205ème dîner de wine-dinners au restaurant Tailleventsamedi, 26 novembre 2016

Le 205ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Nous serons onze dans le beau salon lambrissé du premier étage du restaurant. La table sera cosmopolite puisque j’accueillerai une indienne, un japonais, une productrice de rhum à la Martinique, une propriétaire de mines aux antipodes et d’autres convives de tous horizons. La parité sera presque parfaite puisqu’elle est arithmétiquement impossible, avec cinq femmes et six hommes.

J’arrive à 17 heures pour ouvrir les vins et cette opération sera filmée par Cécile qui travaille pour une chaîne de télévision câblée. Cécile filmera aussi le dîner. J’ai eu des angoisses toute la matinée car je ne retrouvais plus ma trousse avec les divers outils que j’utilise pour ouvrir les vins. Etre filmé et ne pas avoir mes outils, quelle erreur de casting. J’utilise un Durand, un tirebouchon qui combine un bilame avec un tirebouchon, qui n’était pas dans ma trousse perdue. Je peux correctement ouvrir les vins mais je préfère mes longues mèches qui me donnent une meilleure sensibilité du comportement du bouchon lorsqu’il commence à se briser ou à se morceler. Par ailleurs le bilame blesse les bouchons, ce qui n’est pas beau.

Le parfum du Corton blanc 1919 est incertain. On verra comment il évolue. Celui du Vosne-Romanée 1947 est assez déplaisant. Une mauvaise surprise est à craindre. Le nez du Cahors 1893 est faible. Là aussi, l’évolution est incertaine. Les parfums des deux sauternes sont superbes, l’un plus tonitruant, l’autre plus gracieux. Dans ce contexte, il me semble opportun d’ouvrir une autre bouteille de rouge, dont je sais qu’elle sera sans problème.

Le convives arrivent, tous ponctuels. Après les consignes d’usage puisqu’il y a cinq participants dont c’est le premier dîner, nous trinquons sur un Champagne Lanson Red Label 1971. La bouteille est très jolie, en forme de quille. La couleur est d’un bel or assez clair. La bulle est peu présente mais le pétillant est actif. Le champagne est évolué mais plaisant. L’attaque est de petits fruits roses légèrement aigrelets et le corps du champagne est joliment vineux. Pour beaucoup il faut s’habituer aux goûts des champagnes anciens car ce n’est pas naturel. Sur les gougères et les copeaux de jambon, le champagne a une belle présence. Je suis ravi de sa belle complexité.

Nous passons à table. Un petit amuse-bouche gourmand convient bien au Lanson.

Le menu créé par Alain Solivérès : copeaux de jambon / huîtres Gillardeau en gelée d’eau de mer / bar de ligne étuvé, saveurs des bois / gourmandise de poule faisane, foie gras de canard et châtaignes / palombe rôtie aux salsifis / lièvre à la cuillère, pâtes fraîches à la farine de châtaignes / stilton / pomme et poire façon tarte Tatin

Sur l’huître en gelée, le Champagne Salon 1988 se montre absolument glorieux. Avec Tomo, nous nous disons que c’est un des plus grands Salon 1988 que nous ayons bus, car cette bouteille est d’une rare perfection. Ce Salon d’une grande année combine à la fois puissance et élégance. C’est un guerrier conquérant mais aussi un chevalier galant. Il a une profondeur et une persistance en bouche qui sont extrêmes.

Le Château Haut-Brion blanc 1979 est une mauvaise surprise, mais pas pour tout le monde puisqu’il sera voté numéro un par une convive. A l’ouverture, je pensais qu’il avait besoin de s’épanouir, mais maintenant c’est un vin qui a vieilli trop vite, anormalement évolué pour son âge, et qui ne se livre pas. Toutefois, mon jugement est sévère car avec le bar et surtout les petits champignons, il redevient aimable même s’il reste un peu en dedans.

La poule faisane est délicieuse et même si l’accord est osé, il fonctionne parfaitement. Le Corton Blanc Jacqueminot 1919 pour lequel mon diagnostic il y a quatre heures était indécis se montre totalement éblouissant. La sérénité de ce vin et son absence d’âge, tant il est équilibré, surprennent tout le monde. Tomo trouve que le meilleur accord est avec le foie gras. Je trouve que c’est avec la chair du faisan. Tous les visages s’illuminent, car c’est une surprise extrême.

J’ai associé sur la palombe deux vins de 1947 mais il n’y aura aucune compétition. Le Vosne-Romanée Antonin Rodet 1947 est un peu fatigué et il est très nettement au-dessus de ce que j’attendais. Il serait seul, nous l’aimerions. Mais il y a à côté de lui une telle merveille que notre attention se porte sur le Gevrey Chambertin Maison P. Jorrot 1947. Ce vin est exceptionnel et tout le monde en convient puisqu’il obtiendra neuf votes dont cinq de premier, ce qui est rare. La grâce de ce vin, son charme, son équilibre, sa matière lourde combinée à une délicatesse extrême en font un vin de pur bonheur. Qu’un « Villages » puisse être aussi élégant est une énigme. La palombe est superbe et convient bien à ce vin qui nous transporte au septième ciel du vin.

