23ème séance de l’académie des vins ancienssamedi, 29 novembre 2014

Nous avons changé de lieu pour la 23ème séance de l’académie des vins anciens. Le restaurant Roméo, place Victor Hugo à Paris est un compromis entre bar, salon de thé et restaurant. Nous avons loué la salle du premier étage. Nous sommes 38 et nous allons nous partager 63 vins, ce qui est copieux, car la norme serait d’une bouteille par personne. Nous sommes répartis en trois groupes et il y a 21 vins à boire pour chaque groupe.

C’est, je crois, la plus belle séance de l’académie des vins anciens. Non pas que nous ayons eu les bouteilles les plus emblématiques, car il y a eu des séances avec des vins de légende, mais c’est la générosité et surtout la ponctualité, car toute l’organisation s’est faite avec une fluidité rare. Ajoutons à cela une atmosphère souriante, rieuse, enjouée et amicale, qui a permis de faire passer les bouteilles les plus problématiques comme des lettres à la poste. L’heure était à la joie d’être ensemble et de partager des vins rares dans la bonne humeur.

Voici les vins des trois groupes, chaque vin étant répété s’il y a eu plusieurs bouteilles du même (les vins précédés d’une astérisque sont de mon apport) :

Groupe 1 : Champagne Le Brun de Neuville Brut sans année – Champagne Le Brun de Neuville Brut sans année – Champagne Moët et Chandon Grand Vintage Collection magnum 1962 – *Coteaux Champenois Pol Roger années 70/80 – Château Carbonnieux blanc 1975 – Château Sainte Roseline Côtes de Provence blanc 1954 (ou 1955 ?) – *Puligny Montrachet Gustave Naigeon 1950 – Château Montrose 1978 – Château Lafon-Rochet Saint-Estèphe 1955 – *Château Ausone 1953 – Château La Conseillante Pomerol 1946 – Château Beauséjour Saint-Emilion Grand Cru 1943 – Château Haut Brion 1941 – Moulins de Calon Médoc 1934 – *Château Latour 1907 – *Fleurie Soualle et Bailliencourt 1957 – *Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 – Royal Kebir Algérie 1938 – Champagne Dom Pérignon 1969 – Vouvray Demi-Sec Huet 1961 – Château Rieussec 1957.

Groupe 2 : Champagne Le Brun de Neuville Brut sans année – Champagne Le Brun de Neuville Brut sans année – Champagne Moët et Chandon Grand Vintage Collection magnum 1962 – *Coteaux Champenois Pol Roger années 70/80 – Riesling Hugel 1985 – *Vin de l’Etoile Bourguignon 1964 – Château La Mission Haut-Brion Pessac Léognan 1969 – Château La Mission Haut-Brion Pessac Léognan 1966 – *Château Haut Brion 1964 – *Château Haut Brion 1953 – Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1962 – Château La Tour de Mons Margaux 1959 – *Château Ausone 1953 – Beaune Emile Chandesais 1955 – Cornas Chante Perdrix Delas 1969 – Château Fonsalette Côtes du Rhône rouge 1979 – Vin d’Algérie « le Hoggar » rosé 1947 – Cabernet Beaulieu Vineyards Georges de Latour 1964 – Monbazillac 1955 – Château Rayne-Vigneau Sauternes 1933.

Groupe 3 : Champagne Le Brun de Neuville Brut sans année – Champagne Le Brun de Neuville Brut sans année – Champagne Moët et Chandon Grand Vintage Collection magnum 1962 – *Coteaux Champenois Pol Roger années 70/80 – Château Roumieu Bordeaux Supérieur blanc sec 1959 – Pouilly-Fuissé Marey & Liger-Belair 1946 – Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1986 – *Côtes du Jura Fruitière Vinicole de Château Chalon 1979 – Château Haut-Bailly Pessac-Léognan 1975 – Château Cheval Blanc 1970 – Château Troplong Mondot Saint-Emilion 1966 – Château Lyonnat Lussac Saint Emilion 1964 – Château La Gaffelière Saint-Emilion 1964 – *Château Haut Brion 1964 – *Château Ausone 1953 – *Château Ausone 1937 – Moulins de Calon Médoc 1934 – Gevrey Chambertin Guichard-Potheret 1947 – Mercurey Guichard-Potheret 1947 – Pommard Ph. Bouchard 1937 – Chateau Chalon Cuvée Vignes aux Dames Marius Perron 1976 – Madère Sercial Gossart Gordon 1954.

Bien sûr chacun a pu aller pêcher des vins d’un autre groupe et, dans mon cas, on m’a fait goûter des vins des autres groupes, aussi les académiciens ont pu, s’ils sont malins, déguster plus d’une trentaine de vins.

