262ème dîner au restaurant Pagesjeudi, 21 avril 2022

Le 262ème dîner se tient au restaurant Pages. Le dirigeant d’une entreprise américaine ayant des connections avec la France invite certaines de ses relations françaises. L’un de ses cadres français me contacte pour organiser un dîner pour des amateurs éclairés. Il y aura en effet autour de la table une majorité de membres du club des cent, ce club de celèbres gourmets. Le nombre de convives a pendant longtemps dansé le tango, un pas en avant et deux pas en arrière, me poussant à préparer un repas pour treize convives devenus douze le jour du dîner puis onze seulement du fait de la défection non annoncée d’un inscrit.

A 16 heures je me présente au restaurant Pages pour ouvrir les vins du dîner, avec l’aide compétente du sommelier Matthieu, qui fait aussi office de directeur de salle pendant l’arrêt-maladie du nouveau directeur.

Le parfum du Laville Haut-Brion 1953 est invraisemblable de puissance et de perfection. C’est le seul vin que je rebouche après ouverture pour ne pas perdre la générosité de ses fragrances. Le nez du Bâtard-Montrachet 1993 est subtil quand celui du Montrachet 1989 est large et puissant. Le nez du Palmer 1959 est divinement bordelais quand celui du Pétrus 1953 est celui d’un vin guerrier. Le nez de l’Echézeaux 1974 a le charme absolu des vins du domaine de la Romanée Conti. Les deux vins du Rhône ont des senteurs calmes et épanouies. Le Château Chalon 1962 est une bombe de parfums conquérants. Le Lafaurie-Peyraguey 1926 est une danse des sept voiles, avec des parfums aux complexités infinies et le Sherry du Cap 1862 est d’une finesse extrême en un message pénétrant.

Aucun parfum ne pose question. Les plus complexes et puissants sont les plus anciens, de 1926 et 1862. Viennent ensuite le Laville 1953, le Palmer 1959 et l’Hermitage la Chapelle 1962 qui sont au-dessus du lot.

Les ouvertures sans problème sont terminées à 17h20. Il me reste un peu moins de trois heures à attendre l’arrivée des convives. Je bavarde avec l’équipe de cuisine, heureuse de créer de beaux plats et quand ils vont dîner à 18 heures au 116, la brasserie qui appartient aux propriétaires de Pages, je les suis pour, selon la tradition, boire une bière et grignoter des édamamés.

Nous serons onze dont deux femmes. Pour ne pas démarrer par un champagne très ancien, j’ai ajouté au dernier moment un Champagne Salon 2004. Il joue bien son rôle d’entrée en matière (de luxe dira un convive passionné de Salon) car il est d’une belle droiture et promet de grandes complexités dans quelques années. Ce champagne me permet de faire le discours traditionnel au début de chaque repas.

Le menu composé par le chef Ken et son équipe est : choux au parmesan / carpaccio de barbue / homard sauce bisque / rouget sauce civet / pigeon sauce salmis / bœuf wagyu / comté 18 mois / tarte aux agrumes / mignardises. Ayant imprimé les menus et ayant traduit en anglais les intitulés des plats, toute l’équipe de Pages s’est gaussée de ma traduction du chou au Parmesan en Parmesan cabbage ! j’ai utilisé trop vite Google Traduction. Ma faute.

C’est le Champagne Mumm Cordon Rouge 1937 qui accompagne les choux qui ne sont pas des choux. Sa couleur est d’un bel or légèrement ambré. Il n’y a pas de pschitt mais le pétillant est là. Le champagne est fruité, cohérent, rond et bien assemblé et se boit avec plaisir. Je vois l’étonnement de plusieurs convives pour qui un champagne de 85 ans ne devrait pas avoir cette rondeur.

J’ai voulu associer un champagne et un vin blanc sur le poisson cru, car j’ai souvent remarqué que les deux se fécondent. Nous le vérifions car le Château Laville Haut Brion 1953 au parfum diabolique de présence et de puissance propulse le Champagne Krug 1982 à des hauteurs qu’il n’atteint pas quand il est bu sans être précédé par le vin bordelais. Le Krug qui m’avait offert à l’ouverture un très joli pschitt est idéal et d’un bel équilibre. Il est particulièrement courtois et subtil. Le Château Laville Haut Brion 1953 d’une couleur nettement plus claire que celle du Mumm est un bordeaux blanc parfait, dynamique puissant, aux suggestions exotiques et beaucoup plus intéressant par sa complexité que des bordeaux blancs parmi les plus prestigieux. Il fait partie des très grands Laville. L’accord avec le poisson goûteux et discret est superbe.

Le homard est cuit idéalement. Il accompagne deux blancs de Bourgogne. Le Bâtard-Montrachet Pierre Morey 1993 est tout en finesse et subtilité. Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1989 est au contraire tout en affirmation et en puissance. Et malgré le plus grand prestige du Montrachet je préfère la sensibilité du Bâtard.

