230ème dîner de wine-dinners au château d’Yquemsamedi, 1 décembre 2018

Le rendez-vous du 230ème dîner de wine-dinners est à 18 heures dans le salon le plus ancien du château d’Yquem. Nous serons douze à table, reçus par Pierre Lurton, président d’Yquem et de Cheval Blanc. Notre assemblée de huit hommes et quatre femmes est très cosmopolite avec trois américains de trois villes différentes, Charlotte, Boston et San Francisco, un français vivant à New York, un français vivant à Singapour avec sa femme d’origine japonaise, deux chinois vivant à Oxford, un italien, un allemand et moi. Trois participants étaient au 200ème dîner, trois participants étaient au dîner au siège de Veuve Clicquot. Les deux américaines et les deux chinois ont participé à de très nombreux dîners. Cinq convives participent pour la première fois. Nous nous présentons et Pierre Lurton nous rejoint pour nous souhaiter la bienvenue. Il nous fait visiter les chais et donne rapidement des explications sur le botrytis, la récolte et le vieillissement d’Yquem. Nous allons ensuite dans la jolie salle de dégustation pour goûter trois jeunes Yquem. Leurs couleurs sont très proches et très claires, le 2001 étant à peine plus ambré.

Pierre Lurton dit qu’il préfère le Château d’Yquem 2015 que nous buvons au 2016. Je suis d’accord avec lui pour le futur car le 2015 est puissant et riche. Mais pour le plaisir immédiat je préfère le 2016 bu ce midi, plus fluide, plus délicat, alors que le 2015 est très marqué par un sucre fort.

Le Château d’Yquem 2009 est une petite merveille d’équilibre. Il a tout pour lui. Il m’évoque volontiers le 1893 qui est probablement le plus équilibré de tous les Yquem. Ce 2009 c’est la joie de vivre.

Le Château d’Yquem 2001 est un coup de poing dans mon cœur. Ce 2001 est un Yquem guerrier conquérant et dans mon imaginaire, alors que je n’ai jamais bu le 1847, l’Yquem le plus célèbre avec 1811, je me représente le 2001 comme aussi grand et légendaire que le 1847. Cet Yquem a tout pour lui.

Après cette rapide dégustation commentée par Pierre Lurton toujours aussi truculent, nous nous rendons dans le grand salon antique pour l’apéritif. J’ai ouvert tous les vins mais je n’ai ouvert aucun champagne. Aussi est-ce pour moi une grande inconnue, car si nous commençons par un champagne fatigué, cela peut changer l’atmosphère du dîner. Je prie le ciel et le sommelier me verse le premier verre du Champagne Louis Roederer 1928. La couleur est quasiment rose. Il n’y a aucune bulle mais en bouche je ressens le pétillant et, ouf, le champagne est d’une pureté exemplaire. Il est précis, n’a pas un gramme de défaut et son goût est charmant, intense, profond. C’est un immense champagne de 1928. Il laisse en bouche une trace forte faite de beaux fruits rouges.

Le Champagne Dom Pérignon 1959 est ouvert et si le pschitt est faible, la bulle est plus visible et la couleur est plus claire. C’est manifestement un grand Dom Pérignon, vineux, actif et présent, mais j’avoue que j’ai un petit faible pour le Louis Roederer plus complexe. Les petits canapés sont délicats.

Nous passons à table dans la très jolie salle à manger du château. Le menu conçu par Olivier Brulard, chef du château et mis au point avec moi est : amuse-bouches à déguster du bout des doigts / langoustines « au bleu » à l’eau fraîche de pamplemousse, caviar Royal en robe des champs / homard cuisiné doucement au sautoir, jolies écailles de truffes primeur / bar de ligne en habit d’automne / pigeonneau en bécasse « Grande Tradition » / foie gras de M. Dupérier légèrement fumé / foie gras poché, à la croque-au-sel / fromages sélectionnés et affinés par Dominique Bouchait M.O.F. / Croustade « 18 Carats » de mangue cueillie bien mûre au jus de passion / financiers d’une bouchée à la réglisse.

Le Champagne Charles Heidsieck 1955 est comme les deux précédents d’une pureté et d’une précision remarquables. Mes convives se demandent comment il est possible d’avoir trois champagnes aussi anciens, donc à risque, qui se présentent aussi parfaits. Le 1955 est racé, long, avec une personnalité affirmée qui va trouver avec la langoustine et sa gelée d’eau de pamplemousse un accord qui est probablement le plus beau du repas avec celui que l’on aura sur un foie gras poché. La présentation du plat est d’une esthétique remarquable. Le champagne vibre avec la chair de la langoustine servie fraîche mais encore plus avec l’eau de pamplemousse. Et le point final est donné par le caviar mis en valeur par une douce pomme de terre qui donne un coup de fouet au champagne. Des trois champagnes, c’est le Dom Pérignon qui faisait son âge c’est-à-dire une belle maturité, tandis que les deux autres du fait de leur intensité n’ont pas d’âge.

