247ème repas dans ma cavemercredi, 10 mars 2021

Peu avant le confinement de 2020 un ami m’avait demandé si je pouvais organiser un repas qui permettrait de mieux comprendre le monde de la Romanée Conti. L’idée m’avait plu. J’ai conçu un repas et des amis contactés désiraient y participer. Les conditions semblant réunies pour que le repas ait lieu, ce sera dans ma cave. J’avais annoncé que nous serions huit.

L’un des participants, ami de ma fille aînée, lui parle de ce repas et ma fille m’envoie un SMS : aurais-tu un strapontin pour moi ? Il faut que j’ajoute un vin mais aussi que je tienne compte de la situation pour que tout le monde soit satisfait. Je décide, sans l’annoncer, de remplacer La Tâche 1969 par une Romanée Conti 1969. Il y a évidemment un saut dans l’échelle des renommées.

Le repas aura lieu dans ma cave aussi je fais appel au restaurant Pages pour me proposer un menu « à emporter » qui conviendrait aux vins. Le jour venu, je me lève de bon matin pour être à pied d’œuvre dans la cave et commencer les ouvertures des vins dès 8 heures du matin. Les bouchons des jeunes vins de la Romanée Conti sont incroyablement serrés dans le goulot. Comprimés, ils ne sortent pas facilement et je ne suis pas sûr qu’une compression aussi forte soit un gage de limitation de la part des anges sur des décennies. Le parfum du Montrachet 2004 est une bombe de fragrances. Les nez les plus typés Romanée Conti sont ceux de l’Echézeaux 1995 et du Grands Echézeaux 1962.

Le vin que j’ai ajouté au programme est un Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1992 que j’ai voulu mettre en parallèle avec le Corton Prince de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2009 qui est le premier millésime du Corton Prince de Mérode vinifié par le Domaine de la Romanée Conti depuis qu’il a pris en fermage les trois cortons Prince de Mérode. Les deux nez des deux vins sont d’heureuses surprises, et celui de 1992 est particulièrement engageant.

Lorsqu’il s’agit d’ouvrir la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969 au beau niveau, je prends d’infinies précautions et le bouchon vient entier même s’il se déchire du fait du cylindre du goulot qui comporte des pincements. L’odeur est hélas assez terreuse et le vin aura bien besoin de se reconstruire pendant les cinq à six heures de son aération lente.

Le Lafaurie-Peyraguey 1926 a un niveau un peu bas et une couleur d’un marron-noir opaque. Le parfum est une merveille. Tout se présente bien sauf un petit doute sur la Romanée Conti.

Ma collaboratrice est en train de laver 90 verres et de préparer la mise en place de la table. Je numérote chaque verre de 1 à 10, et je place les verres devant chaque place, en trois rangées selon le schéma 4-3-3, comme au football.

Les deux champagnes sont ouverts vers 11 heures. Les deux bouchons se cisaillent lorsque je tourne le haut du bouchon, le Lanson se cisaille au niveau de la lunule du bas alors que celui du Mumm se cisaille juste en dessous du haut du bouchon. Aucun ne fait de pschitt et les parfums sont sympathiques.

Les amis arrivent, l’un d’entre eux ayant pris livraison des plats préparés par le restaurant Pages. Nous visitons la cave et ensuite nous passons à table. Le menu composé par Ken et son équipe est : Carpaccio de daurade grise, façon ceviche, taboulé de Quinoa / Shiitaké farci à la chair de saucisse / Chaud-froid de poularde à la truffe / Langue de bœuf confite, sauce gribiche / Pâté en croûte de Colvert et de foie gras, pistache / Roastbeef galicien au miso, riz assaisonné à l’oignon confit et jus de bœuf / Wagyu au Shui-Koji, ris de sushi, gingembre mariné / Mousse à la mangue.

Je sers en même temps les deux champagnes. Le Champagne Lanson Red Label 1964 a une couleur ambrée mais claire et aucune bulle n’apparaît, ce qui n’empêche pas de sentir un fort pétillant. Le nez du champagne est extrêmement expressif. En bouche il est glorieux. C’est l’expression aboutie d’un champagne solaire à pleine maturité. Il est gourmand et on le mâche comme une gourmandise.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979 au contraire offre une bulle généreuse. Sa couleur est très claire, comme celle d’un champagne très jeune. Il est tranchant et vif, offrant une énergie extrême ainsi qu’une grande profondeur. Ces deux champagnes très dissemblables sont passionnants. Il sera difficile de les départager dans les votes. Le carpaccio de daurade est idéal pour ces champagnes. La force du Mumm m’impressionne, comme la maturité joyeuse du Lanson. Il s’agit de deux champagnes de très fortes personnalités.

Pour la saucisse et le champignon, l’envie est grande de boire le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004. Sa couleur est d’un bel or clair, le nez est tonitruant, riche et en bouche le vin est puissant, pur, parfait. On relève des traces sensibles de botrytis qui lui donnent du gras mais n’altèrent pas sa fraîcheur. L’accord avec le plat est magique et le vin représente la gloire du vin blanc de Bourgogne. Il est tout simplement parfait. Nous sommes tous émerveillés par sa largeur et sa présence. Avec le plat c’est un grand moment.

