227ème dîner de wine-dinners au restaurant Pagesjeudi, 4 octobre 2018

Charles est un des plus fidèles de mes dîners. Il me demande de faire un dîner pour ses amis. Nous serons onze. Il est un habitué du restaurant Pages aussi est-ce en ce lieu que se tiendra le dîner. Il y a plus d’une semaine, j’ai rencontré Lumi, la directrice de salle, Ken, le chef de cuisine qui est l’adjoint de Teshi, le chef étoilé du lieu et Matthieu, le sommelier, pour définir le menu. Ken comprend très bien que je souhaite une cuisine fondée sur les produits purs. Le projet est en place, validé par Teshi. Mes vins sont arrivés il y quelques jours au restaurant.

Charles m’apprend que plusieurs de ses amis ne seront pas présents avant 20h30 aussi est-il décidé de reporter à 20h30 l’arrivée de tous les convives. Nous allons nous coucher tard !

Etant au restaurant à 17 heures j’ouvre les bouteilles et je constate un phénomène curieux. Pour presque tous les vins rouges, des traces noires de lie couvrent le goulot lorsque le bouchon est sorti. Dans d’autres dîners, les bouchons collaient pratiquement tous aux parois de verre du goulot alors qu’aujourd’hui aucun bouchon ne colle au goulot. S’agit-il d’un hasard ou les conditions atmosphériques jouent-elles un rôle ? Il faudra que je vérifie sur de nouveaux dîners si la concordance des comportements des bouchons est le fruit du hasard ou le fruit des saisons. Le seul vin qui pourrait poser un problème est le Chypre 1869 dont le nez est très sec, presque camphré ou glycériné. Le plus beau parfum est celui de La Tour Blanche 1923 ainsi que celui du chablis.

La serviette qui me sert à essuyer et nettoyer les goulots est presque totalement noire, ainsi que mes doigts. Il me reste beaucoup de temps avant que les convives ne se présentent aussi ai-je le temps de boire une bière japonaise en grignotant des édamamés, fèves délicieuses et apéritives. J’écoute la séance de pilotage du service du soir entre tous les participants de la cuisine et du service qui révisent ce qu’ils doivent faire. Cela montre une implication professionnelle et une motivation de tous.

Les convives arrivent et nous prenons le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum (fait sur base de 1999 1997 1996) sur le trottoir du restaurant tant il fait bon en ce soir d’octobre. Nous sommes onze dont cinq femmes, ce qui est particulièrement agréable. Les petits amuse-bouches sont raffinés et délicieux. L’un est de poisson et l’autre de veau et c’est celui-ci qui fait le mieux vibrer le champagne au nez invraisemblable de personnalité. Quel grand champagne racé, vif, conquérant. Il sera le gagnant de nos votes et il est extrêmement rare que le premier vin soit premier dans les votes car il est facilement oublié quatre à cinq heures plus tard et douze vins plus tard. Sa prestation est donc exceptionnelle. Il est noble et gastronomique.

Nous passons à table et le menu est ainsi composé : Risotto aux cèpes et girolles / Saint-Pierre en deux façons, pur et avec un jus de volaille / Homard bleu breton grillé sur le Bincho, bisque avec du comté et du vin jaune / Pigeon de Vendée en deux façons, suprême nature, pattes farcies aux abats et au foie gras / Trois viandes de bœuf de maturation, de Normandie 11 semaines, de Galice 20 semaines et Wagyu Ozaki / Stilton / Cake aux agrumes, suprêmes de pamplemousse poêlés et marmelade de Kumquat / Financiers réglisse et nature.

J’ai bien fait de conseiller aux convives d’écouter le message du vin car le Champagne Gonet Père & Fils 1961 fait un contraste important avec le précédent champagne. Il fait plus assagi, plus discret offrant des saveurs d’automne que les champignons soulignent. C’est le plat qui nous fait aimer ce blanc de blancs de Mesnil-sur-Oger, la Mecque du blanc de blancs.

Trois vins blancs vont accompagner les deux services du saint-pierre. Que j’aime quand on a le produit pur dans l’assiette ! Le Château Olivier blanc 1957 avait à l’ouverture un nez assez doux, suggérant un vin au botrytis affirmé. Le vin est riche et plaisant, gouleyant et franc et la bordelaise de notre table l’adore. C’est un vin joyeux.

Le Chassagne-Montrachet Marcel Toinet 1972 est une heureuse surprise, car il a une personnalité que je n’attendais pas à ce niveau. Il est simple bien sûr et profite bien du saint-pierre servi avec son jus de volaille. Ce vin très lisible a une belle longueur.

Le Chablis Grand cru Valmur Robert Vocoret 1971 est tonitruant. Son  parfum est invasif, puissant, et le vin est racé, cinglant, montrant bien qu’il est un grand cru. C’est le chablis à la maturité idéale, sans le moindre signe d’âge tant il est solaire.

Pour beaucoup autour de la table, c’est une grande surprise que le homard soit associé à un vin rouge. Le Château Branaire 1943 est un saint-julien de belle mâche. C’est une force tranquille, sereine. Il joue comme le regretté Jean Piat, éternel jeune premier. Il n’a pas d’âge, intemporel, équilibré, velouté et truffé. C’est un grand vin.