C’est une de mes coquetteries de faire servir du rouget dès qu’il y a un Pétrus. Les deux bordeaux rouges seront servis ensemble. Le Château Palmer Margaux 1959 correspond à la définition du bordeaux parfait, archétypal. Il est riche, plein et d’un équilibre rare. On sent la truffe mais légère et sa densité est subtile.

Au contraire, le Pétrus pomerol 1953 est une bombe. C’est un Pétrus guerrier, large et conquérant. Seul, on l’applaudirait, mais je préfère la subtilité d’un Palmer sans l’ombre d’un défaut, alors que le Pétrus est grand. La sauce civet est idéale pour les deux vins.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 est servi seul sur le pigeon à la cuisson parfaite. Le nez était à l’ouverture l’image même de la Romanée Conti. Ce vin subtil, fin, raffiné est un moment de pur bonheur. Et l’accord est doctrinal. Nous vivons tous un moment rare qui couronnera ce vin du plus grand nombre de places de premier. 1974 est une année que je chéris particulièrement pour les vins du domaine. J’ai bu treize vins du domaine de ce millésime.

Le wagyu est le compagnon idéal des deux vins du Rhône. Le Châteauneuf-Du-Pape Montredon 1952 est très agréable et convivial mais il va vite être oublié car notre attention est attirée par l’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 qui pourrait probablement jouer dans la même cour que son légendaire aîné, le mythique 1961. Car cet Hermitage est parfait. Il n’a pas l’ombre d’un défaut et sa facilité dans sa complexité en fait un vin au charme insolent. Quel grand vin.

Le Château Chalon Fruitière Vinicole des Producteurs de Château Chalon 1962 est d’une grande puissance aussi bien olfactive que gustative et l’accord avec un Comté est l’un des piliers de la gastronomie. Il y a à notre table des grands amateurs de vins jaunes. Ils sont ravis par la longueur extrême de ce vin.

Il y a parmi les participants l’un des propriétaires d’un grand sauternes. C’est tout naturellement qu’il nommera premier le Château Lafaurie Peyraguey Sauternes 1926 qui est brillantissime. Presque noir, il est complexe et pénétrant. Il a un charme fou que seuls les grands liquoreux peuvent avoir. La tarte que la charmante Yuki a préparée a une acidité idéale pour ce vin opulent qui est d’un accomplissement parfait.

Le Sherry du Cap 1862 est fondamentalement dry, mais l’âge a adouci et arrondi son message. Les financiers de Yuki, qu’elle appelle « financiers François » parce que nous les avons mis au point ensemble adoucissent la force de l’alcool et rendent le Sherry éblouissant.

Les convives ont été le plus souvent admiratifs des accords tout au long du repas. Il est l’heure de voter pour les cinq vins que chacun a préféré. Aucun champagne n’a eu de vote ce qui peut se comprendre par le fait qu’en fin de repas, avec tant de merveilles, on oublie les vins du début. Quand on pense que Krug 1982, l’un des plus grands champagnes qui soient, n’a obtenu aucun vote, cela laisse songeur et laisse penser que les autres vins ont été exceptionnels. Le seul vin qui n’a pas eu de vote est le Châteauneuf-Du-Pape Montredon 1952, qui est resté dans l’ombre du sublime Hermitage.

Cinq vins ont eu des votes de premier, l’Echézeaux 1974 cinq fois, l’Hermitage 1962 trois fois, et le Palmer 1959, le Château Chalon 1962 et le Lafaurie Peyraguey 1926 chacun une fois.

Le vote du groupe est : 1 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, 2 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962, 3 – Château Lafaurie Peyraguey Sauternes 1926, 4 – Pétrus pomerol 1953, 5 – Château Palmer Margaux 1959, 6 – Château Laville Haut Brion 1953.

Mon vote est : 1 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, 2 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962, 3 – Château Palmer Margaux 1959, 4 – Château Laville Haut Brion 1953, 5 – Château Lafaurie Peyraguey Sauternes 1926.

Je suis content que des gourmets émérites de cette table aient pu être impressionnés par les accords et aussi par la qualité des vins, épanouis par la méthode d’ouverture que j’utilise. Il est plus que probable que nous allons nous revoir.

Champagne Salon 2004

Champagne Mumm Cordon Rouge 1937

Champagne Krug 1982

Château Laville Haut Brion 1953

Bâtard-Montrachet Pierre Morey 1993

Montrachet Bouchard Père & Fils 1989

Château Palmer Margaux 1959

Pétrus pomerol 1953

Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974

Châteauneuf-Du-Pape Montredon 1952

Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962

Château Chalon Fruitière Vinicole 1962

Château Lafaurie Peyraguey Sauternes 1926

Sherry du Cap 1862

les préparatifs

photo avec le chef Ken et le sommelier Matthieu

le repas

la table en fin de repas

les votes