Le Corton Prince de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2009 a un superbe nez, très expressif. Sa vivacité est extrême. A côté de lui, le Corton Clos du Roi Prince de Mérode 1992 au nez aussi expressif est plus assis, bourgeois. Il a des accents très convaincants, mais nous sommes presque tous plus sensibles au côté tranchant du 2009. Pour un vin jeune et qui n’est que le premier millésime fait par le Domaine, on peut dire qu’il offre beaucoup plus que ce que l’on pouvait attendre. Le 1992 ne fait pas pâle figure et s’il était seul, il serait largement apprécié.

Sur les plats suivants, la poularde, la langue de bœuf et le pâté en croûte nous ferons des allers et retours entre les vins rouges qui suivent et le Montrachet qui est capable de briller sur tous ces plats.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1995 a un nez qui est strictement ce que j’attends d’un vin du Domaine, vif, marqué par du sel. La couleur est clairette et le vin est vif et entraînant. Quelle belle entrée en matière dans le monde de la Romanée Conti.

A côté de lui, la Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 1992 fait beaucoup plus assise. C’est le sous-préfet au champ. Il a un bel équilibre, mais à côté du vibrionnant Echézeaux, il ne trouve pas le ton qu’il faudrait. Il est grand mais se concevrait seul pour qu’on en découvre toutes les subtilités.

La langue de bœuf ne peut se concevoir avec les vins que si l’on enlève la sauce gribiche, que je n’ai pas goûtée. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1962 est une pure merveille. Si l’on devait montrer ce qu’est l’âme de la Romanée Conti, on choisirait ce vin. Son parfum est de rose et de sel et le vin est d’une élégance rare, dosant ses amertumes et ses fraîcheurs de la plus belle des façons. Quel grand vin qui justifie ce repas et ce voyage. On ne s’y trompera pas car il obtiendra six places de premier sur neuf votes.

La Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969 a perdu toute odeur de terre et se présente avec un parfum solide et avenant. Elle est plus trapue que le Grands Echézeaux, charpentée, cohérente mais n’a pas la flamme intérieure qu’elle devrait avoir, du moins à mon goût. Mes amis, dont la majorité découvrent leur première Romanée-Conti seront plus conquis par cette Romanée Conti que je ne le suis. Et le si sensible Grands Echézeaux ne lui rend pas service tant il est prodigieux.

J’assure le service de tous les vins et absorbé par cette tâche, je ne consulte pas le menu aussi il apparaît que nous avons fini les vins rouges alors qu’il reste à venir le roastbeef et le Wagyu. Je suis contrarié et perplexe, car quel vin rouge pourrait suivre après ces si beaux vins. J’envisagerais bien de ne pas servir les viandes, pour que l’harmonie du repas subsiste, mais mes amis ont de solides appétits. Alors je vais chercher un Magnum Vega Sicilia Unico 1998 que j’ouvre sur l’instant et ne sera pas noté dans les votes, car cela n’aurait aucune signification de le comparer avec les vins du Domaine.

Le vin espagnol est absolument délicieux, riche et spontané, avec ce finale mentholé que j’adore. Il accompagne idéalement les deux viandes servies froides. C’est un grand vin mais qui est en dehors de la logique des vins de la Romanée Conti.

Le Château Lafaurie-Peyraguey 1926 a une couleur incroyablement foncée. Son nez est riche et complexe et en bouche ce vin est un bijou. Quel bonheur, quel délice, et on voit qu’avec le Montrachet, les vins blancs, qu’ils soient secs ou liquoreux, quand ils sont au sommet de leur art sont des vins parfaits. Le gâteau à la mangue, si frais et fluide est idéal.

Le vote est difficile. Tous les vins sauf celui du Prince de Mérode 1992 ont eu des votes, soit neuf sur dix. Le Grands Echézeaux 1962 a six votes de premier et figure dans tous les votes. La Romanée Conti 1969 a deux votes de premier et figure dans huit votes sur neuf. Le Montrachet 2004 a une place de premier et figure aussi sur huit votes.

Le classement du consensus serait : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1962, 2 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969, 3 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004, 4 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1995, 5 – Château Lafaurie-Peyraguey 1926, 6 – Corton Prince de Mérode Domaine de la Romanée Conti 2009.

Mon vote est : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1962, 2 – Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2004, 3 – Château Lafaurie-Peyraguey 1926, 4 – Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1969, 5 – Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1979.

Nous étions évidemment seuls dans la pièce aussi les rires et les plaisanteries ont fusé de toutes parts. Jamais un repas n’a été aussi joyeux. Il faut dire que le programme avait de quoi susciter notre bonne humeur. L’un des participants est venu avec un Cognac Martell 1979 mis en carafe en décembre 2017 titrant 50°. La jolie bouteille de La Distillerie Générale, de 35 cl est arrivée très facilement à marée basse. L’alcool est classique, précis et facile à boire. Un beau plaisir.

Les accords mets et vins ont été réussis. La saucisse et le Montrachet est une merveille, comme le dessert si léger à la mangue avec le Lafaurie-Peyraguey. La poularde extrêmement tendre a épousé avec plaisir les deux Corton. Trois ou quatre vins de la Romanée Conti se sont montrés exceptionnels. Cette introduction au monde de la Romanée Conti qui constitue le 247ème de mes repas est une belle réussite.


les vins prévus avec La Tache 1969 et ci-dessous avec la Romanée Conti 1969 et avec un Corton 1992

on reconnait le Grands Echézeaux par le « X » visible

le Vega Sicilia Unico ouvert en cours de repas

les verres sur table

le cognac apporté par un ami

les votes