233ème dîner de wine-dinners au restaurant Le Beaulieu au Mansvendredi, 8 février 2019

Deux jours plus tard je suis de retour au Mans pour le 233ème dîner de wine-dinners au restaurant Le Beaulieu. Le menu a été mis au point avec Olivier Boussard, qui a accepté d’adapter ses recettes aux besoins des vins anciens.

J’arrive à 16 heures pour ouvrir les vins, devant Olivier et Guillaume, très attentifs. Aucun parfum ne me paraît poser de problème particulier et l’opération est menée en une heure et demie. Beaucoup de bouchons se sont brisés, mais se sont montrés sains. Le seul à avoir sa surface noircie est celui du Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1952. Il me reste à attendre les convives avec une puis une deuxième bière pression et des petites choses à grignoter dont un délicieux pâté en croûte. J’ai le temps de répondre au téléphone aux questions d’un journaliste d’un journal local qui a été informé du dîner par le chef.

Nous sommes huit, dont une seule femme, celle de l’initiateur du dîner. Tous sont du Mans, de métiers divers, de la finance, du bâtiment ou du domaine du vin.

Le Champagne Dom Pérignon 1993 est une très belle surprise, car cette année longtemps rangée dans les petites années se découvre maintenant. C’est un champagne de charme, de belle jouissance. Si la bulle a presque disparu le pétillant est actif. Il est plein en bouche, large et accueillant.

Olivier Boussard est généreux aussi sommes-nous comblés de toasts au foie gras, de toasts au foie gras et truffe de pâtés et autres saveurs et la bouteille est vide asséchée. Aussi comme d’autres petits canapés sont annoncés, je décide que le champagne qui devait être servi à table sera servi à l’apéritif.

Le Champagne Heidsieck Monopole Cuvée Diamant Bleu 1982 est à l’opposé du précédent. Il est vif, profond, ciselé, et fait plus jeune que le Dom Pérignon alors qu’il est plus vieux de onze ans. C’est bien difficile de savoir lequel on préfère, tant ils sont différents. J’ai un faible pour la vivacité du 1982 alors que d’autres succombent au charme du Dom Pérignon.

Le menu créé pour ce dîner par le chef Olivier Boussard : mise en bouche autour du foie gras de canard et inspiration du chef / émincé de Saint-Jacques d’Erquy et caviar d’Aquitaine Perle Noire / le poisson noble du marché à la truffe noire melanosporum et mousseline de céleri / homard breton braisé au jus de crustacés / filet de biche de la Sarthe rôtie truffe noire melanosporum et fricassée de cèpes / foie gras de canard poché au naturel / Stilton / mangue rôtie et pamplemousse rose / financier à la réglisse.

Les Saint-Jacques sont associées aux deux vins blancs. Le Château Haut-Brion Blanc 1952 est très impressionnant car il est d’une pureté absolue, fluide, complexe et de belle longueur. Il est presque doux. C’est un Haut-Brion blanc archétypal, dans la définition de ce que doit être ce vin, mais dans une version légèrement botrytisée, comme on le voit parfois pour les Y d’Yquem. Sa couleur est très claire. J’avais parlé de ma vision du vin que je considère comme éternel tant que le bouchon joue son rôle et voilà qu’un vin blanc de 66 ans se montre fringant comme un vin de vingt ans. Beaucoup de « certitudes » sur les vins anciens vont tomber ce soir.

Le Bienvenue-Bâtard-Montrachet Bouchard Père & Fils 1960 est un peu ambré. Son nez était racé à l’ouverture. Il l’est aussi maintenant et le vin très équilibré est courtois. Il ne cherche pas à séduire ni à montrer sa force mais il est diablement efficace. Ce vin très serein est agréable et son acidité est bien dosée. Je l’aime beaucoup, mais le Haut-Brion est si racé et noble que mon cœur ira vers le bordelais.

Le saint-pierre est accompagné de deux bordeaux rouge. Le Château Beychevelle Saint-Julien 1928 me semble le meilleur de ceux de 1928 que j’ai bus, pour la simple raison qu’il est parfait. Sa couleur est d’un rouge sang de pigeon d’une belle jeunesse et sa bouche est si parfaite et équilibrée qu’on ne pourrait pas imaginer qu’il puisse être plus grand. Ce vin est gourmand, vif et joyeux, avec de belles notes truffées, mais il s’impose surtout car il est plein en bouche.

Les compliments que l’on peut faire au Beychevelle valent, mot pour mot, pour le Grand Vin de Léoville du Marquis de Las Cases Saint-Julien 1945, car il est lui aussi parfait. Sa couleur est un peu moins sanguine que celle du 1928 et paraît un peu moins jeune. Il est plus fluide mais avec une finesse incroyable. Vin parfait et racé, ce vin éblouissant sera le premier dans mon vote. Avoir deux bordeaux au sommet de leur art au point que l’on puisse parler de vins parfaits est inespéré. Mes convives font les comptes : un vin de 90 ans et un vin de 73 ans sont plus vifs et plus riches que des vins récents. Toutes les idées reçues tombent.