Sur le homard nous avons deux montrachets. Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1997 a le nez glorieux du montrachet du domaine. Théoriquement il n’est pas d’une année très puissante, mais en pratique il est flamboyant et très large. Gouleyant il n’est pas gras comme d’autres plus puissants mais il est joyeusement épais et intense.

Le Montrachet  Grand Cru Domaine Ramonet 1978 est très différent. Tout d’abord il n’a pas la moindre trace de bouchon que je redoutais. Je m’étais fait peur pour rien. Si le 1997 est d’une largeur extrême, donnant une bouche joyeuse, le 1978 est tout en profondeur et en raffinement. Préférer l’un ou l’autre n’est pas facile. L’ami italien préfère le Ramonet qui est d’une présentation idéale et n’a pas d’âge. Le Ramonet est très racé, le Conti est très gourmand. Je dirais que pour le homard parfait et généreusement truffé, c’est le Conti 1997 qui est le plus gratifiant. Mais la noblesse du Ramonet est extrême.

Le bar de ligne aux champignons est accompagné de deux grands bordeaux et beaucoup de convives vont être admiratifs de la pertinence d’un accord qu’ils n’auraient pas imaginé. Le Château Cheval Blanc Fourcaud Laussac 1945 a un nez de truffe d’une puissance extrême et en bouche, il est généreux, puissant, concentré, carré, glorieux et tellement bon qu’on serait prêt à le placer au-dessus du 1947 plus légendaire et plus atypique. Ce vin truffé est une splendeur et je suis heureux d’avoir pu le mettre en présence de celui qui dirige le château Cheval Blanc. Le vin a un tel équilibre qu’il semble indestructible et bâti pour l’éternité.

A côté de lui le Château Mouton Rothschild 1928 est un Mouton exceptionnel, tout en charme et en énigmes. Il est insaisissable. Je suis totalement sous son charme. Le Cheval Blanc est masculin, solide guerrier alors que le Mouton est féminin, tout en charme. Et ce qui est bien, c’est que les deux vins ne se nuisent pas, au contraire, on passe de l’un à l’autre en développant son plaisir. Nous buvons deux immenses bordeaux et je ne m’attendais pas à ce que Mouton 1928 soit aussi complexe et brillant.

Le pigeon accompagne deux bourgognes, et là aussi on a comme pour les montrachets et les bordeaux deux vins très différents. Le Mazy Chambertin Grand Cru Domaine Armand Rousseau 1966 a un nez diabolique à réveiller les morts. C’est l’affirmation de la Bourgogne la plus terrienne, travailleuse, les pieds dans la glaise. C’est une Bourgogne qui prend aux tripes et en bouche on a un vin de plaisir, nature, diaboliquement séduisant.

A côté, La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983 est porteuse de la subtilité du domaine de la Romanée Conti. On est dans l’élégance. Le pigeon parle beaucoup plus avec le Mazy Chambertin. Alors que le foie gras fumé qui est servi après converse élégamment avec La Tâche. J’ai un petit faible pour le plus roturier des deux.

Le Château Lafite-Rothschild 1878 est comme le Charles Heidsieck 1955 seul sur un plat, sur le foie gras poché. Ce vin a été reconditionné au château en 1990 avec les marques qui attestent de cette opération. Le vin a une belle couleur très jeune. Le nez est intense. Il est incroyable de finesse, de noblesse et d’accomplissement. Il paraît si naturel. J’en ai parlé discrètement avec Pierre Lurton, qui est d’accord avec moi, l’âge se sent avec un léger goût viandeux probablement latent et surgi lors du rebouchage, ce qui signe l’authenticité du vin et ne nuit pas au plaisir au point que ce vin sera le seul à figurer sur les douze feuilles de vote, consacrant sa première place des vins du repas. L’accord avec le foie gras est magique et la douceur met en valeur toutes les subtilités du vin. Nous avions eu au 200ème dîner un Lafite 1898 superbe. Celui-ci est au moins au même niveau, peut-être un peu plus romantique et délicat. C’est un vin d’anthologie de 140 ans.

A ce stade nous nous demandons comment nous allons pouvoir hiérarchiser des vins aussi différents et tous parfaits. C’est maintenant le moment des trois sauternes servis en même temps. De gauche à droite nous avons Château Sigalas Rabaud 1917, Château d’Yquem 1937, Château d’Yquem 1891. Les couleurs des deux extrêmes sont quasiment identiques, d’un acajou très foncé, et le 1937 est ambré mais plus clair que les deux autres. Ces trois vins auront deux services, les cinq fromages puis le dessert.