Le pigeon accueille deux vins. Le Gevrey-Chambertin Bouchard Père & Fils 1971 est simple, direct, très doux. Par contraste, le Clos de Vougeot Louis Latour 1971 fait sauvage, canaille, très bourguignon dans l’âme. J’ai tendance à préférer le plus provoquant des deux mais en fait chacun trouve son terrain d’excellence : le Gevrey avec les suprêmes et le Clos de Vougeot avec la farce délicieuse. Il n’y a aucune bataille entre ces deux 1971 et les deux paraissent largement plus jeunes que leurs 47 ans. Le chef Ken m’a fait un beau cadeau car lors du briefing avant le service, l’équipe avait énuméré les plats du repas des autres tables, dont une grouse. J’avais souhaité la goûter et elle fut discrètement ajoutée sur mon assiette. C’est une chair magnifique et vibrante, sans concession, cohabitant sans problème avec le délicieux pigeon.

Encore une fois deux vins pour le plat suivant, celui des trois bœufs si différents. Le Châteauneuf-du-Pape Les Cèdres Jaboulet 1969 est très typé et se place bien après les bourgognes. J’aime son aspect plutôt rugueux qui convient bien à la viande normande.

Le Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 1979 est beaucoup plus vif, racé et noble et c’est lui qui soutient le mieux le choc du gras généreux du wagyu. Pour les viandes, les deux vins du Rhône sont des vins de plaisir.

Le Domaine de Roustit Sainte Croix du Mont 1945 est doux et épicé. Il forme un accord parfait avec le fromage annoncé comme stilton mais dont je ne reconnais pas la croûte habituelle. Il est parfait, très salé, et excite bien ce vin qui aurait sa place dans la cour des grands liquoreux.

Le Château La Tour Blanche  1923 est mon bonheur. Il a tout pour lui. Un parfum à se damner, un gras dans le doucereux, avec des épices par milliers et des agrumes qui jouent avec le dessert. La marmelade de kumquat fait rebondir ce sauternes. Je suis aux anges. Curieusement ce vin premier pour moi ne sera pas dans le classement final de l’ensemble des convives.

Le Vin de Chypre 1869 a perdu une partie de ses senteurs camphrées mais il reste très sec. On sent toutes les complexités qu’il offre, avec réglisse, poivre et des concentrés de mélasse de fruit. Les financiers sont délicieux. Ce n’est pas le plus grand vin de Chypre que j’aie bu de cette année.

Pour les votes, nous allons ce soir battre des records. C’est assez invraisemblable, voire inouï. Nous sommes onze et nous votons pour nos quatre vins préférés sur treize vins. Les treize vins vont figurer dans au moins un vote. Chaque vin a donc été jugé digne de figurer dans les quatre premiers d’au moins un convive.  Ensuite et c’est incroyable pour onze votants, il y a neuf premiers ! Je n’ai jamais vu ça. Le Grand Siècle et le Clos Vougeot ont eu deux votes de premier et sept autres vins ont eu un vote de premier.

Les votes de premier féminins sont deux fois le Grand Siècle, le Gonet 1961, l’Olivier blanc 1957 et el Châteauneuf les Cèdres 1969. Les votes de premier masculins sont le Chassagne 1972, le Chablis 1971, le Branaire 1943, les deux votes pour le Clos de Vougeot et La Tour Blanche 1943. Les femmes sont donc plus champagne et les hommes plus pour les rouges charpentés.

Le classement du consensus serait : 1 – Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum (fait sur base de 1999 1997 1996), 2 – Château Branaire 1943, 3 – Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 1979, 4 – Champagne Gonet Père & Fils 1961, 5 – Clos de Vougeot Louis Latour 1971, 6 – Château Olivier blanc 1957.

Mon classement est : 1 – Château La Tour Blanche  1923, 2 – Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 1979, 3 – Chablis Grand cru Valmur Robert Vocoret 1971, 4 – Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum (fait sur base de 1999 1997 1996).

La cuisine a été superbe, lisible, centrée sur les produits purs. Tous les accords ont été réussis, le homard étant le plus bel accord et le risotto aux champignons étant celui qui a mis en valeur un champagne 1961 qui n’aurait pas brillé sans lui. Le service du vin et des plats fut attentif et pertinent. Charles fêtait ses dix années de mariage avec son épouse. Un couple présent a annoncé son proche mariage. L’ambiance était amicale, souriante et festive. Tout en ce dîner fut réussi.

 

 

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle magnum (fait sur base de 1999 1997 1996)

Champagne Gonet Père & Fils 1961 Blanc de Blancs Mesnil s/ Oger

le bouchon du 1961 est au dessus du bouchon du grand siècle

Château Olivier blanc 1957 cru classé de Graves

Chassagne-Montrachet Marcel Toinet 1972

Chablis Grand cru Valmur Robert Vocoret 1971

Château Branaire 1943 Saint-Julien

Gevrey Chambertin Bouchard P & F 1971

Clos de Vougeot Louis Latour 1971

Châteauneuf-du-Pape Les Cèdres Paul Jaboulet Aîné 1969

Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes 1979 Paul Avril

Domaine de Roustit Sainte Croix du Mont 1945

La Tour Blanche 1923

Vin de Chypre 1869

je ne savais pas que la tour de Pise était à Chypre !!!

la serviette pour nettoyer les goulots :

le briefing avant le service

les votes incroyablement dispersés !