Sur le lièvre une fois de plus délicieux, deux vins que tout oppose sont associés. Le Clos de Gamot Cahors 1893 a un nez bouchonné que Tomo ne trouve pas. En bouche, le gout de bouchon n’existe pas et ne gêne pas le joli message d’un vin assez simple mais bien vivant, dont on aurait peine à dire qu’il a 123 ans. Je suis heureusement surpris qu’il se comporte ainsi alors que son compère fanfaronne à côté de lui. Il est à noter que de mon expérience, les vins très anciens qui sont bouchonnés proviennent de bouteilles reconditionnées. Ce Cahors a été reconditionné dans les années 70 et c’est à cette occasion-là qu’il a dû attraper ce goût fort heureusement bénin.

Le Châteauneuf-du-Pape Charton 1928 est une bombe de saveurs. Doté d’une matière énorme ce vin parade de bonheur. Il est joyeux en bouche, au message très simple mais porteur de plaisir. C’est vraiment un vin de plaisir, gouleyant, plein en bouche.

Arrive maintenant le vin que j’ai ajouté et qui correspond beaucoup plus aux goûts que mes convives connaissent. Nous nous sommes amusés à le faire découvrir à l’aveugle et en s’aidant les uns les autres, la réponse a été très proche de la perfection puisque l’appellation a été trouvée. La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1983 est très élégante, racée, fine. Elle ne joue pas sur sa puissance mais sur son élégance. Classiquement, un vin qui n’est pas porté sur la feuille de vote n’obtient pas de vote même si chacun sait qu’il pourrait voter pour lui. Si le vin avait été annoncé, il aurait figuré dans les votes. C’est une très jolie Landonne que cette 1983.

Les deux sauternes étant très différents je décide qu’ils ne seront pas servis ensemble. Le Château Filhot 1928 est d’une grâce extrême. Ce qu’il y a de bien avec les sauternes, c’est que lorsqu’ils sont grands, il n’ont pas le moindre défaut. Celui-ci a mangé son sucre et cela lui donne une légèreté extrême. Ce n’est que du bonheur, amplifié par le très goûteux stilton. Le mot qui lui convient est « grâce », à la Grace Kelly.

Le Château Gilette crème de tête 1945 est une bombe de saveurs comme l’était le Châteauneuf-du-Pape tout à l’heure. Quel grand sauternes, aux antipodes du Filhot, car maintenant, c’est du beau botrytis qui envahit notre palais. L’accord avec la Tatin est un accord couleur sur couleur comme je les aime. On se régale.

Il est temps de voter et je suis particulièrement heureux car neuf vins figureront au moins une fois dans les onze votes où chacun désigne ses quatre vins préférés. De plus, six vins ont été nommés premier par au moins un convive. C’est spectaculaire et montre à quel point les goûts sont différents entre les convives si les votes sont si disparates. Le Gevrey Chambertin Maison P. Jorrot 1947 a eu cinq votes de premier, le Champagne Salon 1988 deux votes de premier et le Château Haut-Brion blanc 1979, le Corton Blanc Jacqueminot 1919, le Château Filhot 1928 et le Château Gilette crème de tête 1945 ont eu un vote de premier.

Le vote du consensus serait : 1 – Gevrey Chambertin Maison P. Jorrot 1947, 2 – Champagne Salon 1988, 3 – Château Filhot 1928, 4 – Corton Blanc Jacqueminot 1919, 5 – Châteauneuf-du-Pape Chartron 1928.

Mon vote est : 1 – Gevrey Chambertin Maison P. Jorrot 1947, 2 – Corton Blanc Jacqueminot 1919, 3 – Château Filhot 1928, 4 – Champagne Salon 1988.

Dans mes dîners, il y a toujours des vins « fantassins », c’est-à-dire des vins qui sont hors de portée des radars des spéculateurs. Qui rechercherait aujourd’hui les deux vins que j’ai classés en tête, Gevrey Chambertin Maison P. Jorrot 1947 et Corton Blanc Jacqueminot 1919 dont je ne connais d’ailleurs pas les maisons. C’est pour moi une grande fierté de pouvoir montrer que les vins fantassins prennent leur place au plus haut niveau dans de grands dîners.

Un des convives, habitué de mes dîners, est venu avec, sous son bras, le merveilleux écrin d’un Cognac Hennessy Paradis Imperial que nous avons partagé. Fait de l’assemblage de plus d’une centaine d’alcools ayant de 50 à 150 ans, il est d’une fraîcheur incroyable. Précis, net, élégant c’est un cognac qui se boit merveilleusement bien. J’en ai repris !

Dans une atmosphère joyeuse et rieuse, avec le service toujours impeccable et attentionné de l’équipe du Taillevent, avec des accords tous réussis et une cuisine parfaitement orientée vers les vins, nous avons vécu un très beau dîner de gastronomie. Et la performance de fantassins est une récompense pour l’amoureux des vins anciens que je suis.

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