J’ai 63 vins à ouvrir. Il me paraît prudent de commencer à 15h30 les ouvertures. Trois amis me rejoindront en cours de route. Le premier est un américain. C’est Thanksgiving Day aussi ouvre-t-il un Talbott Pinot Noir Diamond T Vineyard 2012 vin californien du sud de San Francisco. Le nez est strict mais la bouche est doucereuse. Nous trinquons à cette belle fête américaine avec ce vin très chaleureux.

J’ouvre tous les vins avec des difficultés limitées, sauf deux bouteilles dont le bouchon tombera dans le liquide au moment où l’on touche à la capsule. Beaucoup des odeurs désagréables disparaîtront au moment du service.

L’apéritif se prend avec le Champagne Le Brun de Neuville Brut sans année qui est un blanc de blancs, dont le propriétaire est un fidèle académicien. Le champagne est agréable, mais le goût de miel un peu fort nuit à sa légèreté.

Le menu composé par le restaurant, pour lequel on n’a pas cherché des accords avec les vins, beaucoup trop nombreux pour pouvoir en  faire, est : tartare de saumon au gingembre et citron vert / parmesan d’aubergine gratinée à la scamorza, huile pistou / fondant de bœuf à la toscane / fromages apportés par les académiciens / poire rôtie aux amandes sauce chocolat.

Nous passons à table et pour nos trois tables, nous partageons deux magnums de Champagne Moët et Chandon Grand Vintage Collection magnum 1962. Les deux bouteilles sont très différentes. L’une est toute en douceur, l’autre est toute en tension, et ma table profite de la plus tendue des deux. Ce champagne est une merveille. Ce qui frappe est sa personnalité. Il a des parfums de livres anciens, des traces nobles sur des traits relativement fumés. Il est vineux, tranchant et laisse en bouche une empreinte de blessure d’épée. Ce champagne ne peut pas laisser indifférent, car il envahit le palais et le domine. Si l’autre bouteille a tout pour plaire, la nôtre est dominatrice, et tant mieux.

Le *Coteaux Champenois Pol Roger années 70/80 est un vin très sympathique, évoquant un champagne sans l’être puisque c’est un vin tranquille. Ce que l’on aime c’est qu’il est un témoignage raffiné, tout en discrétion.

Le nez du Château Carbonnieux blanc 1975 est envoûtant. Il trompette. En bouche le vin est beau, épanoui, serein, conquérant. C’est le grand vin blanc de Graves par excellence.

Le Château Sainte Roseline Côtes de Provence blanc 1954 (ou 1955 ?) est pour moi un grand moment d’émotion. J’ai eu et j’ai encore des 1953 rouges du Château Sainte Roseline. Mais des blancs de Provence aussi vieux, je n’en ai pas bu. Et voici ce vin, d’une couleur jaune citron insolemment jeune, qui se met à briller comme pas deux, vin de soif, mais aussi vin de structure, carré, solide et convaincant. Je bois du petit lait en goûtant ce témoignage rare, présenté dans la jolie bouteille historique en forme de quille.

Le *Puligny Montrachet Gustave Naigeon 1950 avait à l’ouverture un nez à se damner. Il l’a toujours. Et ce vin tonitruant, à l’ampleur invraisemblable, domine largement la série des blancs. Quel brio, quelle largeur en bouche !

Le Château Montrose 1978 a un joli nez. Il se boit bien, vin agréable mais sans doute trop attendu par rapport aux surprises qui nous attendent.

Le Château Lafon-Rochet Saint-Estèphe 1955 est une immense surprise. Le nez est superbe et intense. Le vin est d’une droiture rare, mais c’est surtout la jeunesse et l’accomplissement qui nous convainquent.

J’ai apporté pour chaque groupe une bouteille de *Château Ausone 1953 et, pour qu’il n’y ait aucune frustration ou récrimination, j’ai affecté à mon groupe la bouteille au niveau le plus bas. Malgré cela, cet Ausone est fort charmant, montrant la noblesse du grand vin avec toutefois un petit manque de netteté.

Le Château La Conseillante Pomerol 1946 est une très belle découverte. Il a un caractère, une personnalité qui sont impressionnantes. Le vin est jeune, la robe est de rubis noir, et le vin s’impose comme le plus grand à ce stade du repas. On le boit avec un infini plaisir.

Le Château Beauséjour Saint-Emilion Grand Cru 1943 est tout en douceur, presque doucereux, et calme à côté de la fulgurance de La Conseillante. Il est agréable, mais souffre de la comparaison.

Le Château Haut Brion 1941 pouvait nous donner des craintes du fait de son année, mais il se montre fort civil et nettement au-dessus de l’image que je m’étais formée. Il manque un peu de vibration.

Le Moulins de Calon Médoc 1934 est une merveilleuse surprise, car il a en bouche la largeur, la sensualité et la féminité d’un château Margaux. Il est totalement convainquant, par l’ampleur de sa douce séduction.

