu’il s’agit d’un Sercial.

La cuisine a été de haute qualité. L’accord le plus beau est probablement celui du Cheval Blanc avec le ris de veau. Tous les plats ont été de belle réalisation.

C’est le moment des votes. La Romanée Conti a cannibalisé les votes avec huit votes de premier. Les deux autres votes de premier sont la Romanée Saint-Vivant et le champagne Selosse.

Le vote global de la table est : 1 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Château Cheval Blanc 1934, 3 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 4 – Champagne Jacques Selosse Cuvée Substance dégorgé en 2008, 5 – Fleurie Albert Bichot & Cie 1945, 6 – Champagne Krug Vintage 1982.

Mon vote est : 1 – Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 – Château Cheval Blanc 1934, 4 – Fleurie Albert Bichot & Cie 1945, 5 – Champagne Krug Vintage 1982.

L’ambiance a été particulièrement chaleureuse. Beaucoup ne connaissaient personne mais devant des vins de haute qualité chacun se recueillait avec plaisir. J’ai apprécié l’attitude ouverte de tous devant les vins blancs secs aux déviations inattendues. Nous sommes appelés à nous revoir.


la table du dîner

bu avec un ami venu en avance

les vins

la capsule du Coutet est de toute beauté