Le Château Sigalas Rabaud 1917 est une immense surprise car il se situe tout en haut de l’élite des goûts de sauternes. Il est profond, riche, avec de notes de caramel ou de banane confite, mais c’est surtout sa race qui est belle. Il sera voté une fois comme premier et il le mérite.

Le Château d’Yquem 1937 est un guerrier conquérant. C’est l’Yquem glorieux, juteux, joyeux, c’est Marlon Brando dans sa jeunesse. Car cet Yquem est très jeune, et tiendra des décennies.

Le Château d’Yquem 1891 est d’une complexité infinie. Je tombe sous son charme, car il est tellement subtil, évocateur, intrigant. Son parcours en bouche est à multiples facettes. Il a le charme, la séduction puis l’énigme, la subtilité, l’intrigue même. On n’en fait jamais le tour. Je suis conquis par sa complexité car ce n’est pas un Yquem puissant, c’est un Yquem de méditation. Les fromages se sont bien comportés avec les trois sauternes et l’accord avec le dessert à la mangue est tellement naturel qu’on en jouit sans se poser de question, car c’est parfait.

Vient maintenant sur de judicieux financiers le Malaga 1872 dont l’étiquette manuscrite ne porte que ces seules mentions. Je me pâme. Car ses saveurs exotiques, irréelles sont inimaginables. On est transporté sur une planète de luxure. Tout est puissant mais tellement délicat. La longueur est infinie. On est au paradis. Et ce qui le rend magique c’est que ce sont des goûts totalement non familiers.

Joe, fidèle ami présent à Veuve Clicquot et au 200ème dîner me dit que jamais de sa vie il n’a eu un dîner de cette dimension. Il est aux anges et j’avoue que je ne m’attendais pas à ce que tous les vins du dîner ne puissent faire l’objet d’aucune critique. Ils sont au sommet de ce qu’ils peuvent apporter. Comment pouvoir voter dans ces conditions, beaucoup me le disent mais c’est la règle il faut voter.

Nous sommes douze à voter pour les cinq vins préférés sur quatorze vins. Treize vins figurent dans les votes ce qui confirme bien l’excellence de tous. Si le Charles Heidsieck n’est pas dans les votes ce n’est pas à cause de sa qualité qui est extrême, c’est qu’à la fin du repas, la mémoire s’estompe sur les vins du début.

Ce qui me ravit encore plus, c’est que huit vins ont été jugés dignes d’être premiers. Incroyable ! Quatre vins ont été jugés premiers deux fois et quatre vins ont été jugés premiers une fois. Les doubles premiers sont : Lafite 1878, Yquem 1937, Yquem 1891 et Malaga 1872. Les quatre votés une fois premiers sont : Cheval Blanc 1945, Mouton 1928, Mazy Chambertin 1966 et Sigalas Rabaud 1917.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Lafite-Rothschild 1878, 2 – Château d’Yquem 1891, 3 – Château Mouton Rothschild 1928, 4 – Château Cheval Blanc 1945, 5 – Château d’Yquem 1937, 6 – Malaga 1872.

Mon classement est : 1 – Malaga 1872, 2 – Château d’Yquem 1891, 3 – Château Lafite-Rothschild 1878, 4 – Château Cheval Blanc Fourcaud Laussac 1945, 5 – Champagne Louis Roederer 1928.

Dans un dîner où il y a deux vins excellents du domaine de la Romanée Conti, constater qu’aucun des deux ne figure parmi les six premiers, cela indique le niveau des autres. Un raison est que l’on a couronné les vins très anciens puisque l’âge moyen des six vins classés est de 110 ans. Ceci explique cela.

Que dire de ce dîner sinon que tout fut parfait. Les vins ont fait un sans-faute qui a impressionné les convives. Les accords mets et vins, même osés, furent parfaits. Le lieu où s’est tenu le dîner est magique et Pierre Lurton nous a accueillis avec amitié. C’est probablement l’un des trois plus grands dîners que j’ai organisés, sinon le plus grand. L’atmosphère d’amitié qui s’est créée entre les convives en fait un dîner rare.


Alignement des vins dans ma cave. Le Louis Roederer et le Lafite ne sont pas à la place finalement choisie

les bouteilles au château dans l’ordre de service

Sigalas Rabaud 1917 sans étiquette à la splendide couleur et au niveau magnifique

je suis surpris de la capsule du Yquem 1937 provenant de la cave du château

les coulures sur la capsule de l’Yquem 1891 doivent provenir d’une bouteille qui était pacée au dessus de celle-ci et non pas de la bouteille elle-même

trois bouchons : le 1937, le Malaga 1872 et l’Yquem 1891

tous les bouchons

mes outils

visite des chais

salle de dégustation à la jolie décoration et des Yquem jeunes !

le repas

la couleur des trois sauternes : 1917, 1937, 1891

les vins bus

la table en fin de repas