Le homard est servi et Guillaume, l’excellent serveur et sommelier va servir le Volnay Pierre Léger 1937. Je me rends compte avec stupeur que nous avons décalé les plats par rapport aux vins en ayant servi le deuxième champagne à l’apéritif au lieu d’accompagner les Saint-Jacques, car le homard était prévu pour les deux bordeaux. Il faut vite commander un vin pour la biche, car le Grands Echézeaux n’irait pas avec ce vin. Je consulte la carte des vins et je commande un Peyre-Rose Syrah-Léone Coteaux du Languedoc 2005 qui sera servi par la suite.

Le homard est délicieux et le Volnay Pierre Léger 1937 est une très heureuse surprise. Ce vin est beaucoup plus racé et riche que ce que j’imaginais et il a une belle personnalité. Il a une belle râpe de vin bourguignon et se montre vif, sans trace d’âge. Un très beau vin simple se marie au homard alors qu’il devait accompagner la biche. L’accord se montre pertinent quand même.

Le Peyre-Rose Syrah-Léone Coteaux du Languedoc 2005 de Marlène Soria est un vin que j’aime particulièrement. Anachronique dans ce dîner il fait prendre conscience, malgré son réel intérêt, du fossé qui existe entre les vins jeunes et la complexité des vins anciens. Il accompagne très bien la biche truffée délicieuse.

Le programme prévu reprend son cours avec le foie gras qui accompagne le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1952. Le niveau dans la bouteille était assez bas mais acceptable pour des bourgognes anciens. Le nez à l’ouverture était prometteur et s’est épanoui et c’est en bouche que les choses vont moins bien. On reconnait un vin clairet de la Romanée Conti par la finesse et la délicatesse, mais le vin se présente assez torréfié, ce qui lui enlève beaucoup de charme. L’accord avec le foie est judicieux, mais ce vin est le seul du repas qui se montre d’un niveau inférieur à ce que l’on pouvait espérer.

Le Château d’Arche-Lafaurie Sauternes 1925 a une couleur très foncée. A l’ouverture le nez avait des accents de caramel ce qui a poussé le chef Olivier à poêler les tranches de mangue et d’alléger la proportion de pamplemousse rose. Pour l’instant il cohabite avec un superbe stilton pour produire un accord de première grandeur. Le vin est riche et plein, joyeux, gras, de belle gourmandise. Mon voisin est impressionné par le changement de ton du sauternes entre son association au fromage et son copinage avec la mangue, comme s’il s’agissait de deux vins différents. Les deux accords fonctionnent à merveille et ce sauternes de belle longueur est un grand sauternes.

Le bouchon du Vin de Chypre 1870 était tellement collé aux parois du goulot que j’ai eu peur en tirant trop fort de faire craqueler le verre très fin. Aussi ai-je cureté le haut du bouchon ce qui hélas a fait tomber le bouchon dans le liquide. Pour qu’il n’y ait aucune pollution du liquide, j’ai carafé le vin et j’ai ensuite retiré à la ficelle le bouchon de la bouteille ce qui a permis de remettre le vin dans la bouteille. Cette oxygénation rapide n’a eu aucune conséquence sur le vin qui est d’une richesse incroyable. C’est une bombe de poivre, marquée aussi par une forte présence de réglisse, ce qui fait que l’accord avec le financier à la réglisse est le plus beau cadeau qui soit. Ce vin à la longueur infinie est extrêmement sec comme un Xérès tout en gardant l’onctueux d’un liquoreux. Il est infiniment racé. Je l’adore du fait de son caractère sauvage et sans concession.

Sur les dix vins, neuf ont été au sommet de leur art. Nous sommes huit à voter pour les quatre vins que l’on préfère sur les dix vins du dîner (le 2005 ne sera pas noté). Cinq vins ont eu l’honneur d’être nommés premier, ce qui est une performance à signaler, le Haut-Brion blanc 1952 trois fois premier, le Léoville Las Cases deux fois, et le Bâtard-Montrachet, le Beychevelle et le Chypre chacun une fois premier. Les votes sont très curieux. Ainsi le Haut-Brion blanc n’a été que quatre fois dans les votes mais trois fois premier alors que le Beychevelle a reçu huit votes, étant retenu par tout le monde, avec une seule place de premier et six places de second. Quant au vin de Chypre, il a eu sept votes dont quatre de quatrième.

Le vote du consensus est : 1 – Beychevelle 1928, 2 – Léoville Las Cases 1945, 3 – Vin de Chypre 1870, 4 – Château Haut-Brion Blanc 1952, 5 – Bienvenue-Bâtard-Montrachet Bouchard Père & Fils 1960, 6 – Volnay Pierre Léger 1937.

Mon vote est : 1 – Léoville Las Cases 1945, 2 – Beychevelle 1928, 3 – Château Haut-Brion Blanc 1952, 4 – Vin de Chypre 1870.

Pour une première expérience avec Olivier Boussard, c’est un vrai succès car les accords ont été superbes. Les plus naturels sont le financier avec le vin de Chypre et le stilton avec le sauternes. Les plats les plus réussis sont le foie gras poché dans sa simplicité épurée et la biche aux cèpes, plat gourmand par excellence. Le talent d’un chef existe, même lorsque les recettes sont simplifiées.

Les idées sur les vins anciens de mes convives ont été chamboulées. Ils ne regarderont plus jamais le vin ancien avec les mêmes yeux. Il est assez envisageable que l’on me revoie au Mans pour d’autres aventures.


Les bouteilles en cave

les bouteilles au restaurant