Le *Château Latour 1907 est hélas loin d’apporter ce que je souhaitais, sur la foi de deux expériences précédentes qui m’avaient convaincu. On peut imaginer sous le voile les splendeurs possibles, mais le manque de pureté est rédhibitoire.

Le *Fleurie Soualle et Bailliencourt 1957 est une bombe. C’est la réussite absolue d’un beaujolais qui joue dans la cour des grands. Quelle merveille. Je suis ébloui, et je m’attendais à ce que mon beaujolais soit brillant, mais voici le gagnant toutes catégories.

Le *Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 a le parfum qui est exactement la définition du grand vin de la Romanée Conti. Il y a le sel et la rose, tellement caractéristiques que c’en est presque caricatural tant c’est cela. Le vin est sublime, tout en subtilité retenue. C’est un immense vin que beaucoup considéreront comme le meilleur. Je suis fier de l’avoir apporté.Sa persistance en bouche est inoubliable.

Le Royal Kebir Algérie 1938 n’est pas là par hasard car quelques académiciens savent que je suis un amoureux fou des vins d’Algérie. Ce vin, c’est Maurice Chevalier chantant « ma pomme, c’est moi ». Il est facile, charmeur, désinvolte et séducteur. Il y a des traces de café et une ampleur en bouche qui est stupéfiante. Je suis aux anges, mais le Grands Echézeaux a une finesse sans comparaison.

Le Champagne Dom Pérignon 1969 a un bouchon qui s’enlève sans aucune trace de gaz. Mais en bouche le pétillant est toujours là. Et sa personnalité est prégnante. Il a le charme des champagnes anciens, typés, qui arrivent à ressembler aux vieux sauternes qui ont mangé leur sucre. J’adore.

Le Vouvray Demi-Sec Huet 1961 est agréable, mais ne m’a pas passionné après la vivacité du Dom Pérignon.

Le Château Rieussec 1957 est d’une grande pureté, sa couleur est d’un or noble. Il joue son rôle mais je suis déjà fatigué.

On m’a apporté de-ci-delà des vins des autres groupes et voici mes impressions succinctes car je n’ai pris aucune note pendant le dîner :

Riesling Hugel 1985 son bouchon était anormalement moisi. Le vin est l’ombre de ce qu’il pourrait être.

Château La Mission Haut-Brion Pessac Léognan 1966 superbe d’équilibre et de mâche juteuse.

Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1962 vin magnifique, extrêmement racé.

Cornas Chante Perdrix Delas 1969 magnifique et joyeux, pétulant

Cabernet Beaulieu Vineyards Georges de Latour 1964 vin apporté par un ami américain pour fêter Thanksgiving lors de l’académie. C’est un vin splendide, très orthodoxe et doctrinal. Vin de norme mais aussi de plaisir.

Château Rayne-Vigneau Sauternes 1933 : sauternes parfait, car il n’est pas exubérant.

Clos de la Coulée de Serrant Nicolas Joly 1986 : superbe, impérial, généreux, justifiant la classification par Curnonsky dans les cinq plus grands vins blancs de France

Madère Sercial Gossart Gordon 1954 vin ample, gourmand, pénétrant, un très grand madère.

La cuisine n’avait pas pour vocation de servir de répondant aux vins car c’eût été impossible. Le service a été parfait. C’est surtout l’ambiance qui fut exceptionnelle . Nous avons bu des vins rares, souriant, blaguant sans jamais nous prendre au sérieux.

Quel serait mon classement ? 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, 2 – Champagne Moët et Chandon Grand Vintage Collection magnum 1962, 3 – Château La Conseillante Pomerol 1946, 4 – Fleurie Soualle et Bailliencourt 1957, 5 – Moulins de Calon Médoc 1934, 6 – Kebir Algérie 1938. Mais beaucoup de vins mériteraient d’être dans ce classement.

Lorsque tout le monde est parti, réfléchissant au fait que nous avons sorti de nos caves 63 vins pour qu’ils soient partagés, je me suis dit que nous avions ce soir atteint le but de l’académie des vins anciens. De plus, ayant ouvert des vins que beaucoup auraient jetés, tant ils se présentaient sous un mauvais jour, et les ayant « ressuscités », j’ai humblement apporté ma contribution à une mission : faire sortir les vins anciens des caves, pour qu’ils soient partagés avant qu’il ne soit trop tard.

Cette soirée sera un beau souvenir.

quelques photos de bouchons (je n’ai pas pris de photo de l’ensemble des bouchons qui était impressionnant). Le bouchon du Lung 1938 vin d’Algérie est superbe (le dernier)

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pendant la séance d’ouverture nous avons bu ce vin apporté par Tim pour Thanksgiving : Talbott Pinot Noir 2012 Diamiond T Vineyard

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le repas

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